qui les avaient frappés ; ils ne surent même jamais faire à cet égard de
distinction entre les hommes : ceux qui ne leur avait point fait de mauvais
traitements ne furent pas à leurs yeux différents des autres, et les bienfaits ne
parvinrent point à affaiblir en eux le sentiment qui les portait à traiter l’espèce
humaine en ennemie. En un mot, jamais ils ne montrèrent aucune confiance,
aucune affection, aucune docilité. Bien différents en cela des animaux les plus
carnassiers , que l’on parvient toujours à captiver par la douceur et les bons
traitements.
Si le M o u f l o n est la souche de nos moutons, on pourra trouver dans la
faiblesse de jugement qui caractérise le premier, la cause de l’extrême stupidité
des autres, et les moyens d’apprécier avec exactitude la nature des sentiments
qui portent ceux-ci à la douceur et à la docilité; car c’est sans contredit
à cette faiblesse qu’on doit attribuer l’impossibilité où sont les M o u f l o n s de
s’apprivôiser ; ils nous ont donné souvent les plus fortes preuves des bornes
étroites de leur intelligence. Ces animaux aimaient le pain, et lorsqu’on s’approchait
de leur barrière ils venaient pour le prendre. On- se servait de ce
moyen pour les attacher avec un collier, afin de pouvoir, sans accident, entrer
dans leur parc.* Eh bien! quoiqu’ils fussent tourmentés au dernier point, lorsqu’ils
étaient ainsi retenus, quoiqu’ils vissent le collier qui les attendait, jamais
ils ne se sont défiés du piège dans lequel on les attirait, en leur offrant ainsi
à manger; ils sont constamment venus se faire prendre, sans montrer aucune
hésitation, sans manifester qu’il se fût formé la moindre liaison dans leur esprit,
entre l’appât qui leur était présenté et l’esclavage qui en était la suite , sans
quen un mot, l’un ait pu devenir pour eux le signe de l’autre. Le besoin de
manger seul, était réveillé en eux à la vue du pain. Je ne connais point d’animaux
privés à un tel point de la faculté d’association. Sans doute on ne doit pas
conclure de quelques individus à l’espèce entière; mais je* crois qu’on peut assurer
sans rien hasarder que le M o u f l o n tient une des dernières places parmi
les Mammifères , quant à l’intelligence; et sous ce rapport, il justifierait bien
les conjectures de B u f f o n sur l’origine de nos différentes races de moutons.
On sait que ce grand homme a regardé le M o u f l o n comme la souche de toutes
nos races de moutons domestiques, dont les différences ne seraient dues qu’à la
nature des diverses contrées qui les auraient vu naître. Celte conjecture a été
assez généralement admise, et elle est fondée sur beaucoup de vraisemblance.
Une espèce sauvage peut être regardée comme la souche d’une race domestique,
dès que l’on passe, par des intermédiaires suffisants, des caractères de l’une aux
caractères de l’autre : or, ces intermédiaires existent entre le M o u f l o n et les
moutons. Pour s’en assurer il faut d’abord admettre que toutes les races de
moutons ont la même origine, et cela se prouve parce qu’elles produisent toutes,
les unes avec les autres, des races fécondes et capables de se conserver indéfiniment
par elles-mêmes. On le sait assez pour celles d’Europe; et je me
suis assuré qu’il en est de même pour les plus étrangères : nos béliers ont fécondé
des brebis à grosses queues, et des brebis de Sologne ont produit avec
le Morvan ; or, à l’aide de ces races, on peut toujours rapprocher du M o u f l o n ,
par des intermédiaires, celles qui semblent en être les plus éloignées : il y en a
de plus gràndës et de pliis petites, de plus trapues et de plus svëltès, à Îête
plus longue ou plufe Courte , à cbatifrein plus droit ou plus arqué , à corn’ës
de plus en plus faibles, etc., etc. Le Morva’ù 'résseinble prësquè èniièretfvëfit
aux mouflons par la nature des poils, et l’on assure quë l’on trôiive des moù-
tons à queue très-courte, dans le nord de l’ancien cohitinent. Cést par-là seulement
que les races qui nous sont connues diffèrent essentiellement du M o u f l o n ;
toutes ont les queues assez longues, et celle du Morvàn élle-mêrtie, si rapprochcè
d’ailleurs par son pelage de là race primitive. Au reste, il serait extraordinaire
que cet organe n’eût pas éprouvé de nombreuses modifications par la domesticité;
il est en quelque sorte inutile àu M o u f l o n , et les organes paraissent être
toujours d’autant plus accessibles aux influences accidentelles, qu’ils ont des
rapports moins intimes avec la nature des êtres, qu’ils prennent moins de part
à léur existericte. La seule difficulté réelle qui se présente dans cette question ,
ce sont les différences qui se trouvent entre le pelage des moutons à poils, tels
que le Morvan, et celui de nos moulons à laine; mais cette difficulté, qui
serait insoluble, si l’on ne considérait que les poils apparents des premiers,
c’est-à-dire ceux qui donnent leur couleur au pelage, et que nous avons distingué
sous lé nom de poils soyeux, disparaît entièrement si l’on considère l’autfc
espèce de poils, les laineux, qui sont cachés sous les premiers, et qui, ’Comme
nous l’avons fait observer, ont déjà, chez le M o u f l o n , cettë fot'më en spiràlë qui
caractérise la laine de tous nos moutons. Nous pensons donc que ceux-ci ont
perdu, par des causes quelconques, les poils soyeux propres à leur espèce, et
qu’il ne leur est resté que leur seconde sorte de poils, que des causes nouvelles
et variées ont fait passer à la grossièreté et à la rudesse de la laine des moutons
de Barbarie, à grosse queue, ou à la finesse douce et moëlleuse des toisons de
nos mérinos; et le poil soyeux du M o u f l o n étant blanchâtre, il suit, que les
moutons noirs ou bruns sont, contre l’opinion commune, plus éloignés de la race
primitive que les blancs.
Ce que nous venons de dire, en comparant le M o u f l o n aux moutons, montre
suffisamment que cet animal appartient à l’ordre des ruminants, et il en a en
effet tous les caractères, quatre estomacs, point d’incisives supérieures , des molaires
a double croissant, et des pieds fourchus. Ses caractères génériques le
rangent parmi les ruminants à cornes creuses, si nombreux en espèce, et desquels
il est si difficile de former des groupes naturels.
Ses yeux sont semblables à ceux des autres espèces de son ordre, ils en ont
les paupières et la pupille allongée horizontalement; à l’angle interne on voit un
larmier pey étendu mais assez profond ; ses oreilles externes consistent dans un
cornet tres-simple, droit, terminé en pointe et fort mobile; ses narines présentent
deux ouvertures étroites et longues, qui forment entre elles un angle droit,
et qui ne sont séparées, au point où elles se rapprochent le plus, que par une
cloison très-mince. 11 n’y a point de rritiffle; la langue est douce, les lèvres
sont minces et extensibles; l’organe du toucher ne paraît point avoir de siège
principal. La verge se dirige en avant, et est renfermée dans un foureau externe
et tout-à-fait fixé a l’abdomen. Les testicules, très-volumineux, sont renfermés
dans un scrotum libre entre les jambes de derrière.