nourriture; quoiqu’ils fussent très-voraces, ils ne témoignaient aucune crainte
de se la voir enlever par d’autres que par leurs semblables. Plusieurs fois j’ai
repris le poisson que je venais de donner à l’animal qui en avait le plus grand
besoin , sans qu’il ait opposé de résistance à ma volonté , et j’ai vu de jeunes
chiens auxquels un de ces Phoques s’était attaché, s’amuser, pendant qu’il mangeait,
à lui arracher de la bouche le poisson qu’il était prêt à avaler, sans quil
témoignât la moindre colère; mais lorsqu’on donnait à manger à deux Phoques
réunis dans le même bassin, il en résultait presque toujours un combat à coups
de pattes, et, comme à l’ordinaire, le plus faible ou le plus timide laissait le
champ libre au plus fort ou au plus hardi.
Excepté quelques espèces de singes, je ne connais aucun animal sauvage qui
s’apprivoise avec plus de facilité que le Phoque, et qui s attache plus fortement.
Dans les premiers jours de son arrivée , un des. individus gris me fuyait
lorsque je le flattais de la main; mais quelques jours après toute sa crainte avait
cessé. Il avait reconnu la nature du mouvement de ma main sur son dos et
sa confiance était entière. Ce même Phoque était renfermé avec deux petits
chiens qui s’amusaient souvent à lui monter sur le dos , à 1 aboyer et à le
mordre même; et quoique tous ces jeux et la vivacité des mouvements qui en
résultaient fussent peu en harmonie avec ses habitudes et ses mouvements, il
en appréciait le motif, car il paraissait s’y plaire. Jamais il n’y répondit que
par de légers coups de pattes qui avaient plutôt pour objet de les exciter que
de les réprimer; si ces jeunes chiens s’échappaient, il les suivait, quelque pénible
que fût pour lui une marche forcée dans un chemin couvert de pierres et de
boue; et lorsque le froid se faisait sentir, tous ces animaux se couchoient très-
rapprochés les uns des autres afin de se tenir chauds mutuellement.
L’individu fauve s’était sur-tout attaché à la personne qui avait soin de lui ;
après un certain temps il apprit à la reconnaître d’aussi loin qu il pouvait 1 a-
percevoir; il tenait les yeux fixés sur elle tant qu’elle était présente , et accourait
dès qu’elle s’approchait du parc où il était renfermé. La faim au reste
entrait aussi pour quelque chose dans l’affection qu il témoignait à ses gardiens.
Ce besoin continuel et ¡’attention qu’il donnait à tous les mouvements qui pouvaient
l’intéresser sous ce rapport, lui avaient fait remarquer, à une distance de
soixante pas , le lieu qui contenait sa nourriture , quoique ce lieu fut tout-à-
fait étranger à son parc, qu’il servît à une foule, d’autres usages, et que pour y
chercher son poisson on n’y entrât que deux fois par jour: s’il était libre lorsqu’on
en approchait, il accourait et sollicitait vivement sa nourriture par les mouvements
de sa tête et sur-tout par l’expression de. son regard. Il m’est arrivé
souvent de placer le poisson que je donnais à l’individu, qui refusait daller à
l’eau, dans un baquet du côté opposé à celui où cet individu se trouvait: d abord
il faisait quelques tentatives en montant sur le bord du baquet et en allongeant
son cou pour atteindre sa proie; mais dès qu’il s’apercevait qu’elle était trop
éloignée, il descendait, faisait le tour du baquet et venait remonter précisément
où le poisson se trouvait, quoiqu’il l’eût tout-à-fait perdu de vue pendant
le trajet, et qu’il n’eût pu conserver que dans son entendement limage de cette
proie et de la place qu’elle occupait; etc., etc.
Depuis , j’ai vu un individu de cette espèce aussi instruit que le pourrait
être un chien.
■ Septembre, 18 1 jj.
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