Yidra, avant l’entrée du Lotru dans le défilé sauvage qu il suit jusqu’à
Yoineasa, un réservoir où l’on rassemble les arbres abattus. De
là, l’expression familière du payasn roumain parlant d’un homme
qui travaille comme bûcheron : « le, la laoul. » (Il est au lac).
Des villages comme Yoineasa, Ciunget, perdus au coeur de la montagne
n’ont guère d’autre raison d’être que l’exploitation des forêts.
On y trouve une population assez mélangée : des Allemands, des
Hongrois, portant le costume tyrolien en drap vert, qui dirigent les
coupes ; des ouvriers italiens, venus là on ne sait comment...
Le fond de la population est cependant bien roumain ; c’est même
peut-être un des coins où l’on a le plus de chance de retrouver le
type prim itif du berger valaque, celui dont les vieilles chartes parlent
comme d’un habitant naturel des forêts et des hauts pâturages.
Pour des villages comme Mâlaia, Ciunget, Yoineasa, les communications
avec le monde ont toujours ete très difficiles. Jusqu a 1 Oltu,
on a 30 kilomètres à faire, et de là jusqu’à Râmnic, il y a encore
20 kilomètres. C’est pourtant la route la plus naturelle. La chaîne
du Balota qui s’étend au S. du Lotru, n ’a pas de col au-dessous de
1,800 mètres.
Aussi dès l’aurore des temps historiques, cette vallée du Lotru
apparaît comme une région à part, une sorte de refuge, où la population
dace romanisée, a pu se conserver à l’abri des invasions barbares.
Ce serait le pays de Lityre ', peut-être ce fameux Knesat de
Lyortyoy que Béla excepte de ses donations, le laissant aux Ya-
laques « prout iidem hactenus tenuerunt. 2»
A l’heure actuelle on a encore l’impression à Yoineasa, ou Ciunget,
d’être dans un coin perdu, où le sentiment de faire parti d’un pays
régulièrement administré n’a jamais pénétré. On ne retrouve pas là
le respect habituel du paysan roumain pour tout ce qui est autorité.
Le sous-préfet, le juge de paix sont des choses lointaines. On est
habitué à faire à peu près ce que l’on veut. Quelques-unes des
qualités du paysan roumain, que des siècles d’oppression semblent
avoir anéanties ailleurs, se sont conservées avec les défauts corrélatifs.
Fier, grand parleur, un peu gascon, violent, colérique à l’excès,
capable de tout dans un accès de fureur, le paysan est ici encore assez
sobre, et honnête à sa façon.
1. G. Jannescu. Studii' de geografie militarâ Oltenia çi Banatul, p p . 172-174 ; cf.
X e n o p o l. Isloria Românilor, I, p p . 503 et 546.
2. Diplôme du 2 juin 1247. Fontes Berum Austrlacaruvn. Urkundenbuch zur
Geschichte Siebenbürgens, Regesten n° 147, p. XXXVIII.
Ce petit monde du vieux pays de Lityre, centre des monts du
Lotru, est le coin le plus intéressant au point de vue humain des
Karpates valaques.
Y
Comme la vallée de l’Oltu sépare les monts du Lotru des Fogarash,
la vallée du Jiu sépare le Paringu de ce qu’on appelle les monts du
Vulcan. La coupure fluviale qui n’est qu’une rigole profonde peu
sensible à l’oeil d’un observateur placé assez loin, mérite bien pourtant
d’être considérée comme une ligne de démarcation x. Là s’arrêtent
les derniers contreforts qui étayent le massif puissant du
Paringu, là, commencent des montagnes d’un type complètement
différent de tout ce que nous avons vu jusqu’ici.
Du haut du pic de Mândra, on peut voir leur profil et reconnaître
aisément les traits essentiels de leur structure (v. fig. 12). C’est une
sorte de haut plateau incliné doucement vers le S. et s’abaissant vers
la vallée du Jiu românesc, par un abrupt de 1,000 mètres. L’arête est
ainsi rejetée vers le-H., tout le draînage se fait vers le S. ; on a l’impression
d’être en présence d’une pénéplaine profondément ravinée
et découpée en crêtes parallèles. Les sommets élevés apparaissent
comme des bosses, en quelque sorte parasites, et un esprit familier
avec la nomenclature en vogue chez les géographes américains, n ’hésiterait
pas a y voir des « monadnock, » si l’expérience ne montrait
que ces pustules sont presque toutes formées par des paquets de
couches calcaires.
Ces lambeaux, qui semblent être ici le reste d’une couverture jadis
continue 2, sont semblables à ceux qu’on observait déjà dans la haute
vallée de Latorija, et qui forment une traînée le long de la faille de
Repedea. Ce sont eux qui, de Polovraci à Cernadia, donnaient au
rebord des Karpates cet aspect pittoresque. Sur les flancs de la vallée
du Jiu, on les voyait dominer de leurs escarpements blanchâtres, les
pentes régulières et sombrement boisées des schistes cristallins. Dans
1. Bien indiqué par L. Mrazec. Contributions à l’histoire de la vallée du Jiu,
Bull. Soc. Sc. Bue., 1899.
2. L. Mrazec. Ueber die Anthracitbildungen des S. Abhanges der Südkarpaten,
Akad. Anzeiger, 1895.