Les vallées de traverse, qui font l’originalité des Karpates vainques,
sont, on le voit, le plus souvent en rapport avec des mouvements
généraux du sol, de date récente. On peut en dire autant
de presque toutes les rivières transversales, qui ont contribué au
démantèlement du massif imposant porté en l’air par les poussées
orogéniques, en y sculptant tout un fouillis de crêtes et de rigoles
descendant vers le S. Quelques vallées, comme celles de la Jalomifa
et de la Praliova, suivent des synclinaux faillés ou des failles de date
assez ancienne ; mais ces dislocations locales ont simplement déterminé
la direction et l’emplacement approximatif d’une artère du
drainage primitif, le degré d’approfondissement et d’élargissement
de la vallée dépend de l’oeuvre plus ou moins active d’une érosion
réglée par l’affaissement de la plaine valaque, qu’un alluvionne-
ment intense tendait toujours à compenser.
Dans beaucoup de ces vallées, des terrasses alluviales pénètrent
assez loin dans l’intérieur de la montagne, et leur étude montre
que la pente de la vallée actuelle, entaillée généralement dans ces
terrasses jusqu’à la rocbe en place, est plus forte que celle de l’ancienne
vallée. Tout semble d’ailleurs prouver que la période actuelle
est encore, dans les Karpates, une période d’érosion active.
La saison de la fonte des neiges est celle qui contribue le plus
à la ruine de la montagne, celle où se déchaînent toutes les forces
de destruction ; érosion des rivières, décomposition chimique et
mécanique des roches sous l’action des intempéries, éboulements
dans les escarpements instables, glissements dans les terrains argileux
détrempés. On peut dire qu’en deux mois, la montagne est
plus changée que pendant tout le reste de l’année. A l’été, on
trouvera tel chemin où l’on pouvait circuler à l’aise dans une
gorge, barré par un éboulis, encombré de troncs d’arbres précipités
pêle-mêle avec des blocs énormes ; tel sentier en pente raide
accessible aux chevaux, sera labouré de sillons profonds et devenu
impraticable. De grandes routes, comme celle de la vallée du Jiu,
sont parfois complètement ravagées, une crue d’été emporta en
1900 tous les ponts construits à grands frais dans ce défilé.
IV
Les Karpates sont en ruine qui achève de s’écrouler, mais les
forces naturelles qui ont contribué à leur destruction n’ont pas
toujours travaillé de la même façon qu’à l’heure actuelle. Si l’éro
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sion des eaux courantes a ciselé l’ensemble de la masse montagneuse,
c’est à l’action de glaciers, aujourd’hui disparus, que les
hauts sommets doivent leurs formes caractéristiques.
Lorsqu’après une longue et monotone ascension, on arrive sur
la crête principale du massif du Paringu, dont le point culminant
dépasse 2,500' mètres, le spectacle qui s’offre aux yeux ne peut
manquer d’arracher un cri de surprise et d’admiration. Au bas d’escarpements
terribles qui s’ouvrent brusquement sous vos pieds, s’étale
une vallée démesurément large, dont le fond semble d’autant plus plat
qu’on le regarde de haut, mais paraît cependant accidenté d’une
foule de bosses irrégulières et arrondies, et de levées de blocs
énormes au milieu desquelles brillent de petits lacs. De tous côtés,
des murailles imposantes, striées de rigoles au pied desquelles
s’amassent les éboulis, hérissées d’escarpements bizarres, coloriées
de teintes rougeâtres fantastiques, dominent ce chaos sauvage, où
les touffes sombres des rhododendrons sont la seule trace de vie
végétale. Les murailles qui lim itent la vallée s’abaissent plus rapidement
que son fond, de façon à laisser comme une brèche dans la
ceinture d’escarpements qui encercle cette sorte de chaudière ; par
là, l’oeil plonge dans les profondeurs d’une vallée encaissée, aux
flancs couverts d’une épaisse forêt et qui semble continuer la haute
vallée. Pour descendre, il faut suivre le rebord des escarpements,
on chemine sur une crête étroite, sorte de contrefort de la crête
principale, séparant la haute vallée qu’on vient de voir, d’une
autre en tout semblable. Au fur et à mesure qu’on descend, la
crête s’étale en une sorte de dos plat et arrondi, et en même temps
la vue se développe; tout le flanc K. de la montagne semble comme
éventré de carrières gigantesques, ne laissant debout que des crêtes
étroites et escarpées. L ’aspect est vraiment celui d’une chaîne
alpine et quiconque est familier avec la haute montagne, n ’hésitera
pas a reconnaître dans les hautes vallées à fond plat que nous
venons de décrire, des cirques aussi typiques que les plus beaux
des Alpes et des Pyrénées (v. fig. 15 et 16 et planches A-B).
Tous les massifs élevés des Karpates valaques offrent un spectacle
semblable. De même que le Paringu, les Fogarash, le Bucegiu, le
Retiezat, les monts de la Cerna, ont leurs crêtes entaillées aussi
comme à l’emporte-pièce. C’est à l’action des glaciers qu’on doit
attribuer ces formes de relief.