de la mariée. Alors commencent à se dérouler une série d’épisodes
traditionnels qui varient notablement, suivant la région, mais dont
le thème est toujours le simulacre d’une attaque pour enlever la
mariée. Le plus souvent, le cortège s’arrête à quelques mètres de la
maison et envoie trois ambassadeurs (vornicei), qui, portant la
plosca parée d’un mouchoir brodé, pénètrent dans la cour. Là s’engage
un dialogue traditionnel en vers assonancés, pleins d’emphase
puérile et de naïvetés curieuses. C’est une des nombreuses orâpiune
qui accompagnent tous les actes de la vie sociale chez le paysan
roumain. Les variantes en sont nombreuses, mais le thème est tou-'
joués le même : c’est le jeune empereur « tînerul nostru îm pârat »
(le marié), qui part pour la chasse avec son armée « ostea » (la
noce), et rencontre une fleur, ou bien une biche, qu’il blesse et
poursuit en vain. Souvent, après ce discours, qu’on appelle cola-
caria, la noce entre sans autre délai. Parfois, elle simule encore une
véritable attaque, pénétrant dans la cour en grand tumulte, avec
force cris et coups de pistolets (Yoetesci).
L ’entrée dans la maison ne se fait cependant jamais sans une purification
préalable, soit que la mariée, accompagnée de sa na§a,
apporte une donita pleine d’eau et en verse le contenu aux pieds des
chevaux, soit qu’elle asperge le marié et son n asul1 avec une fleur
de busuioc trempée dans l’eau. Avant le départ pour l’église, nouveau
rite de purification ou de sacrifice. Sur la tête de la mariée, la
naça rompt un pain azime, lui en donne à manger un morceau et
jette les autres morceaux aux quatre coins de l’horizon, avec le
contenu d’un verre de vin (usage à peu près général).
Au retour à la maison se place Yiertaciune. C’est encore une orâ-
fiune, sorte de demande de pardon et de bénédiction, que la mariée,
agenouillée sur un coussin, est censée adresser à ses parents, mais
qui, en réalité, est récitée par un colacariu ou par un tzigane (TTo-
vaci), debout derrière elle.
Pendant le repas, c’est le nasu oui est le chef ; assis au milieu,
c’est lui qui commande aux lâutars les différents airs de circonstance,
c’est lui qui donne le signal de l’enlèvement, encore usité
à peu près partout, quand deux jeunes gens vigoureux viennent
arracher la mariée des mains de ses compagnes, avec qui elle dansait,
1. Le Na$u joue auprès du marié le rôle d’une sorte de père spirituel, c’est d’ailleurs
généralement le parrain du baptême. La na$a a les mêmes fonctions auprès
de la mariée.
et l’amènent de force à la table ; c’est lui qui, à la fin du festin, met
le premier la main à la ceinture pour le présent de la mariée.
La noce est prolongée souvent encore un jour ou deux par diverses
cérémonies, comme le Rachiu miresei, usité aux environs de Bucarest,
où la mariée change sa coiffure de jeune fille, la tête nue, contre
celle de la femme (conciu, hobotu), tandis que ses compagnes
chantent des chansons ironiques...
Que penser de tout cet ensemble curieux de coutumes, conservées
avec un soin jaloux P II y a là des usages antiques dont l’origine se
perd dans les premiers âges de l’humanité, et qu’on retrouve chez
les peuples les plus différents. Tel, le simulacre d’enlèvement. On
remarque aussi des rites très anciens, en rapport avec des formes de
société et des idées religieuses disparues depuis longtemps. Le sapin,
remplaçant, en Yalachie, l’étendard (steagul) des Transylvains, est
un symbole qui témoigne des rapports des rites du mariage avec les
rites agraires h L ’imposition du pain et du vin sur la tête de la
mariée, telle que nous l’avons décrite, est un rite sacrificiel; à la
fois communiel, signifiant l’entrée de la jeune femme dans la communauté,
et expiatoire, comme le prouvent les paroles de la nasa :
« Je ne jette pas le pain et le vin, mais la misère 2 ! »
D’autre part, il n’est pas besoin d’une grande érudition folkloris-
tique, pour trouver, en foule, des rapprochements dont on ne doit
pas s’exagérer la valeur. On a souvent insisté sur la conservation
des coutumes latines chez le peuple roumain. E n réalité, les usages
matrimoniaux sont aussi riches en rites agraires à affinités slaves,
qu’en rites juridiques à affinités gréco-latines.
On retrouve des coutumes slaves dans les usages relatifs à la naissance
(Ursitoare, fées qui viennent visiter l’enfant) 3, aussi bien que
dans ceux relatifs à la sépulture 4. Mais, il ne faut pas non plus trop
appuyer dans ce sens. Les 24 paras qu’on met dans le sein du mort
pour payer les 24 douanes de l’autre monde, la pièce d’argent qu’on
1. Cf. Mannhardt. Antike Wald und Feldkülte, Berlin, 187?.
2. Cf. pour des exemples analogues. H. Hubert et Mauss. Essai sur la nature et
les fonctions du saorilice, Année Soc., II, 1899.
3. M arianu. Nascerea la Romani, p. 142. L’origine balkanique de la croyance
aux Ursitoare Ursife paraît résulter des rapprochements établis par Sa in e an u avec
des contes albanais, sudslaviques, grecs, etc. (Basmele, pp. 145-147). Cf. S t r a u s s .
Die Bulgaren, p. 170.
i. M arianu. Inmorminterea la Români. — B urada. Datine poporului roman la
înmorminterea, faji, 1882.