son oeil rêveur semble chercher au loin on ne sait quoi, dans le
panorama qu’on contemple du haut des cimes. Il sait le nom de
chaque pâturage, mais il n’éprouve pas le besoin d’en donner aux
crêtes rocheuses. C’est un fait très général que les noms de lieux,
en montagne, se rapportent aux vallées, et que les sommets n’ont
pas de nom propre, ou en ont plusieurs, suivant le côté d’où on les
regarde J, Le voyageur ou le topographe inexpérimenté peut trouver
là une cause d’erreurs fréquentes; un peu d’habitude montre qu’il
y a là une des manifestations les plus curieuses de la manière dont
le paysan roumain comprend la nature.
Pour se distraire, le cioban a d’autres ressources que les spectacles
variés de la montagne ; il a son fluier, sorte de flûte droite, dont
il tire des sons étranges, faisant résonner à la fois plusieurs harmoniques,
de façon à produire l’effet d’une sorte de petit orchestre.
Le bon joueur de ûuier est toujours le bienvenu dans les soirées
autour du feu de la stîna. Il joue des heures entières sans se lasser,
et, parfois, l’on s’endort bercé par les mélopées plaintives qu’i l tire
de son instrument. Le dimanche, c’est autour de lui que se formera
la hora, sorte de ronde où l’on tourne lentement, en faisant alternativement
un pas en avant et en arrière.
La loi du repos dominical est aussi sévèrement observée ici que
dans la plaine. C’est un spectacle curieux que de voir le matin les
ciobani revêtir leur cojoc le plus neuf, les femmes nouer leur ¿fichu
le plus blanc, coiffer leur pâlâria, et, d’un pas tranquille de flâneurs,
se m ettre en route par les sentiers, pour rendre visite à la stîna
voisine.
Ces gens gardent avec une fidélité étonnante tous les usages de
leur village d’origine. Souvent c’est avec sa famille entière que le
baciu se transporte dans la montagne ; on cite des enfants qui sont
nés dans une stîna. On y vit, on y naît, on y meurt, comme dans la
plaine, accompagné des mêmes rites, héritage de temps lointains,
que le paysan roumain conserve avec un soin jaloux. Il n’est même
pas rare de voir célébrer un mariage dans la montagne, et il est
curieux de retrouver, dans les rites observés, des usages spéciaux à la
Transylvanie, dont presque tous les bergers sont originaires.
L’invitation se fait toujours de la même façon, portée par deux
jeunes gens à cheval, qui vont de stîna en stîna, offrant à boire
1. Voir E. d e Mahto n ne. Sur la toponymie naturelle des régions de hautes montagnes,
criptive, en particulier dans les Karpates méridionales, Bull. Géogr. histor. et des
1900, p . 83.
d une plopca pendue a leur selle. Le pope, appelé du village le plus
voisin, célèbre la messe entre quatre jeunes sapins plantés dans le
sol, qui figurent l’église; tandis que, tout comme dans la plaine, les
invités dansent a coté (devant la porte de l’église), aux sons d’un
violon râclé par quelque tzigane. Les danses sont toujours dirigées
par les stegarü, deux jeunes gens qui, pendant toute la noce, ne se
séparent pas un seul instant du steag, sorte de drapeau orné de fleurs
et de banderoles. On les accompagne des mêmes couplets satiriques,
déclamés rhythmiquement avec des battements de mains. L ’imposition
du pain (remplacé ici par un fromage) et du sel sur la tête
de la mariée, les simulacres d’achat et d’enlèvement, la purification
du marié et de son parrain (nasul), qui ge lavent les mains avec de
1 eau versee par la mariee ; une foule d’usage singuliers, se retrouvent
gardés avec la plus scrupuleuse fidélité1. Il est curieux de voir le
soin que prend le roumain de rester ainsi, malgré son isolement, en
communion avec son village.
Les rapports avec la plaine sont d’ailleurs assez fréquents. Quand
la provision de fromages est jugée suffisante, on les descend au
marché le plus proche. Chaque montagne a, en quelque sorte, son
marché attitré ; le débouché est souvent en Transylvanie ; les monts
du Buzeu sont, a peu près, la seule région qui déverse uniquement
en Roumanie ses produits. Le goût de ces fromages, fabriqués rien
qu avec le lait des brebis, est assez semblable à celui de notre Cantal.
Le caçcaval du Penteleu est renommé.
Les vaches sont rares dans les troupeaux des stîne ; on en a généralement
une dizaine au plus ; quelques porcs, engraissés avec le
petit lait, grognent toujours autour de la strunga. Les grands troupeaux
de vaches se trouvent plus bas, dans la région de la forêt,
paturant les clairières et les pentes déboisées. Hous ne connaissons
qu’une seule stîna élevée abritant du gros bétail, dans les monts de
la Cerna ; elle est connue sous le nom de Stîna de vaci ou Stîna mare.
Dans les monts de l ’ogarash, on trouve des bergeries et des troupeaux
de vaches sur les pentes méridionales de la chaîne du Cozia, au-
dessous de la limite de la foret, et dans la grande dépression qui
s’étale entre les deux chaînes, à une altitude de 1,100 à 1,200 mètres,
traversée par les vallées élargies de l’Argesh, du Topologu, etc. On
ne donnei pas le nom de stma a ces abris, souvent très grossièrement
1. Tous C6s usages ont été observés par nous à. Petrimanu (Paringu).
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