d’ailleurs la partie la plus solide ; souvent on le transporte, lorsqu’on
veut changer légèrement l’emplacement de la bergerie, et il n’est
pas rare de trouver des toitures plus ou moins éventrées, mais encore
presque entières, gisant sur l’emplacement d’une stîna abandonnée
dont les murs ont complètement disparu.
Ce type d’habitation temporaire m éritait d’être décrit en détail.
Il caractérise un genre de vie plus particulièrement spécial à la race
roumaine ; on le retrouve, avec les bergers roumains, dans toute la
chaîne karpatique, jusqu’en Gralicie, et, dans la péninsule des
Balkans, jusque dans le Pinde.
I I I
La stîna appartient généralement au propriétaire des brebis
(stapân) qui l’a construite. Elle représente une mise de fonds de
100 à 200 francs, ce qui est une grosse somme pour un paysan. Les
pâturages sont, le plus souvent, des biens communaux, mais on cite
des montagnes qui appartiennent entièrement à telle famille prin-
cière ; on les loue au bâciu moyennant une redevance en argent ou en
nature. Le bàciu, chef de l’exploitation de la stîna, sorte de fermier,
est parfois le propriétaire lui-même ; le plus souvent, c’est un paysan
qui est payé, en moyenne, 40 francs pour tout l’été. Les bergers
(ciobani) qui sont sous ses ordres sont payés en nature à raison de
2 brebis pour 100 têtes de bétail qui leur sont confiées. E n général,
un cioban a de 200 à 300 brebis à garder; le prix d’une brebis est
de 10 à 12 francs au printemps ; un bélier en vaut 15 à 20 h
Suivant l’étendue et la bonté des pâturages qui en dépendent, la
stîna peut grouper autour d’elle de 1,500 à 3,000 moutons ; elle peut
avoir de 4 à 12 ciobani, sans compter le bâciu, les femmes et les
petits enfants.
Le costume de tous ces gens est celui des paysans transylvains
pendant l’hiver : tunique de toile aux larges manches, serrée à la
taille par la ceinture de cuir brodé (chimir) et retombant par-dessus
le pantalon étroit de drap grossier blanc ; gilet en peau de mouton
(pieptar), les poils tournés en dedans, la peau ornée de broderies
rouges et noires parfois délicates (v. planche E). La câciula, sorte
1. Toutes ces évaluations ont été recueillies dans le massif du Paringu.
de bonnet à poil de forme écrasée, et le cojoc, lourd manteau en peau
de mouton, qu’on porte sur les épaules avec les manches pendantes,
complètent cet ensemble et donnent au cioban, penché sur son bâton,
un air étrange de bête. Les femmes, comme les hommes, portent le
pieptar et le cojoc; Yopreg, double tablier pendant par devant et pair
derrière, par-dessus la chemise longue, remplace généralement la
iota, pièce d’étoffe enroulée et serrée à la taille par une ceinture, qui
laisse moins de liberté aux mouvements. La chaussure est la même
pour les deux sexes : simple feuille de cuir repliée, grossièrement
cousue du côté des orteils, et fixée au pied par des courroies de cuir
qui s’enroulent autour des chevilles. C’est Yopinca de la plaine, qu’on
renforce seulement, parfois, d’une double feuille de cuir à l’endroit
qui correspond à la semelle de nos souliers. La coiffure féminine
varie davantage que celle de, l’homme ; c’est, tantôt le petit chapeau
de feutre rond (palaria), tantôt une sorte de turban analogue au
conciu, tantôt le simple fichu (tistimel) retombant sur les épaules.
La vie du cioban est simple. Le matin, avant l’aube, il .quitte sa
place au coin du feu, mange, avec un oignon, une poignée de mama-
liga froide, appelle ses chiens, et, rassemblant ses brebis, monte vers
son pâturage. Toute la journée on le verra suivre les crêtes, d’où il
surveille son troupeau, qui paît dans la haute vallée, dégringolant
de rocher en rocher à la moindre alerte. Appuyé sur son bâton, enfoui
sous son cojoc, la câciula tombant sur les yeux, il peut rester des
heures sans bouger sous la pluie. Souvent il emporte, dans un sac,
quelques poivrons rouges avec une tranche de mamaliga, et ne rentre
dîner que le soir. Quand la stîna est située assez bas et que les pâturages
s’étendent très haut, il reste parfois plusieurs jours sans redescendre,
passant la nuit dans sa coliba, cabajne en pierres sèches, couverte
de branchages et de mousse, où deux personnes ont juste de
quoi tenir. Des enfants de 12 ans restent ainsi seuls, à 2,000 mètres
de haut, gardant plusieurs centaines de brebis, et les défendant, au
besoin, contre l’ours. U n grand feu, qu’on attise toutes les heures,
est le meilleur préservatif.
Le cioban n ’est pas insensible à la nature, mais il la comprend à sa
manière. Le pittoresque des escarpements sauvages, des cirques semés
de lacs et encombrés d’éboulis ne le charme pas, ce sont là, pour lui,
de vilains endroits « loc urît; » il leur préfère l’horizon monotone
des pentes gazonnées, où son troupeau trouve toujours une herbe
savoureuse. C’est vers ces pâturages qu’il regarde toujours, quand