La difficulté des communications tend à diminuer de plus en plus
le nombre des bergers transylvains, qui viennent paître leurs troupeaux
sur le versant valaque, et vendent leur fromage dans la plaine
de Fogarash. Sur les pentes gazonnées, à la limite de la forêt, on
trouve plus d’une stîna abandonnée. Les pâturages du Negoiu et
du Mozgavu sont cependant encore occupés par des Poenari. Mais
ce n’est pas au voisinage de la crête, que sont les plus nombreuses
Stîne, c’est plutôt sur le flanc des longs contreforts qui descendent
en pente douce vers le S., séparés par les vallées profondes de Capra,
Buda, Scara, etc. Là s’étendent au-dessus de la forêt de sapins, mêlés
de hêtres dans le fond des vallées, de vastes pâturages ; des sentiers
suivent chaque crête et le feu des Stîne brille le soir, tout le long
de ces croupes aux formes lourdes et massives.
La chaîne méridionale des Fogarash n ’a nulle part la sauvage
grandeur de la chaîne du Negoiu. Ce n’est que dans le massif de
Jeseru qu’elle s’épanouit en un bloc montagneux assez compact,
dépassant 2,400 mètres à Papuça et Jeseru Mare, creusé surtout sur
le versant N. et E. de cirques grandioses. La vie pastorale est ici
très active, surtout sur le versant S. où s’étalent de larges crêtes herbeuses
comme Vâcaria; mais la plupart des bergers sont valaques,
les moutons et les stîne appartiennent à de riches paysans de Rucar
ou des environs. Pour ces gens, la profonde coupure de la Dâmbovifa,
qui c&ule du S.-O. au N.-E., est une vraie limite qu’on franchit rarement.
On vous montre Dara et le Berivoescu presque comme un
pays étranger. Le massif de Jeseru est vraiment, pour le peuple lui-
même, une individualité géographique.
A part le Cozia et les deux cimes soeurs du Frunte et du Ghifu, le
reste de la chaîne méridionale est sans grande importance. La forêt
y monte bien moins haut que dans la chaîne septentrionale; presque
entièrement formée de hêtres et de bouleaux sur le versant S., elle
est plus riche en sapins sur le versant N. C’est cependant encore une
barrière qui rend assez difficile l’accès de la dépression centrale
des Fogarash. Les rivières la traversent en des gorges d’une sauvagerie
telle, que les sentiers muletiers s’élèvent sur les crêtes à
1,500 mètres pour les éviter. Des gorges comme celle de l’Argeç, ne
sont pratiquées que par les bûcherons; c’est par là qu’on descend les
troncs d’arbres abattus dans la haute montagne. Sans cette difficulté
d’accès, nul doute que des vallées comme celles du Topolog et de
l’Argeÿ, n ’aient pu abriter quelques hameaux. On n’y trouve que
quelques bergeries et quelques troupeaux de vaches et de moutons.
La dépression centrale des Fogarash ne s’anime un peu que là où
elle a un débouché facile vers une grande voie de communication,
vers la vallée de l’Oltu. C’est dans la partie occidentale, où les deux
chaînes qui l’encadrent atteignent leur écartement maximum et
laissent même place à l’intercalation du bassin tertiaire de Titesci
draîné par plusieurs rivières qui se jettent directement dans l’Oltu.
Il y a là une région où la densité de la population n’est pas différente
de celle qu’on observe en moyenne dans la zone des collines.
III
Le massif des Fogarash est en somme l’individualité montagneuse
la plus nette, la plus complète, la mieux délimitée de tout l’arc kar-
patique valaque. A côté de lui, un observateur placé assez haut pour
embrasser d’un coup d’oeil toute la chaîne, distinguerait aussitôt
le m a ssif d u P a rin g u .
Qu’on l’observe du bassin de Pétrosény, des cimes du Retiezat, des
monts du Tulcan, ou de la dépression de Târgu Jiu, on le reconnaît
comme une bosse arrondie, dominant de plusieurs centaines de
mètres toutes les montagnes voisines. En suivant la route de îiovaci
à Târgu Jiu le profil de sa crête, d’aspect un peu lourd, montre une
série d’ensellements peu marqués et de sommets en forme de bosses.
Ce n ’est que des hauteurs des monts du Lotru qu’on peut deviner la
délicate ciselure de ses contreforts septentrionaux et qu’on commence
à distinguer les cirques qui donnent à son versant N. un aspect
vraiment alpin.
En fait rien n ’égale, dans les Fogarash même, les cirques grandioses
de Rosiile, de Scliveiu, de Gâuri et de Gâleescu. Leurs escarpements
superbes donnent seuls une allure hardie à des pics qui, sauf
Mândra (2,529m), ne dépassent pas 2,400 mètres. Les lacs sont innombrables
dans ces cirques qui égalent en sauvage beauté les vallées
les plus renommées des Pyrénées 1. Le contraste des deux versants est
dû à une extension différente des anciens glaciers, plus développés
sur le versant N. où les pentes sont en général plus douces, et réduits
1. Nous avons analysé ailleurs en détail la morphologie des cirques du Paringu
et ses rapports avec la période glaciaire (Recherches sur la période glaciaire dans
les Karpates méridionales, Bull. Soc. Sc. Bue., 1900).