y est réduit à sa plus simple expression l. E n fait, si superstitieux
qu’il soit, le paysan roumain est peu porté à personnifier les forces
physiques et à s’entourer d’êtres mystérieux. La nature lui paraît
relativement simple. La maladie seule l’effraye, et c’est pour l’expliquer
que sont imaginés presque tous les personnages fantastiques
des contes et des croyances populaires. Encore, peut-on juger par
leurs noms, le plus souvent slaves, et par des analogies faciles à
établir, que l’origine de ces croyances est le plus souvent étrangère :
tels, le Sbunitoriu, qui tourmente les femmes enceintes 2, le Strigoiu
(vampire), qui vient sucer le sang des hommes et des animaux ; tels,
les Vercolaei, âmes des enfants morts sans baptêm e3, les Ursif.e,
femmes envoûteuses4 ; tel encore, cet A/uestitu, aile de Satan, qu’on
retrouve chez les Serbes et en Moravie, et contre lequel on récite
une sorte de prière racontant son combat avec saint Michel 5. - -
Le merveilleux joue, dans les contes, un rôle aussi restreint que
dans la vie du paysan. Mais ils empruntent à la personnalité du
narrateur un caractère dramatique que l’on ne peut soupçonner
à la lecture. Tel vieux conteur s’anime, esquisse des gestes, roule les
yeux, change l’expression du visage, comme un véritable acteur.
U n fait curieux à signaler encore, est la richesse des historiettes
satiriques, où le pope, le tzigane, le neamfu (l’étranger) et le cio-
coiu (parvenu), sont tournés en ridicule. La même tendance se
retrouve dans un grand nombre de formulettes et couplets asso-
nancés. Elle inspire souvent les chants de danse (hore), où fleurit
le coq-à-l’âne et l’ironie.
La poésie populaire 6 est surtout remarquable par l’absence d’un
cycle épique et religieux, et par la richesse et la beauté des manifestations
des passions. Les grands personnages des chants populaires
roumains, où se reflète la tendance naturelle à l’homme à
célébrer des actions d’éclat, sont les haiduci, les brigands, aussi
nombreux, jadis, en Yalachie, aussi respectés du petit peuple, et.
aussi redoutés des grands, que dans les parties les plus sauvages de
la péninsule balkanique. C’étaient, d’ailleurs, presque toujours des
1. Saineanu. Basmele, pp. 22-23.
2. M a r ia n ü . Naseerea la Romani, pp. 23 et sqcp
3. Marianü. Naseerea la Români,
4. Marianü. Vraji, farmece, p. 145.
5. Marianü. Naseerea, pp. 26 et sqq.CI. Haçdeu. Etymologieum Magnum, p. 2165.
6. Voir p o u r la Bibliographie Sa in e a n u . Istoria filologiei romane.
paysans révoltés, las de payer l’impôt et d’être battus et pillés à
chaque saison nouvelle I.
Les chants de fête, de nature plus ou moins religieuse (colinde),
étudiés surtout en Transylvanie, ne prêtent à aucune remarque intéressante.
Leur pauvreté est cependant un indice du manque complet
de sentiment religieux, signalé plus d’une fois chez le paysan roumain.
La religion ne représente pour lui qu’un ensemble d’habitudes
et de pratiques : jeûnes, présence à l’église le dimanche,
génuflexions devant les icônes, qu’il respecte avec le même soin
superstitieux que les anciennes coutumes et les fêtes païennes, conservées
encore surtout dans les régions montagneuses : fête des
brebis, fête des loups, fête de Baba Dochia, etc. s.
Ce qui a, dès longtemps, attiré l’attention des curieux de poésie
populaire, ce sont les doine, chants passionnés et tristes, que le
lâutar accompagne sur le violon. La haine et l’amour y trouvent
des expressions dont la vivacité et la beauté contrastent avec l’insignifiance
des formulettes et récits soi-disant religieux. Telle doina,
célébrant la colère concentrée du Roumain contre les envahisseurs
étrangers, et contre le ciocoï, a, dans sa sauvagerie, une réelle
grandeur :
Corbeau, corbeau petit frère, pourquoi croasses-tu au soleil? As-tu faim?
As-tu soif? ou veux-tu t’eu aller dans la verte forêt? J ’ai faim, j’ai soif et
je voudrais être dans la forêt verte. Je mangerais des coeurs, je boirais du
■ sang de païen ; je mangerais des feuilles de ohêne et je boirais du sang de
Tartare ; je mangerais des ruches de miel et je boirais du sang de ciocoï 3.
Mais c’est l’amour que la doina se plaît surtout à exprimer;
encore sa note est-elle le plus souvent triste. La musique qui l’accompagne,
avec ses fioritures donnant un cachet particulier aux mélodies,
conçues en des modes anciens, est, d’habitude, langoureuse et
plaintive. Les chants du lâutar roumain, qui traîne la voix et vibre
d’une façon parfois énervante, n’ont rien de la nerveuse sauvagerie
qui fait l’originalité de la musique hongroise.
1. Voir C kaciu n esco. Le peuple roumain d’après ses chants nationaux, chap. VII,
et P . E l ia d e , op. cit., p. 25.
2. Voir Ma ria n ü . Serbâlorile la Români, I. Cârnilegile, spéc. pp. 112 et sq q.
3. Alexandri, Poésies pop., p. 246.