Que peut-on retenir de tous ces débats ? Pour qui lit avec attention
les solides travaux de Onciu et ïïaçdeu sur l’origine des principautés
roumaines *, il semble qu’un rapprochement soit possible et prochain
entre les Roesslériens et leurs adversaires. Déjà Nàdejde a présenté
une sorte de compromis, admettant la formation de la langue roumaine
au S. du Danube et la continuité de l’élément roumain sur le
sol de la Dacie trajan e2. Il est évident que les traces de la colonisation
romaine n ’ont jamais complètement disparu de l’Olténie et du
Banat, mais il est très vraisemblable que la plus grande partie de
la Yalachie est restée pendant plusieurs siècles une sorte de désert
traversé par des hordes barbares, et que le peuplement en a été dû
en grande partie à l’immigration des Roumains transdanubiens.
I I I
La question si embrouillée lorsqu’on l’envisage en historien ou en
philologue., gagnerait a etre considérée a la lumière des faits géographiques.
Ce que l’on peut observer actuellement, n’est peut-être pas
si différent qu’on le croit du passé.
Si nous examinons la répartition des Roumains, nous les voyons
formant un groupe compact autour de l’axe des Karpates méridionales
et disséminés à l’état sporadique tout le long des hautes montagnes
qui forment l’ossature de la péninsule balkanique. Là où le
Roumain est seul possesseur du sol, il occupe aussi bien la plaine
que la montagne et se livre aussi bien à l’agriculture qu a 1 élevage ;
là où il est en petit nombre, il est exclusivement montagnard, pasteur
nomade et transhumant. C’est la condition des Yalaques du
Rhodope 3, du Pinde et de l’Olympe 4.
Même en Yalachie, on remarquera que la densité de la population
est beaucoup plus forte en moyenne dans la zone montueuse des
collines que dans la zone des plaines. C’est la première qui paraît
avoir été de tout temps la plus habitée, c’est là que la distribution
1. O n ciu . Origínele principatelor române. — H a çd eu . Istoria critica Romântlor
—Radu Negru, loc. cit.
2. N a d e d j e . 0 socoteala, loc. cit., p. 451.
3 . Jib e c e k . Das Fürstentum Bulgarien.
4. W e ig a n d . Die A-Romünen.
des hameaux et des villages a le type proprement roumain ; le peuplement
de certaines régions comme le Bärägan et la terrasse du
Buzeu est de date tout à fait récente.
Nous avons déjà eu l’occasion de montrer l’antiquité de la vie pastorale
chez les Roumains. Constamment en mouvement, libres de
toute influence .étrangère, les pâtres valaques ont certainement contribué
à m aintenir et à propager la race daco-romane. La continuité
des Karpat.es et des Balkans leur a permis de pousser très loin leurs
migrations. Dès le X IIe siècle, on les trouve en Gralicie 1, et à partir
de 1220, on a toute une série de diplômes royaux et de décisions de
chapitres, qui sous le nom de Blachi, Blacci, Olahi mentionnent les
Roumains formant de petites colonies tout le long des Karpates en
Transylvanie et en Yalachie 2. La lente descente de l’élément montagnard
vers la plaine s’observe encore à l’heure actuelle où l’on
voit une partie du Bärägan se peupler de Mocani. La période des
invasions barbares a pu arrêter un instant ce mouvement ; il a dû
reprendre dès que l’empire bulgare a assuré une certaine tranquillité
aux provinces danubiennes, interrompu encore souvent, mais toujours
prêt à recommencer.
Si pour les pâtres le passage était facile des Karpates aux Balkans,
c’est aussi au voisinage des Portes de Fer que le mélange devait se
faire naturellement entre les populations riveraines du Danube.
C’est là que le fleuve offre la traversée la plus aisée ; plus bas les
marécages qui encombrent sa large vallée sont une barrière qui vaut
une chaîne de montagnes. Actuellement le mélange des races roumaine
et bulgare est aussi frappant dans le département de Dolj en
Yalachie, que dans celui de Yiddin en Bulgarie. On peut considérer
comme très vraisemblable que l’Olténie et le Banat ont conservé,
même après la retraite des légions d’Aurélien, un certain nombre
de colons romains, que le sang daco-romain y a été entretenu par le
passage des pâtres, dans la partie montagneuse, et que c’est là que
s’est tout d’abord porté le courant d’immigration qui devait repeu-
IrNicelas Chômâtes, cité par T om asch ek et M ik lo s ic h , op. cit.
2. Diplôme d’Andréas, roi de Hongrie, 12-22, n" 18, p. 17 ; du même, 1223, n” 23,
p. 23 ; du même, 1224, n" 28, pp. 28-31 ; de Béla, 20 août 1252, n" 68, p. 70 ; de André,
11 mars 1291, n" 170, p. 167 ; du même, 1293, n" 191, p. 186 ; Capitulum ecclesie
transylvane, 1231, n" 49, p. 50 (Urkundenhuch zur Geschichte Siebenbürgens, Fontes
Rer. Austriac., 2" Abth., t. XV). Le dernier texte a été interprété par les partisans
de la continuité d’une façon absolument contraire au sens (H açdeu. Istoria critica.
— L ehm ann . Rumänien, loc. cit.). . ,