I
Le groupement des villes valaques est assez net. La plupart sont
alignées sur deux files longeant le Danube et le bord extérieur des
Karpates; les villes de plaine, qui sont d’ailleurs les plus importantes,
apparaissent isolées, comme Craïova et Bucarest. On reconnaît
facilement, dans cette disposition, l’influence de la voie commerciale
du Danube et des routes transkarpatiques. Si l’on veut
serrer de plus près l’analyse, en essayant de trouver la raison de
la position de chaque ville, on s’apercevra que la Yalachie n’est
pas de ces pays où les causes physiques déterminent seules l’emplacement
des centres urbains.
A la vérité, le seul cas où le relief dicte, d’une façon indiscutable,
le choix d’un emplacement, est celui où la ville est d’abord un refuge,
un oppidum, ou se groupe autour d'une citadelle. Si le type de la
ville-forte et de la ville-citadelle est fréquent, en bien des pays, on
n’en connaît aucun exemple en Yalachie. Ce pays, si souvent parcouru
par les armées ennemies, n ’a pas cherché à se défendre par des
fortifications. Au temps où la civilisation féodale couvrait l’Europe
occidentale de burgs, la Yalachie, très peu peuplée, était parcourue
par des bandes nomades. D’ailleurs, les positions fortes naturelles
y manquaient. La rive danubienne est plate ; à l’intérieur, les éperons
détachés par l’érosion des collines tertiaires, sont formés de couches
trop meubles, pour qu’on puisse y asseoir en sécurité un château.
Ce n’est que dans la montagne qu’on montre encore, perchées sur des
rocs inaccessibles, des ruines qu’on appelle Cetatea lui Tepes, Cetatea
Neamtului, etc. Ces nids d’aigles ne pouvaient grouper autour d’eux
aucune population.
Les villes valaques appartiennent à un type tout différent. On les
trouve, en général, là où la population est le plus dense. Ce sont des
villes-marchés ou des villes-carrefour s, qui doivent leur naissance
à l’établissement d’une foire, ou au commerce, qui tend toujours à
se localiser au croisement des grandes routes. Les unes et les autres
dépendent, avant tout, de la position des voies de communication.
Or le relief du sol de la Yalachie, avec ses vastes plaines s’étendant
de l’E. à l’O., et ses larges vallées N.-S. découpant la masse des
collines tertiaires, permet la circulation aussi bien dans le sens
longitudinal que dans le sens transversal. Les seuls obstacles qu’elle
y oppose sont le Danube et les Karpates. C’est là que les conditions
physiques reprennent leur empire, et qu’on voit la ville s’établir au
point où le passage du fleuve est le plus aisé, à l’endroit où la pénétration
dans la montagne offre le moins de difficulté. C’est même là
que les centres urbains seront le plus nombreux, car, partout ailleurs,
aucune loi naturelle ne commande le groupement de la population
à un endroit plutôt qu’à un autre.
La situation des villes de la bordure karpatique justifie ces
remarques. Elles commandent une vallée traversant la chaîne de part
en part, comme Târgu Jiu, à l’issue de la percée du Jiu, Râmnicu
Yâlcea, à celle de l’Oltu, Buzeu, à celle du Buzeu; ou marquent le
débouché d’une vallée qui conduit à un col fréquenté, tels Pitesci et
Câmpullung, sur la route du col de Bran vers Kronstadt, tel Ploiesti,
occupant le carrefour des routes de la Prahova, par Predeal, et du
Teleajen, par le Bratoç. Placées au contact de régions naturelles
d’aspect et de ressources variées, elles sont aussi des villes-marchés,
où, de temps immémorial, se concentre le commerce local en rapport
avec l’agriculture et l’industrie domestique.
Ces villes sont les plus anciennes de la Yalachie. Râmnicu-Sârat
date du 5 Y e siècle 1 ; Buzeu existait déjà, comme ville et comme
marché, sous Alexandre Bassarab 2. C’est dans de vieilles villes épis-
copales, comme Râmnic, dix fois pillée par les Turcs, ou d’antiques
cités commerçantes, comme Câmpullung, première capitale de la
principauté valaque, et restée longtemps une sorte de petite
république autonome 3 ; c’est dans ces anciennes métropoles, dont
quelques-unes sont déchues au rang de village, comme Curtea de
Argeçî, que sont tous les souvenirs artistiques et historiques d’un
pays tant de fois ravagé 4. C’est là que s’est développée et que se
conserve encore le mieux cette activité commerciale, particulière
aux pays agricoles, et qui se manifeste par les marchés (târg) et les
grandes foires (balciu).
Le grand balciu de Rîureni, près de Râmnic, celui de Dragaica,
aux portes de Buzeu, dont parlaient déjà les chrisov des Bassa-
1. G. Da n e s c u . Dict. Géogr. Jud. Râmnicu-Sàrat, p. 420.
2. Iorgulescu. Dict. Géogr. Jud. Buzeu, article Buzeu (excellente notice historique).
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3. Voir plus haut, cliap. XI. i. Eglise de Curtea de Argeç, de Câmpullung, etc.