XI est vrai que les adultes sont loin, d’avoir la vigueur qu’on pourrait
attendre d enfants élevés à la dure. La proportion des exemptions,
pour défaut de taille ou infirmités, parmi les jeunes gens appelés
au service militaire en est la preuve 1.
L insuffisance de la nourriture et le surmenage physique chez les
deux sexes sont considérés, à juste titre, comme la cause de cet état.
On cite, à ce propos, l’observation caractéristique d’un grand propriétaire
rural : le paysan roumain fait trois fois plus d’ouvrage, au
début, que le bulgare ou le hongrois, mais, au bout de trois jours,
il est ramolli pour le reste de la semaine2. C’est tout le tempéram
ent du Roumain, travailleur plein d’entrain, ne comptant pas
avec sa peine, mais vite fatigué, tant à cause fie la nourriture insuf-
sante, que du surmenage auquel il se laisse entraîner.
I I I
La vie matérielle du paysan, en Valachie, est, en général, assez
misérable. On aimerait à connaître un peu sa vie morale. Les sentiments,
les conceptions, le caractère du paysan ne sont nulle part
chose négligeable pour qui veut se rendre un compte exact des conditions
de la vie rurale. Les usages sociaux qui, dans les pays agricoles
arriérés, conservent encore les traces de tout un passé primitif,
offrent au géographe, comme a l’ethnologue, un sujet d’observations
intéressantes, et, si l’on a toujours peine à en démêler les origines,
on y trouvera souvent des faits curieux dont la localisation pourrait
conduire à des conclusions importantes.
Le paysan roumain est difficile à connaître. Sa nature semble
fermée plus encore que chez la moyenne des populations rurales.
La méfiance et l’inquiétude sont un des traits apparents de son
caractère, qu’on a le plus souvent noté. Interrogez le Român qui
guide la charrue, ou la femme qui ramasse les épis de maïs, vous
verrez se tourner vers vous un visage défiant et triste ; vous n’obtiendrez
qu’une réponse vague, comme si on craignait de se. compromettre.
Parlez-lui, même des choses qui l’intéressent le plus, de la
récolte, du temps, de sa vie, vous n’en tirerez rien qui puisse révéler
une tendance quelconque.
1. T s tra tj. Une page de notre histoire contemporaine, Bucarest, 1880. Les chiffres
de la période postérieure, quoique meilleurs, sont encore peu satisfaisants (Fé l ix . Geografla medieala României, loc. cit.).
8 . Crainiceanu, op. cit., p. 270,
Ce n’est pourtant là qu’une apparence. La nature du paysan roumain
est sensiblement plus gaie, plus insouciante, que celle du
paysan bulgare. Le tout est de savoir choisir le moment où il se
livre. Voyez-le le dimanche, chez \e carcium ar.il restera des heures
et des heures frappant des pieds, claquant des mains en cadence, et
reprenant en choeur le refrain des chansons monotones que le violon
infatigable du Idutar répète du m atin au soir, tandis que les bouteilles
de ¡fwïc«,sans cesse renouvelées, circulent de main en main.
Au Bà.lciu, à la grande foire qui met en mouvement tout le pays,
on le verra tirer sans compter les para de sa ceinture, pour acheter
un mouchoir brodé, une cocarde, un bouquet de fleurs artificielles.
L’économie n’est pas son fait, il ne sait pas songer au lendemain,
et c’est ce qui explique en partie l’insuccès des tentatives faites
pour améliorer sa condition matérielle.
Pour se rendre compte de ce fond d’insouciance et de gaiete, qui
caractérise la nature du paÿsan valaque, il faut le surprendre en
dehors des jours de travail, au milieu de l’animation d’une fête.
C’est alors seulement qu’on peut saisir un peu ce qu’il est, ce qu’il
pense, ou, du moins, ce qu’il aime. Rien de tel qu un tour de hora
et un verre de fuica pour délier la langue, pour faire jaillir les
plaisanteries (glume), les dictons satiriques. Dans les fêtes et les
banquets qui accompagnent les grands actes de la vie : naissance,
mariage, enterrement, le Roumain donne libre carrière à son imagination.
C’est là surtout qu’il faut venir l’observer. Une foule
d’usages singuliers y sont conservés avec un soin jaloux, reflétant
les conceptions les plus anciennes sur le monde et sur la vie, révélant
les tendances les plus intimes de l’âme du paysan.
La richesse de la littérature orale et la fidélité aux coutumes les
plus antiques, dans les pays roumains, ont depuis longtemps appelé
l’attention des folkloristes, et l’abondance des m atériaux réunis est
telle, qu’on attendrait des conclusions intéressantes de leur coordination,
Malheureusement, de toutes les provinces roumaines, la Valachie
est celle qui a été le moins étudiée à ce point de vue. Les
recherches du P. Marian ont porté surtout sur la Bukovine, le N. de
la Moldavie et la Transylvanie h C’est encore en Moldavie et en
1. M a rian u . Nascerea la Borné,ni,- in-8°, 440 p., Bucarest, 1892. — Nunta la
Români, id., 856 p., 1890. — Inmormintirea la Romani, id., 593 p., 1892. — Serbâ-
torile la Români, I, Cârnilegile, 290 p., 1898 ; II, Parasemile, 310 p., 1899. — Des-
cântece populare, Succava, 1886, etc., etc.