On a remarqué avec raison que l’expression : limite de la foret,
était une véritable abstraction, et l’on a proposé de distinguer la
limite de la forêt dense, ou limite principale (Hauptwaldgrenze), et
la limite des arbres isolés, ou limite supérieure 1. Faute de faire
cette distinction, on s’expose à comparer des données se rapportant
à des faits différents.
Pendant près de six mois de recherches actives dans les Karpates
valaques, nous avons fait de nombreuses mesures d’altitude se rapportant
à la lim ite inférieure. La hauteur moyenne qu’elles nous
donnent est de 1,605 mètres. Ce chiffre est inférieur de 500 mètres
à celui qui est admis en général pour les Alpes 2 ; il n’est pas loin
de celui que Drude trouvait pour les Karpates septentrionales (Haute
Tatra), mais s’écarte notamment des chiffres donnés jusqu’à présent
pour les Karpates méridionales 3.
Il est juste de remarquer qu’on doit distinguer entre les forêts de
conifères et celles exclusivement formées de hêtres. Dans ce dernier
cas, la limite peut s’abaisser à 1,200 ou 1,300 mètres et ne monte
guère au-dessus de 1,500 mètres. La moyenne de la limite de la
forêt de hêtres est de 1,447 mètres, celle de la forêt de sapins est de
1,650 mètres. C’est encore 150 mètres plus bas que le chiffre donné
jusqu’à présent. Cette différence peut s’expliquer par le fait que la
plupart des auteurs ont étudié la limite de la forêt sur le versant N.,
ou l’ont calculée d’après la carte autrichienne, au 75,000e, qui ne
figure, à la fois, la limite des arbres et les courbes hypsométriques
de 100 en 100 mètres, que sur le versant hongrois. La plupart de nos
mesures se rapportent, au contraire, au versant ¡5.
Ce serait donc sur le versant S. que la limite de la forêt serait la
plus basse dans les Karpates valaques, contrairement à ce que l’on
constate généralement dans les hautes montagnes de la zone tempérée.
Cette anomalie est, en effet, la règle, toutes nos observations
le prouvent, et nous avons pu la mettre facilement en évidence, en
calculant la limite de la forêt pour les huit expositions principales
(v. fig. 18).
1. Dr u d e. Die Vegetationsregionen der N. Zentralkarpaten, Pet. Mitt., 1894,
pp2. . 175 et sqq. D ru d e . Manuel de Géographie des Plantes, tr. Poiraut. Dans l’Ortler la limite
de la forêt serait en moyenne de 2,100 mètres (Fritsch. Höhengrenzen in Ortler
Alpen Dis. Leipzig).
3. D ru d e . Atlas der Pflanzengeographie (Berghaus Physikalischer Atlas). —
L ehm ann . Die Südkarpaten, loc. cit. Das Königreich Rumänien. — V a sile scu ,
op. dt. — P a x . Grundzüge, p. 125.
On trouve que ce sont les versants tournés vers le S. et l’L. qui
présentent, en général, la
limite la plus basse. Il y
a là une preuve évidente
que la température et l’insolation
sont loin d’être
les facteurs les plus importants
de la végétation. Les
études sur la limite polaire
des arbres l’ont déjà
montré mais il ne semble
pas qu’on en ait jusqu’à
Figure 19.,-sh Limite de la forêt dans les
présent tenu assez compte
Karpates valaques, suivant l’exposition.
dans l’interprétation des zones de végétation en montagne.
Si l’on se rappelle que les vents pluvieux, en Valachie, sont ceux
venant de l’E. et du S., et que les pentes montagneuses les plus
arrosées sont celles qui sont exposées à ces vents, on aura déjà une
première raison qui explique l’anomalie constatée. Toutes choses
égales d’ailleurs, ce sont les massifs les plus pluvieux où la limite
des arbres est le plus basse. Dans les monts de la Cerna, elle descend
à 1,490 mètres, alors qu’elle s’élève à 1,690 dans le Paringu, 1,630
dans les monts du Lotru, 1,620 dans les Fogarash. Il est intéressant
de constater que cet abaissement est en relation avec celui de la
limite des neiges éternelles pendant la période glaciaire (v. chap. V).
On n’a peut-être jamais songé à remarquer que la limite moyenne
de la forêt, dans les Alpes, semble coïncider avec la zone où les
précipitations atteignent leur maximum. D’après les calculs que
nous avons établis (v. chap. Y I), il en serait de même pour les K arpates.
La zone des précipitations maxima étant plus basse sur les
versants exposés aux vents pluvieux, la limite de la forêt subirait
le même abaissement. Des observations précises nous seraient utiles
pour préciser ces relations.
Il y aurait intérêt aussi à étudier la vitesse moyenne du vent.
C’est un facteur de la limite des arbres dont toute l’importance a été
montrée dans les contrées circumpolaires, et dont le rôle est considérable
en montagne. Les vents dominants étant, en Yalachie, des
1. K iiilm ann. Pflanzenbiologische Studien aus Russisch-Lappland, Helsingfors,
1890, cité et analysé par Schimper. Pflanzengeographie auf physiologischer Grund-
lage, Iena; 1898.