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aux X I \ 0 et X \ e siècles, daus les lois de Dusan et d’Alexandre le
Bon et dont Strabon et Ptolémée avaient déjà entendu parler 2,
existent encore en assez grand nombre dans les régions steppiques
du Bârâgan, de Teleorman et Doïj. Ce sont les bordei, reliques d’un
passé peut-être aussi ancien que les trulli des Pouilles, en Italie.
Dans un pays où la pierre est. aussi inconnue que le bois, ces trous,
creusés dans le sol en forme de cave, où l’on descend par un couloir
(gârliciu) recouvert d’un toit en pente, présentaient en somme un
abri commode contre les terribles froids d’biver, et un refuge assez
sûr où l’on pouvait espérer échapper à l’oeil de l’ennemi toujours
en campagne. Le toit du gârliciu est généralement en branches ou
roseaux tressés ; il est supporté par des piquets qui sont parfois eux-
mêmes réunis par un lacis de branchages 3.
Les bordei tendent de plus en plus à disparaître comme maison
d habitation i, mais on les trouvera encore longtemps servant de
cellier, pour garder, en hiver, les provisions que gâte la gelée. Les
tziganes sédentaires ou demi-nomades habitent presque tous des
bordei. Le paysan roumain lui-même abandonne difficilement ses
anciennes habitudes. Les règlements administratifs publiés contre
les bordei, et donnant des règles pour la construction des maisons *
sont souvent impuissants contre la routine 6. Les maisons en brique,
recommandées par ces instructions, sont encore très rares.
On en trouve çà et là quelques-unes, réalisant un type d’habitation
très curieux et assez répandu dans tout le X. de la Péninsule
balkanique. De loin, ces constructions carrées et massives, aux murs
aveugles à peine percés d’une porte basse et de deux ou trois fenêtres
étroites comme des meurtrières, avec une galerie élevée à 8 mètres
au moins au-dessus du sol, ont un air de forteresse guettant l’ennemi
(v. planche I). Ces maisons, qu’on retrouve, sous le nom de kula,
en Bulgarie, en Macédoine, en Albanie, en Herzégovine 7, sont sou-
1. Archiva Istorica, III, p. 121 ; I, p. 121. — C rainiceanu, p. 40.
2. S trabox, \II, 5, 25, ompctroïict... rai ai Tpo>ykoSinou reyop.svoi... Ptolémée. III, 10, 4. Cf. ; Pline, IV, 80.
3. Voir dans Manolescu. Igiena tëranului, fig. 9, p. 43, vue d’un Bordeiu typique..
4. En 1892 il y avait encore 50,000 bordei en Valachie (Dolj 15,762, Teleorman
10,905, Romanaji 5,647, Oit 5,637, Vlaçca 1,571). •— F él ix , Raport de Igiena Rega-
tului, 1893, p. 90, cité par Crainiceanu. Igiena jëranului român, p. 45.
5. Regulamentele pentru aliniarea satelor çi construiras locuinfelor I.Sranesci,
publiés en 1888 et 1894 (Monit. offic., 14 juin 1894).
6 . C rainiceanu, op. cit., pp. 47 et sqq. Revue des habitations de chaque département,
d’après les rapports des médecins, parus dans le Monit. .offre.
7. Jirecek. Das Fürslentum Bulgarien, p. 163.
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vent isolées, un peu à l’écart du village. C’était l’habitation de
quelque boyard campagnard, qui se croyait là à l’abri du Turc. La
plupart tombent en ruines, le paysan leur préfère sa maison étroite,
obscure, malsaine, mais où l’on entre de plain-pied et ou tous les
objets sont sous la main.
Même dans la montagne, les maisons en pierre sont rares : « Il a
une maison en pierre » (Are casa de zid) èst l’expression de la plus
grande richesse. Dans la plaine, où l’on pourrait bâtir en briques,
on préfère encore partout le pisé. Malgré les instructions administratives,
on trouvera encore longtemps la maison basse aux fenêtres
étroites, où bêtes et gens dorment pêle-mêle l’hiver autour du poêle
malsain.
I I I
Pour comprendre la force de résistance étonnante qu’oppose, sans
mauvaise volonté, le paysan à tout changement de ses habitudes,
il faut se rendre compte de ce qu’est la vie d’un village roumain,
quel petit monde fermé représente une agglomération d’une centaine
de familles, où, de père en fils, on travaille la même terre, et
où, depuis des siècles, on n’a rien vu ni entendu qui parlât de progrès
ou d’améliorations.
Bien de plus propre à entretenir l’esprit conservateur que. la culture
de la terre, surtout telle que l’entend et la pratique le paysan
roumain, petit propriétaire qui vit presque exclusivement du produit
de son champ. Tout y conspire pour engourdir l’initiative, pour
ramener sans cesse les mêmes images, les mêmes idées, le même
cercle d’occupations. Depuis les neiges de janvier qui bloquent
dans la maison étroite, hommes, femmes, enfants, chiens et animaux,
en passant par les claires journées où Ton sème le maïs, les
grandes pluies de printemps, qui inondent les jardins et font sortir
tous les germes, jusqu’aux jours brûlants où l’on cueille les prunes
pour la juica et ramasse les épis dorés du maïs, c’est toujours le
même recommencement.
Quelques vieux paysans ont gardé le souvenir du « temps des
Turcs. » Alors on n ’était jamais sûr du lendemain; à l’entrée de
l’hiver arrivait le marchand grec, achetant le blé de gré ou de force ;
au printemps s’abattait le Capenlei turc ; heureux, lorsqu’on n ’avait
pas sa maison brûlée, ses bestiaux enlevés par quelque razzia, ou