E n été Slânic est une de ces villes d’eau, toute bourdonnante de
bruits de fête, de chants et de musique, qui se multiplient chaque
jour dans les Karpates.
Telle est la variété de ce riche pays des collines de Prahova-
Teleajna, où la pénétration de l’homme au coeur d’une région mon-
tueuse était facilitée par de larges et fertiles vallées. Où s’arrête-t-elle
et comment prend-elle contact avec la plaine diluviale ? c’est ce
qu’il est difficile de dire.
Lorsqu’on descend la vallée de la Prahova, on voit après Câmpina
l’horizon s’élargir. Les coteaux élevés, qui encadraient encore la
vallée jusque-là, s’écartent à gauche, et la vue s’étend sur une vaste
terrasse, dans laquelle la rivière a creusé une vallée large de deux
kilomètres, aux berges formées de cailloutis et de limon. Pas une
maison isolée, pas un arbre, au loin l’oeil découvre avec peine un
bouquet de bois. Sans aucun doute, on a quitté définitivement la zone
des collines pour déboucher dans la plaine valaque. Il n’en est rien.
Bientôt la tache verte qui pointait à l’horizon se rapproche, s’étale,
on reconnaît un bombement du sol très appréciable, coteau couvert
de vergers, de bouquets d’arbres et entouré de maisons. Un autre
coteau apparaît, puis un véritable massif de collines assez mouvementées.
Si l’on pouvait contempler à vol d’oiseau toute cette région,
on aurait l’impression de voir des îles surgir au milieu de la mer.
Les îles sont des collines formées de couches tertiaires, la mer c’est
la terrasse de cailloutis recouverts de limon qui se prolonge à l’intérieur
de la montagne le long des grandes vallées, et s’étale dans
la plaine valaque.
C’est ici qu’on peut le mieux comprendre l’importance du changement
marqué par la disparition simultanée des dépressions sub-
karpatiques et de la zone des basses collines. A l’affaissement limité
au bord des hautes Karpates, se substitue un affaissement de toute la
zone subkarpatique. De là, vient l’alluvionnement intense qui a
enseveli ici presque complètement la bordure externe des collines
de Prahova-Teleajna, ne laissant surgir que les sommets les plus
élevés, et qui a même envahi plus haut les vallées principales en y
étalant de vastes terrasses limoneuses. Les îlots tertiaires qui percent
le manteau du diluvium au N. de Ploiesti, correspondent aux anticlinaux
des couches helvétiennes et pontiennes 1, de plus en plus
1. L. Mba zec . Communication inédite.
disloquées au fur et à mesure qu’on approche du point où l’affaissement
a été le plus notable. La poussée au vide et l’influence perturbatrice
exercée par les lentilles de sel gemme 1 ont amené des
glissements, des refoulements, des étranglements ; si bien qu’on
trouve les superpositions de couches les plus invraisemblables. Ce
sont les sondages exécutés pour la recherche du pétrole qui ont permis
de découvrir cette complexité étonnante de la tectonique, cachée
sous un relief en apparence très simple 2.
Les environs de Baicoi sont presque entièrement livrés à l’industrie
du pétrole. Certains vallons, comme celui de Buçtenari, sont
criblés de trous de sonde tous les 10 ou 20 mètres. Le paysan ne
songe plus qu’à vendre son champ a l’ingenieur le plus offrant. En
général cependant, les collines tertiaires gardent leur aspect riant.
Les sommets en sont boisés, les villages se groupent tout autour, au
contact avec la plaine qui est presque entièrement livrée à la culture
des céréales. Le long des berges des grandes vallées s’échelonnent
les hameaux. Eilipesci, au bord de la Prahova, est un lieu de foires
renommées.
Toute cette région, à la fois agricole et industrielle, où la densité
de la population dépasse 70 habitants par kilomètre carré est comme
la banlieue de Ploiesci. L’attraction de la grande ville s’exerce jusqu’au
fond des vallées de Prahova et Teleajna. L ’influence même de
Bucarest y est sensible. Il n’est pas de région dans la zone des collines
d’où l’on communique plus facilement et plus fréquemment avec
la capitale. U n professeur, un ingénieur peut habiter Câmpina et
venir à Bucarest pour ses occupations. Entre les environs de Baicoi
et Bucarest ou Ploiesci, il y a une foule d’intérêts communs. La
circulation des voyageurs et celle des marchandises, dépasse sur la
ligne ferrée de la Prahova celle des voies les plus fréquentées. Nulle
part la civilisation n’a pénétré plus profondément dans le monde
sauvage des Karpates.
1. Sur le rôle joué par les massifs de sel dans la tectonique, voir Mbazec et
Teisseybe. Le sel de Roumanie, toc. cit.
2. L. Mbazec. Communication inédite. Malheureusement l’immense majorité des
précieux matériaux recueillis est perdue pour là science. Chaque société garde pour
elle les renseignements acquis, ou même jette les terres retirées pour qu’aucun
concurrent ne puisse profiter.de ses travaux.