
 
		CHAP ITR E   XV 
 La  Vie  sur le  Danube. 
 I.  La  vie  végétale. ■—  II.  La vie  animale.  — III.  L’homme.' La pêche,  
 l’agriculture,  la  circulation  commerciale. 
 I 
 La forme  et  l’âge  de  la  vallée  danubienne  ont  lés  mêmes  conséquences  
 sur le développement de la vie végétale et animale que  sur  
 le  régime  du  fleuve.  Le  sillon  relativement  étroit  et  profond  qui  
 canalise les crues dans la section supérieure du cours du fleuve, offre  
 peu  ou pas de place aux forêts  de  saules  et  aux fourrés  de  roseaux  
 géants,  où  se  cachent  les  nuées  d’oiseaux  aquatiques.  Plus  bas,  la  
 vallée s’élargit, le fleuve s’étale complaisamment, s’attarde au milieu  
 d’îles, de marais et de bras latéraux.  C’est bientôt une zone large de  
 plus  de  10  kilomètres,  qui .sépare  la  Valachie  de  la  Bulgarie,  tour  
 à tour  changée,  par  les variations  du niveau  des  eaux,  en  un  fossé  
 marécageux, et en une sorte de mer en mouvement ; région amphibie  
 d’où l’homme semble proscrit, mais où la vie animale et végétale se  
 développe avec une exubérance d’autant plus  grande. 
 Les premières saulaies, cette formation végétale si caractéristique  
 du bas Danube, n’apparaissent guère avant Calafat. C’est là que commencent  
 à  se  montrer  les  îles  basses  allongées  qui  vont  bientôt  
 peupler la vallée. La végétation, plus dense sur la berge, où l’on voit,  
 aux  basses  eaux,  les  racines  des  saules  saillir  à  l’air  libre,  forme  
 comme une barrière cachant à l’oeil tout ce qui se trouve en arrière.  
 Rien de plus monotone que la descente du grand fleuve jusqu’à Turnu  
 Mâgurele, avec l’immuable spectacle de ces îles boisées derrière lesquelles  
 tout  disparaît,  sauf  la silhouette  tantôt  plus  proche,  tantôt  
 plus éloignée de la falaise bulgare. 
 Aux  basses  eaux,  on  voit  apparaître  des  îles  sableuses  complètement  
 dépourvues de végétation.  Pour peu que leur accroissement et  
 leur  déplacement  ne  soit. pas  trop  rapide,  elles  peuvent  assez  vite  
 être envahies par quelques plantes aquatiques ; une série de maigres  
 prolongés y favorise l’établissement de quelques argousiers ou tam arins, 
   aux  feuilles  argentées  et  cendrées,  qui  préparent  la voie  aux  
 grands  saules,  capables,  lorsqu’ils  ont  bien  pris  racine,  d’atteindre  
 en un an plus d’un mètre de haut. 
 Rien ne peut donner idée de l’incroyable vigueur de cette végétation, 
   qui,  depuis ^em bouchure  de  l’Oltu,  accompagne  à  peu  près  
 constamment  le  fleuve,  atteignant  son  plus  grand  développement  
 dans la Balta, entre Calaraçi et Brâila.  On montre des  coupes d’une  
 année  qui,  a la fin de l’été,  ont  déjà  donné des  buissons  de  l m50  de  
 haut. Au bout de quatre ans, la forêt est reconstituée. C’est un fouillis  
 d arbres hauts de 7 a 8 mètres, aux branches entrelacées. 
 Si. | ’on  a pu se  plaindre  justement  que  l’étude  systématique  des  
 variétés de saules, en Valachie, soit encore à faire 1  on peut regretter  
 que 1 attention des physiologistes ne se soit pas portée sur ces organismes, 
   où  se  manifeste,  pendant  une  partie  de  l’année,  celle  des  
 crues  du  Danube  en  été,  une  sorte  de furie  de vie  et  de  croissance.  
 A  demi  engloutis  sous  le  flot  des  eaux  troubles,  les  grands  arbres  
 développent  alors  tout  un  fin  réseau  de  racines  qui  envahissent  le  
 tronc  et  jusqu’aux  branches  maîtresses,  pompant  les  sucs  nourriciers  
 et  donnant  une  poussée  de  sève  qui  fait  croître  les  branches  
 avec  une  rapidité  étonnante.  Aux  basses  eaux,  ce  chevelu,  souvent  
 empâté de boue mêlée aux flocons blancs des fruits du saule, pend le  
 long du tronc et des branches, comme une sorte de chevelure donnant  
 aux arbres  isolés un aspect  étrange 2. 
 Les  formations  de  roseaux  ne  sont  pas  moins  intéressantes.  En  
 dehors des lacs, -profonds  de plus  de un mètre,  des  gîrle  au  courant  
 rapide,  et  de  quelques  prairies  où  l’on  fait  des  essais  de  culture  et  
 laisse paître les troupeaux, elles couvrent à peu près toute la surface 
 1.  G b ecescu .  Conspeclul  Florei  Romane,  p.  742., 
 2.  M o isiso v ics v o n  M o jsv ar,  Das  Tierleben  der  Oesterreischich-Ungarischen  Tiei-  
 ebenen,  a  décrit  des  saules  à  racines  aériennes  (Luftwurzeln)  sur  le  Danube  
 hongrois  et  a  donné  la  seule  représentation  que  nous  connaissions  de  ce  curieux  
 phénomène  (p.  21),  beaucoup  moins  commun  en  Hongrie  qu’en  Valachie.