CHAPITRE V
L’Arc Karpatique. — Le Relief et l'Érosion.
I. Les vallées longitudinales. — II. Les vallées transversales, le Jiu. — III. Les
vallées transversales : Oltu, Buzeu. -SB IV. Action des anciens glaciers sur le
relief des massifs élevés.
Les forces orogéniques ne sont pas les seules qui contribuent à
la formation d’une chaîne de montagne. Comme les Alpes, les
Karpates sont loin d’être ce que les poussées intérieures les avaient
faites. Ravagées par l’érosion, elles doivent bien encore leurs
directions et les traits principaux de leur histoire, aux dislocations
tectoniques, mais le détail de leur aspect est le résultat de deux
grands faits : le creusement des vallées et le développement des
glaciers de la période quaternaire, aujourd’hui disparus.
.Ce qui différencie peut-être le plus les Karpates méridionales
des Alpes, c’est la prédominance des vallées transversales sur les
vallées longitudinales. Celles-ci sont réduites à des tronçons, dont
la longueur n’atteint nulle part 50 kilomètres. On n’y trouve pas
de grands fleuves, tels que l’Inn, la Salzach, l’Isère, la. Durance;
mais seulement des torrents comme le Lotru et son affluent la
Latorija, le Jiu l románese ou la Cerna. Ces vallées sont d’ailleurs
loin de présenter la largeur des vallées alpines ; on les' voit à
chaque instant s’encaisser en des cluses profondes comme le Lotru
de Vidra à Voineasa, le Jieju à Baraken, le Jiul románese à Uri-
kany, la Cerna en amont du Plaiu Bulzului. Seul le Lotru inférieur,
de Mâlaia à Brezoiu, élargissant sa vallée au contact des
schistes cristallins et des grès sénoniens, présente une image qui
peut rappeler certains coins des Alpes.
E n outre, au lieu de former des tronçons qui semblent se raccorder
naturellement, et que séparent des seuils peu élevés, comme
les vallées supérieures de l’Inn, de la Salzach et de l’Enns par
exemple, les vallées longitudinales karpatiques paraissent complètement
indépendantes l’une de l’autre. U n col de près de
1,800 mètres, sépare la Cerna du Jiu l románese; le Jieju et le
Lotru, descendent parallèlement vers le N. des cimes les plus
élevées du Paringu, avant de couler en sens contraire, séparés par
une crête constamment voisine de 2,000 mètres
Cet. état de choses a-t-il toujours existé? Il est permis d’en
douter. Certains détails géologiques ont fait supposer qu’à une
époque très reculée, les tronçons de vallee que nous observons actuellement
faisaient partie d’un même sillon tectonique, ou 1 on
retrouve les mêmes dépôts élastiques, d’origine à demi continentale
l. Ces dépôts sont ceux de la formation de Sehéla dont nous
avons déjà montré l’extension le long de la grande faille du Jiej;u
jusqu’à la Latorija, et sur le flanc S. de la vallée du Jiu románese.
Si cette hypothèse était exacte, l’évolution des vallées dans les
Karpates aurait été complètement différente de ce qu’elle est en
général dans les chaînes de plissement, et de ce qu’elle a été en
particulier dans les Alpes. Les vallées longitudinales ne se développent,
en effet, qu’à la suite des vallées transversales, et ont
coutume d’élargir graduellement leur aire de drainage au lieu de
se tronçonner 2.
En tout cas, il paraît certain que la disposition en arc de cercle
des vallées de la Cerna, des deux Jiu et du Lotru, ne peut être
considérée comme un effet du hasard. Cet arc de cercle représente
l’axe même de la chaîne karpatique, telle qu’elle existe actuellement,
et telle qu’elle commençait à s’esquisser déjà à la fin de
la période primaire. Cette ligne a toujours été une ligne de moindre
résistance, l’effondrement du bassin de Petroseny à l’époque tertiaire,
en est la preuve. Déjà, à la fin du crétacé, le synclinal du
Lotru était envahi par les eaux de la mer qui ne devaient l’abandonner
qu’après l’éocène 3. C’est au contact des couches gréso-mar-
neusës analogues au flysch, déposées dans ce golfe intérieur, et des
1. L. Mrazec. Contributions à l’histoire de la vallée du Jiu, Bul. Soc. Sc. Bue.,
VIII, 1899. — G. Munteanü Murgoci. Communication inédite.
2. E. de Martonnè. Problèmes de l’histoire des vallées, Ann. d. Géogr., 1898.
3. Redlich. Geologische Studien im Gebiete des Oit und Oltetzhales, loc. cit.,