les hauteurs boisées s’abaissent et s’écartent. L a rivière, de plus en
plus appauvrie, a peine à se retrouver dans un lit immense semé de
bancs de sable. Les villages deviennent plus rares ; le manteau de
forêts s’émiette. Bientôt tout le pays prend l’aspect d’une immense
terrasse, entaillée par un petit nombre de très larges vallées, sur les
berges desquelles affleurent encore les couches tertiaires, tandis que
les cailloux et limons quaternaires couvrent le plateau dénudé et sec.
Nulle part cette zone de transition n’est plus développée que dans
la Yalachie occidentale, où la région des collines atteint sa plus
grande extension, et le tableau que nous venons d’esquisser est celui
qui se déroule aux yeux du voyageur descendant les vallées du Jiu,
du Gilortu ou de l’Oltetu. Au S. d’une ligne passant par Strehaïa et
Slatina, bien habile qui dirait où finissent les collines, où commencent
les plaines !
Dans la Yalacbie orientale, une autre difficulté se présente. Démesurément
étalée à l’O. de l’Oltu, la zone des collines, à l’E. de ce
fleuve, diminue de plus en plus d’extension au profit de la terrasse
diluviale ; à partir de Ploiesti et Buzeu, on peut se demander s’il en
subsiste quelque chose. Que l’on gagne Buzeu, en venant de Cerna-
voda ou de Brâila, on traverse presque toute la Yalacbie sans voir une
élévation rompre la monotonie de l’immense plaine, qui étale à perte
de vue ses champs de blé ou ses fourrés de grandes composées, croissant
en forêt. Au loin, la fumée d’une batteuse ou d’un feu isolé, le
profil singulier d’une de ces énormes meules qui ressemblent à un
monstre accroupi, ou les pustules formées par les tum uli alignés
à travers la plaine, voilà tout ce qui peut arrêter le regard. De loin,
les Karpates paraissent peu de chose, et les escarpements des hauteurs
de la Dobrodgea, dominant le Danube de 400 mètres, gardent
encore longtemps l’air du relief le plus important. Ce n’est qu’en
arrivant à Buzeu qu’on a l’impression d’être au pied d’une chaîne
de montagnes. Si l’on suit la voie ferrée qui mène à Ploiesci, cette
impression s’accentue. De hauts sommets, beaucoup plus élevés que
la région des collines n’en présente nulle part, dominent presque
immédiatement la plaine; leurs flancs, entaillés par une foule de
vallées verdoyantes, couverts de bouquets de bois alternant avec les
champs de maïs, les vignes et les vergers, où se cachent de nombreux
villages, font un contraste frappant avec la monotonie et la nudité
de la terrasse qui s’étale à gauche. Il semble qu’ici la montagne et
la plaine se touchent immédiatement.
Pourtant, si l’on s’engageait dans la vallée du Buzeu ou de la
Teleajna, on verrait bientôt que l’aspect montagneux de ces hauteurs
est plutôt dû à leur brusque affaissement au-dessus de la terrasse
diluviale qu’à leur élévation réelle. Les formes de sommet qui dominent
Yaleni de Munte ou Mâgura, ne sont nullement celles de la
haute montagne ; ce sont des croupes arrondies et boisées ne dépassant
pas 1,000 mètres et qui sont formées de couches tertiaires. La
vallée du Buzeu jusqu’à Pâtarlage, comme celle de la Teleajna (ou
Teleajen) jusqu’à Homoriciu, sont de larges dépressions à fond plat
où s’étalent des terrasses horizontales de cailloutis et de limon, et
qui semblent comme des golfes de la plaine, pénétrant dans la montagne.
Les villages s’y pressent à la file le long des routes. Nous
sommes encore dans la zone des collines.
Mais, que l’on continue à remonter la vallée ; peu à peu les flancs
en deviennent plus escarpés, les collines prennent l’allure de montagne,
les bois s’épaississent, les hameaux se font plus rares. Le
moment où l’on entre dans la haute montagne est difficile à saisir.
D’un sommet tel que le Sireu ou le Penteleu, on verrait que le
profil de la chaîne montre effectivement une sorte de glacis en pente
douce, par lequel on passe, sans brusque dénivellation des crêtes
dépassant 1,500 mètres, aux hauteurs inférieures à 1,000 mètres.
Il est juste de dire que les Karpates ne sont pas toujours aussi
difficiles à séparer de la zone des collines. Dans presque toute
l’Olténie (Yalachie occidentale), la ligne de démarcation est, au
contraire, très nette. Là, en effet, s’étend, de Baïa de Arama jusqu’à
l’Oltu, une série de dépressions, dominées au N. par les pentes extérieures
de la chaîne cristalline, inclinées doucement vers le S. jusqu’à
un brusque relèvement du sol, qui fait se dresser un bourrelet de
collines tertiaires, dans lesquelles les vallées s’encaissent brusquement.
Ce sont les dépressions subkarpatiques, dont nous aurons à
étudier plus loin l’origine, liée aux faits les plus intéressants de
l’histoire des Karpates 1.
Ces dépressions, qu’on peut suivre même au delà de l’Oltu, jusqu’à
Câmpullung, séparent nettement la région montagneuse de celle des
collines ; mais elles présentent une nouvelle difficulté pour celui qui
veut se conformer à la division classique de la Yalachie. Lorsqu’on
débouche, à la sortie des Karpates, dans la dépression de Târgu-Jiu,
1. L. Mrazec. Quelques remarques sur le cours des rivières en Valachie, loc. cit.
— E. DE Mabtonne. Sur l’histoire de la vallée du Jiu. CR. AC. Sc., 4 déc. 1899.