On pourrait peut-être réclamer une place à part, dans la zone
alpine, pour la région qui s’étend au-dessus des derniers rhododendrons,
et où, près des flaques de neige fraîchement fondues, a 1 abri
des rocs les plus élevés, poussent et fleurissent, en juillet, les derniers
phanérogames : oeillets, gentianes, primevères, violettes, saxifrages,
aux fleurs éclatantes, et l’edelweiss, qu’on appelle, dans le Bucegiu,
la fleur de la reine (ûoara reginei). Les rochers nus sont prépares
pour ces plantes par des lichens et des mousses, qui manquent raie-
ment à l’ombre et près des flaques de neige.
Toute cette belle végétation alpine ne pare les Karpates que pendant
un ou deux mois à peine ; les fleurs sont presque toutes flétries
à la fin de juillet; en août, l’herbe desséchée forme un tapis glissant,
dangereux sur les pentes raides. On ne saurait rien imaginer de plus
triste et de plus monotone que les sommets nus et chauves de ces
montagnes. C’est un monde vraiment à part et qui ne ressemble ni
aux Alpes, ni aux Pyrénées, ni au Jura. Toute vie semble avoir
disparu. Les dernières bergeries sont près de la limite de la foret, les
troupeaux de moutons paissent dans les cirques, rien n ’anime les
sommets, que le vol d’un vautour planant au-dessus des vallées, ou
les bonds du chamois sautant, sur les crêtes, de rocher en rocher.
Le botaniste, qui veut faire sur ces sommets une excursion fructueuse,
doit y monter sans craindre les orages si fréquents à la fin
du printemps, avant la disparition des dernières flaques de neige.
Il trouvera d’ailleurs ample matière à des observations intéressantes.
L ’étude de la flore alpine des Karpates, au point de vue systématique,
semble promettre-des résultats intéressants par la comparaison avec
les montagnes voisines.
D’après les recherches de Pax, les espèces endémiques seraient
nombreuses, en général, dans les Karpates | les campanules les
draba, les pedicularis se distingueraient par des formes apparentées
aux formes répandues dans les montagnes de la péninsule balkanique.
L a flore des Karpates valaques a les plus grandes affinités
avec celle des Karpates septentrionales, mais elle en diffère par un
grand nombre d’espèces communes avec les Balkans, tandis que dans
la T atra et les massifs voisins, on rencontre plus d’espèces communes
avec les Sudètes 2.
1 P a x G rundzüge (1er P flanzenverbreitung in den K arpaten. - G r e c e s c ü ,op.
cit com pte su r 303 esp èces alp in es roum aines, 95 esp èces endém iques, soit 31 /».
2 D’après G re c e sc ü , op. cit., p. 723, le s esp èces alp in es su iv an tes so n t com m
u n es avec les B alkans : Ranunculus crenalus, Potentilla Haynaldiana,trium Genttana bulgarica, Poa ursina, Seslena c.x rculmlajn os-.
Un fait curieux, mis en lumière par Pax, est que les grandes
coupures transversales, telles que -les vallées de l’Oltu et du Jiu,
représentent des lignes de végétation de premier ordre, car elles
forment la limite d’un grand nombre d’espèces 1. On peut peut-être
voir là une preuve de l’ancienneté relative de vallées comme celle
de l’Oltu, et de leur existence avant la période glaciaire, au moins
sous la forme de dépression profonde traversant toute la chaîne.
IV
Il est regrettable que les recherches sur la faune ne soient pas
poussées assez loin pour voir si certains groupes ne prêteraient pas
à de semblables remarques. Les insectes, notamment, pourraient
offrir des particularités intéressantes.
Le seul fait à retenir des études parues jusqu’à présent est que les
espèces de papillons spéciales à la montagne descendent plus bas que
dans des pays situés plus au N. 2. Il y a là une conséquence de la
dépression signalée pour toutes les limites d’altitude de la végétation.
La faune des Karpates n’a guère, jusqu’à présent, attiré l’attention
du zoologue. Ce que l’on en peut dire est tiré de l’expérience quotidienne
du berger montagnard et des observations qu’on peut faire
lorsqu’on séjourne assez longtemps sur les hauts sommets.
Il n’est pas rare de rencontrer encore à la fin de l’été quelques
paysans qui parcourent la montagne le fusil sur l’épaule et le filet
ou la nasse dans un saie, couchant dans les bergeries abandonnées,
chassant le chamois, et péchant les truites dans les torrents. E n fait,
les eaux de montagne sont presque partout assez poissonneuses. On
trouve des truites même dans des lacs très élevés, sans qu’on puisse
bien s’expliquer comment elles ont pu remonter jusque-là (Lacul
Galeescu, 1,913 mètres, dans le Paringu). Le chamois devient de
plus en plus rare, et ce n’est que dans les cirques les plus sauvages
des monts de Fogarash et du Paringu qu’on peut encore espérer voir
des troupes de ces gracieux animaux. « Il a vu la chèvre noire »
(capra neagra), est un dicton populaire qui signifie qu’on a vu
quelque chose d’extraordinaire.
1. Ainsi Primula clusiana, Gentiana orbicularis, Onobrychus transsylvanica, etc.
ne dépassent pas à l’O. l’Oltu, qui forme d’autre part la limite E. de Campanula
GrosSeM, Galhvm Kitaibelianum, etc. i f P a x . Grundzüge, p . 193.
2. Cabadja. Zusammenstellung der bisher in Rumänien beobachteten Macrolepi-
dopteren, Iris, 1899, cité par Ed. F l e c k . Die Macrolepidopteren Rumäniens, But
Soc. Sc. Bue., VIII, 1899, p. 682.