La condition de la femme dans la famille est encore assez humble.
C’est à quoi font allusion les doine tristes, dont on connaît d’innombrables
variantes 1, qui accompagnent le départ de la jeune mariée.
Elle a, dans le ménage, sa large part des travaux pénibles, surtout
dans la région des plaines de Munténie, où la population est encore
très faible, par rapport à la production agricole. Une chanson populaire,
plus d’une fois citée, la représente active et travaillant du
m atin au soir :
<c Elle balaye la maison, allume le feu, prépare à manger, apporte l’eau de
la fontaine, toujours la quenouille en main... Elle court à grands pas, moissonne
l’orge et le fait griller dans le chaudron... 2 »
Vieillie de bonne heure par la m aternité et le labeur, ce sera
bientôt la baba aux traits fanés et ridés, qui tourne son fuseau d’un
geste machinal, assise sur le seuil de la porte. Les enfants sont directement
sous sa coupe jusqu’à huit ou dix ans; mais, dès qu’ils peuvent
travailler, ils sont beaucoup plus entre les mains du père. Lorsqu’il
y a séparation, c’est au père qu’ils reviennent 3.
En somme, il reste peu de chose de l’ancienne organisation de la
famille, comme de la propriété collective. L ’esprit individualiste
est, malgré tout, assez marqué chez le paysan, et ce trait de caractère,
qui paraît vraiment fondamental, a dû contribuer à la disparition
d’usages et d’idées dus à des influences slaves. Dans l’ancien
droit roumain, on trouve des dispositions d’après lesquelles les parents
(rude) avaient le droit de faire opposition à la vente de biens
par la veuve ou les enfants du chef de famille, et même de les
reprendre en désintéressant l’acheteur i. On a constaté qu’on ne possède
aucun testament antérieur au XVe siècle, ce qui donne à peu
près la date à partir de laquelle les anciennes propriétés collectives,
régies par l’ancêtre ou le frère aîné, ont commencé à s’émietter ®.
Le paysan valaque actuel a un vif sentiment de la propriété individuelle
et des distinctions sociales. Il reconnaît, dans le village,
des fruntasi et des oaudasi, riches et pauvres (mot à mot : premiers
et derniers), qui ont leur place assignée dans toute cérémonie. D’un
1. Voir Ma rian u . Nunta la Români, pp. 586-599.
2. Cité et traduit par Craciunesco. Le peuple roumain d’après ses chants nationaux.
3. Marian u . Nunta la Români, p. 782.
4. N a d e j d e . Din dreptul roman vecin, Bue., 1898, pp. 140-141.
5. N a d e jd e , op. cit., p. 144.
long passé de misères et d’oppression, il a gardé une sorte de respect
mêlé de méfiance pour tout ce qui est administration ou paraît
toucher au pouvoir central. C’est ce qui rend si difficile la tâche
des juges de paix et médecins de canton, chargés de veiller à l’exécution
des ordonnances su r,l’hygiène de l’habitation, qui se sentent
écoutés, mais non obéis. C’est ce qui rend presque impossible à
l’étranger ou au citadin la pénétration du caractère de l’homme des
champs.
Ce tableau de l’état d’esprit du paysan valaque n ’est qu’une esquisse
qui demanderait plus d’une retouche. Avec les progrès de la circulation,
l’éveil de l’industrie, dans certaines régions privilégiées* le
développement de la vie urbaine, qui déteint sur les alentours des
grandes villes, les anciennes différences locales s’effacent. Les contrastes
s’accentuent, entre les pays où se conservent encore les usages
et les idées naturelles, et ceux où l’on voit se modifier le caractère
du campagnard, de plus en plus pénétré de civilisation. Le paysan
de la région des collines de Prahova, ne ressemble plus guère à
¡¡¡Oltéan des collines de Gorj. Il est d’autant plus curieux et nécessaire
d’étudier actuellement les moeurs originales du paysan valaque.
D’ailleurs, la connaissance n’en saurait être étrangère à qui veut
bien comprendre les conditions passées et présentes de l’activité
économique.