CHAPITRE XVIII
La Vie rurale. — Le Paysan.
I. Vie matérielle du paysan, les costumes. — II. Vie matérielle : situation
sociale, nourriture, tempérament. —- III. La vie morale, comment l’étudier.
IV. La vie morale. Folklore. Mariage, sépulture, naissance. — V. La vie
morale. La littérature populaire. — VT. Conclusion. La famille, la propriété.
L aspect et la situation du hameau roumain, la forme et la disposition
des habitations, la vie extérieure du village, offrent, en Va-
lachie, des particularités en rapport avec les faits géographiques
autant qu avec le caractère de la race. On peut, et on doit aller plus
loin dans l’analyse des conditions de la vie rurale, lorsqu’on a le
bonheur de pouvoir l’observer dans toute sa naïveté primitive. La
vie matérielle et la vie morale du paysan roumain, ses costumes
originaux, autant que ses coutumes et ses idées, intéressent le géographe.
I
Le costume est, sans contredit, ce qui frappe d’abord le plus
l’étranger transporté brusquement en Valachie. Débarquer à Câm-
pullung ou à Eàrnn icu- Valeea un jour de fête, quand les paysannes
endimanchées se promènent au bras des flâcâi, ou se rassemblent
pour la hora, est une joie pour les yeux. Les tabliers rouges et noirs,
brodés et semés de fleurs dorées, les vestes brodées sur lesquelles
s étalent les colliers de pièces d’argent, les grands fichus en mousseline
qui parent la tete et retombent sur les épaules, forment un
ensemble pittoresque. On est frappé par le goût des couleurs
voyantes et par l’harmonie que présente, malgré tout, cet ensemble.
Le costume de travail, plus simple, reste encore original.
Cependant, lorsqu’on a parcouru les pays danubiens voisins de
la Valachie, on peut se demander s’il existe vraiment un costume
national. Les premiers voyageurs qui en parlent y voient une sorte
de costume turc ; d’autres le rapprochent du costume romain, ou se
font l’écho de la tradition qui s’obstine à comparer les pantalons
étroits, la tunique courte et l’énorme câciula du paysan roumain,
aux larges brayes, au manteau et au petit bonnet des Daces, tels
qu’on les voit sur la colonne trajane h Odobescu a nettement reconnu
les analogies du costume roumain avec celui des peuples slaves et
turcs 2. C’est un fait frappant que presque aucun des mots désignant
une pièce du costume n’est d’origine latine.
Une étude détaillée des divers costumes usités en Valachie et
dans les pays voisins serait nécessaire pour démêler ces influences.
Rendue très difficile par la variété des types, autant que par celle
des dénominations 3, il semble cependant qu’elle pourrait donner
des résultats intéressants, si l’on en juge par ceux qui se dégagent
déjà du travail consciencieux de Manolescu 4. C’est ainsi qu’on a pu
reconnaître l’originalité des costumes de l’Olténie, la ressemblance
des costumes de Munténie avec ceux de Moldavie, et le caractère
plus oriental des costumes de plaine en général.
S’il existe vraiment un costume national roumain, c’est dans la
région montagneuse, et particulièrement en Olténie, qu’il faut le
chercher5. Du moins, c’est là qu’on trouve les éléments les plus
originaux. La lourde câciula, sorte de bonnet à poil qu’on retrouve
chez les pâtres du Balkan 6, couvre la tête (v. planche E. IX ), remplacée
souvent, à l’E. de l’Oltu, par le petit chapeau de feutre
(p â lâ ria ). C’est ici encore, que l’on retrouve les derniers vestiges de
cette curieuse coiffure des femmes mariées, le conclu, sorte de diadème
en fer ou en bois, recouvert d’un fichu qui pend derrière le
1. Voir les textes rassemblés par G. Cb a in ic e a n u . Igiena tëranului român,
Bucarest, 1895.
2. O d o b e s c u . Notice sur la Roumanie, 1868 (Opere complété, t. III).
3. Le même vêtement s’appelle suivant la région gheba, zeghe, suman, dulama,
inpingea, suba, anteriu (Manolescu, p. 179). La catrinia de Moldavie = opreg en Olténie [ibid., p. 231), etc., etc.
4. Manolescu. Igiena îàranului, Bucarest, 1895, près de 100 figures des types
principaux de costume.
; 5. C’est encore là qu’on fait aussi les plus riches costumes. Dans un concours
ouvert à Bucarest pour encourager l’industrie des costumes nationaux, les deux
premiers prix ont été remportés par des paysannes de Vâlcea.
G. J ib e c e k . Das Fürslentum Bulgarien, p. 68.