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P ar leur caractère, leur physionomie, tout autant que par leur
position, les villes sont un sujet d’études géographiques, et si on les
a rarem ent envisagées à ce point de vue jusqu’à présentx, l’exemple
de la Yalachie peut montrer combien l’aspect et la vie des centres
urbains reflète fidèlement l’état économique d’un pays.
Rien de plus semblable en apparence que deux petites villes, et
la plupart des villes de Yalachie ne dépassent guère, par le chiffre
de leur population, la moyenne de nos villes de province. Mais l’uniformité
apparente qui règne dans un pays de vieille civilisation, ne
se retrouve pas dans un pays neuf, en pleine période d’éveil et de
développement économique. Le promeneur le plus indifférent ne
manquera pas d’être frappé par les contrastes entre une ville ayant
gardé, comme Craïova, son cachet de vieille cité roumaine, avec son
dédale de rues tortueuses, ses jardins, ses maisonnettes, ses palissades
en bois ; et une ville moderne, comme Bràila, avec ses avenues
régulières, ses boulevards parcourus par les tramways électriques,
ses hautes maisons se suivant sans interruption, ses larges places et
ses grands hôtels.
On trouve, en Yalachie, plusieurs types de ville, dont la localisation
est assez nettement en rapport avec les conditions géographiques
et historiques. U n caractère commun à la plupart des villes
orientales est leur grande étendue. Les maisons, au lieu de se serrer
l’une contre l’autre et de s’aligner sur le bord des rues, sont disposées
irrégulièrement, chacune ayant son jardin. C’est le type de
la vieille ville roumaine tel qu’on le retrouve encore à peu près
partout en Olténie, et dont Craïova, malgré le chiffre élevé de sa
population, offre encore un excellent exemple. Ses 45,438 habitants
sont répartis sur une surface d’environ 600 hectares, ce qui ne donne
pas plus de 80 habitants à l’hectare.
Yue de loin, rien de plus riant qu’une pareille agglomération
urbaine. Les clochers des églises surgissent d’un fouillis d’arbres où
brillent les toits des maisons souvent encore recouvertes en lattes
et même, dans les quartiers extérieurs, en chaume. C’est en grand
l’aspect du village roumain ; le rapprochement des maisons y est à
peine plus marqué. De près, l’aspect est moins engageant. L’étendue
anormale de la ville rend difficile la surveillance municipale et trop
1. Voir les excellentes réflexions de O t t o S c h l ü t e r . Bemerkungen zur Siede-
lungsgeographie, Geogr. Zeitschr., 1899, pp. 65 et sqq.
coûteux les travaux de voirie. E n dehors des quartiers centraux, où
l’on trouve une ou deux rues bâties à l’européenne, avec maisons
contiguës à plusieurs étages, et, de l’avenue qui mène à la gare, les
voies, souvent bordées de palissades branlantes, derrière lesquelles
se cachent les maisons au milieu des jardins, sont des cloaques dignes
d’un village. On a peine à se reconnaître et à découvrir les édifices
publics les plus importants dans un dédale de rues tortueuses, sans
places, sans rien qui puisse guider.
Les vieilles habitudes orientales se perpétuent même dans une
ville active, commerçante et intellectuelle, comme Craïova, qui possède
des fabriques, une usine électrique utilisant la force d’eaux
artésiennes impotables, se fait honneur de bâtiments comme son
monumental Palais de Justice, son Lycée, et d’institutions comme
l’Ecole de Guerre et l’Ecole d’Arts et Métiers. Les maisons particulières,
construites récemment, sont encore de petits hôtels, souvent
très coquets, mais isolés aù milieu de leur jardin.
Des villes à prétentions modernes, comme Turnu Severinu, gardent
encore ce cachet ancien, qui marque la date de leur période principale
de développement. E n dehors du boulevard, peuplé de belles
maisons, qui longe le Danube, de la place dominée par le Palais
municipal, et de la grande rue commerçante aux maisons basses et
souvent peu propres, la vieille ville danubienne n’offre encore, malgré
la régularité du tracé de ses rues, que l’apparence d’un grand village.
Il y a cependant, en Yalachie, de véritables villes modernes. Leur
situation géographique, leur histoire, leur population, la nature de
leur activité, les séparent, aussi nettement que leur aspect, de tout
ce que l’on voit ailleurs dans l’Orient latin. Ces villes, dont Bràila
est le type le plus accompli, sont toutes des villes danubiennes, dont
le développement date des vingt ou trente dernières années, et coïncide
avec l’établissement du réseau des voies ferrées, l’essor pris par
la culture en grand des céréales, et l’organisation de la navigation
internationale sur le Danube. Ce ne sont pas seulement des marchés
locaux ; le commerce européen y fait escale ; là se traitent tous les
grands achats de blé, maïs., bois. Le commerce est, d’ailleurs, en
majeure partie aux mains d’étrangers. A Bràila, on compte plus
de 5,000 Grecs, 7,000 Juifs, près de 1,000 Allemands ; la population
étrangère forme plus du tiers de la population totale. Dans les rues,
l’anglais, l’allemand, le grec frappent l’oreille.
L’activité du mouvement économique, l’abondance des capitaux,
permettent tous les embellissements, les appellent même, pour