Y I
Sans vouloir pousser plus loin cette rapide analyse, qui nous entraînerait
hors du cadre d’une étude géographique, qu’il nous suffise
d’avoir dégagé quelques-unes des tendances reflétées, aussi bien par
la littérature, que par les usages ruraux. Si ces coutumes sont l’héritage
d’un passé lointain, que la civilisation tend a effacer, si cette
littérature paraît actuellement quelque chose de mort, les idées qu’on
en peut dégager subsisteront encore longtemps chez une population
qui a pris l’habitude d’une vie végétative, où l’initiative est quelque
chose d’inconnu, et où l’instruction ne pénètre que très lentement.
Malgré les efforts faits depuis 20 ans pour l’éducation du peuple, la
proportion des illettrés, en Yalachie, est de 83,2 % 1. Le paysan va-
laque restera longtemps encore un être assez primitif, ni religieux,
ni mystique, superstitieux devant la maladie, qui l’effraye plus que-
la nature, méfiant, dissimulé, humble, apathique en apparence,
mais, en réalité, insouciant et prodigue, vaniteux et grand parleur,
observateur ironique, sensible au ridicule, aussi passionne dans ses
haines que dans son amour, et, toujours, quoiqu’on dise et qu’on
fasse, invinciblement attaché à tout ce qui vient des ancêtres, qu’il
s’agisse de costumes pittoresques et d’usages curieux, ou d’habitudes
de vie et de procédés de culture arriérés.
C’est ce qu’il faut bien avoir compris si l’on veut entrer en rapport
avec lui, même et peut-être surtout, si l’on veut lui faire du bien,
quitte à se tromper complètement de route. Quelle conception le
paysan roumain a-t-il de la famille, de la société, de la propriété F
C’est ce que pourrait dire seule une étude impartiale et approfondie
de ses moeurs et de la littérature populaire2.
Il n’est pas sans intérêt de constater que l’organisation slave de
la famille ne se retrouve que très imparfaitement chez le Yalaque.
Dans tout le matériel folkloristique que nous avons pu consulter,
nous n’avons à peu près rien trouvé qui rappelle la Zadrouga, telle
1. voici les proportions par départements. Région montagneuse, Olténie : Mehe-
dinti, 86 ; Gorj, 86 ; Vâlcea, 88,5. — Munténie, Argeç, 85,6 ; Muscel, 78 ; Dàmbovi(.a,
86 ; Prahova, 82,4 ; Buzeu, 85,6. Région des plaines et collines, Olténie : Dolj,
84 ; Romanati, 89,1 ; — Munténie; Oit, 90,4 ; Teleorman, 90 ; Vlaçca, 92,3 ; Ilfov,
67,5 ; Ialomita, 81,5 ; Brâila, 71,4.
2. Les chapitres de Craciunesco : Le peuple- roumain d’après ses chants nationaux,
sur la famille, la patrie, etc., se tiennent dans une note superficielle- et
trop visiblement apologétique.
qu’on l’observe encore en Bulgarie 1. Qu’il en ait toujours été ainsi,
c’est ce dont certains détails pourraient faire douter. La parenté,
telle que l’entend le paysan roumain (rudenia), est encore quelque
chose de très large. On est souvent étonné d’entendre un paysan
citer, comme ses parents (rude), presque tous les habitants de son
village, ou même des gens du village voisin. Le sentiment de la
communauté d’origine est encore très vif chez les immigrants tran sylvains,
qui viennent par bandes s’établir en Yalachie, sous la conduite
d’un chef, et gardent longtemps un nom commun. Les traditions
populaires représentent très souvent un village comme fondé
par un chef de famille, dont les habitants actuels sont tous plus ou
moins les descendants 2.
Actuellement, il arrivé que le fils récemment marié habite la
même maison que son père, ou, du moins, la même cour fermée, surtout
dans la région montagneuse ; mais, quand les enfants viennent
en nombre, il songe à se bâtir une maison à part. La famille, au
sens strict du mot, paraît fortement constituée. Le mariage est
considéré, généralement, comme indissolubleÉle m ari seul peut le
rompre, mais à la condition de restituer la dot de sa femme à sa
famille 3. Il semble que la tendance ait toujours été vers ce que
les sociologues appellent l’exogamie. C’est souvent dans un village
voisin qu’on va chercher femme ; les foires, les balci, sont pour
cela d’excellentes occasions. N’existe-t-il pas encore, en Transylvanie,
un Târgul de fete (marché de filles) 4. Une foule d’interdictions,
considérées comme absolues, empêchent les mariages entre
parents, rude, et l’on peut devenir rude par le seul fait d’avoir été
ensemble parrains à un baptême, à un mariage, et même d’avoir
été baptisés le même jour 5. Il y a sans doute, quelque rapport entre
ces idées et la coutume très générale de l’enlèvement réel, pratiqué
encore une fois sur trois dans certaines régions, soit avec le consentement
de la jeune fille, soit même avec l’assentiment tacite des
parents, qui veulent éviter les frais d’une noce 6.
1. Jer b cek . Bulgarien. Cf. J. P e is k e r . Die Serbische Zadruga, Zeitschr. (. Social,
uncl Wirthschaltgeschichte, VII, pp. 211-326.
2. Voir les Dict. Géogr. dép. de la Soc. Géogr. Rom., passim, donnant les traditions
sur la fondation d’un grand nombre de villages.
3. Ma r ia n u . Nunta la Români,p. 782.
4. Voir M a r ia n u . Nunta la Romani, pp. 70-80, d’après S la v ic i et R e is s e n b e r g e r .
5. M a r ia n u . Nunta la Români, p. 208. Nasoerea la Români, p. 182.-
6. A. E l ia d e . Nunta t&raneasca, Revista Rom., 1901, ni 38.