grande, puisque leur niveau de base était formé par un lac au lieu
d’être la mer. Dans ces conditions, la capture d’une rivière hongroise
par la vigoureuse Cerna ne semble pas être impossible. Sitôt que les
eaux du lac de l’Alfôld ont trouvé par-là une issue, le creusement de
la vallée de traverse a dû s’accélérer ; des cascades se sont formées,
qui ont scié les seuils résistants de calcaire et de porphyres, en creusant
des gouffres où la sonde enfonce jusqu’à des profondeurs inférieures
même au niveau de la mer Î. Les rapides contre lesquels la
navigation a eu à lutter sont les dernières traces de ces Niagaras
préhistoriques.
Il est possible que les bancs calcaires qui traversent le fleuve à
plusieurs reprises aient joué un rôle important dans le recul de la
tête de source, en perm ettant aux eaux de se frayer une route souterraine
d’abord, et en prêtant à des écroulements qui ont frayé
d’abord une gorge encaissée, laissant aux eaux superficielles le soin
de l’élargir 2.
Toutes ces hypothèses, est-il besoin de le dire ? auraient encore
besoin de subir l’épreuve d’une confrontation sérieuse avec les faits
qu’on peut observer. E n tout cas, un point semble acquis, c’est que
la percée s’est produite à l’.aurore des temps pleistocènes. Yoilà ce
qu’il nous importait surtout de savoir. C’est donc pendant la période
diluviale que le lit actuel du Danube a ete creuse.
I I I
Dès que commença l’écoulement des eaux du lac de 1 Alfôld par
les Portes de Eer, les sables et argiles pontiens qui s’appuyent
sur le cristallin par l’intermédiaire de conglomérats tortoniens, se
trouvèrent soumis à une érosion intense. C’était une véritable trombe
d’eau qui débouchait du défilé.
P our avoir idée de la vigueur étonnante de cette érosion, il faut
gravir les hauteurs dominant à l’O. Turnu Severinu. Au delà de la
1 Marmite de Kasan, 53 mètres de profondeur ; marmites des Portes de Fer,
49 et 51 mètres. - Penck. Die Donau, Schr. d. Ver. ¡. Verbr. naturwiss. Kenntn.
Wien.
2. C’est ce que semble avoir voulu dire Peters, lorsqu’il parle des dislocations
des bancs calcaires « sinken die in sich zerrütteten kalkigen Formationsglieder în
einer beinahe gèschlossener Reihe zum jetzigen Stromspiegel herab, » op. cit.,
p. 320.
plaine, où le fleuve s’étale et se peuple d’îles, l’oeil découvre une
ligne de hauteurs boisées qui prennent l’air d’une petite montagne.
C’est la falaise que le Danube longe de Simian à Hinova, en la
sapant continuellement. Le point culminant de ces coteaux escarpés
atteint 343 mètres, dominant de près de 300 mètres le lit du fleuve.
Il est évident que le Danube a coulé jadis plus à l’O., comme en
témoignent les terrasses de Kladova sur la rive serbe î. Le déblaiement
s’est effectué sur une profondeur minimum de 200 mètres et
une largeur de 10 kilomètres au plus.
Il est certain que jamais le courant fluvial n’a atteint cette largeur
; c’est par une série de changements de lit, qui faisaient porter
l’effort principal de l’érosion tantôt sur la berge orientale, tantôt sur
la berge occidentale, que le fleuve est arrivé à creuser une vallée
aussi large et aussi profonde. La nature des terrains dans lesquels
s’effectuait le creusement favorisait singulièrement ce processus. On
peut voir encore, à l’heure actuelle, les sables fins qui couronnent
la falaise de Hinova descendre en nuées de poussière au moindre
souffle du vent, ou s’écrouler par paquets avec les graviers qui les
supportent, lorsque les pluies ont dilué le substratum d’argiles qui
affleure au niveau des basses eaux du Danube. Ainsi, des deux bras
fluviaux qui encerclent l’île de Corbu, le bras oriental, où le courant,
buttant contre la rive concave, sape constamment la falaise de
Hinova, perd de plus en plus d’importance par ensablement ; le
bras occidental tend à devenir le bras principal (fig. 30 A).
De Severinu à Calafat, on peut suivre pas à pas tous les stades
de cette transformation, qui déplace le fleuve de 5 à 10 kilomètres
vers l’E. ou vers l’O. Les deux bras qui entourent l’Insula Mare
ont encore, à peu près, la même importance, mais l’île de Gîrla
(fig. 30 B) n’est plus séparée de la terre ferme que par un marécage
en forme d’arc de cercle, où les grandes eaux du fleuve arrivent
seules à pénétrer ; et l’île de Maglavitu (fig. 30 C) est si bien rattachée
au sol valaque que les vergers ont pris pied sur l’emplacement de
l’ancien bras oriental du fleuve.
Ce balancement, qu’on peut en quelque sorte voir se produire sous
nos yeux, a dû se répéter maintes fois au début de la période de
1. L. Mrazec. Note sur une marne à efflorescences salines de Scapëu, Bull. Soc.
Sc. Bue., VII, 1898, n" 2.