orientés E.-O. ? il y a là de quoi faire surgir toute une série d’hypothèses,
qui, si elles ne sont pas toutes exactes, peuvent contenir
chacune une part de vérité, et rendre compte tout au moins de
quelques-uns des traits de la structure des Karpates.
Suess, en des pages, qui, malgré les critiques qu’on a pu leur faire,
restent encore un modèle d’interprétation d’un nombre de faits restreint,
a le premier envisagé en face le problème h II croit pouvoir
prouver que « le raccordement des Karpates aux Balkans s opère
par une torsion générale dans la direction des chaînes » et montre
comment successivement, les différents anticlinaux viennent plonger
sous la plaine valaque, relayés par de nouveaux anticlinaux de direction
un peu oblique, de façon à amener graduellement un changement
complet d’orientation.
Inkey, dans une étude très condensée 2 et dont les recherches postérieures
des géologues 'roum ains et hongrois, semblent prouver
l’exactitude de détail, s’efforce au contraire de montrer la continuité
des éléments tectoniques dans le grand massif cristallin des Alpes
transylvaines, et voit dans le Retiezat, la clef du, système, le point
où se raccordent trois directions différentes.
Avant d’essayer de prendre parti entre ces deux théories, qui nous
font toucher dans ce qu’il a de plus profond le problème de l’origine
des Karpates méridionales, il n ’est pas inutile de préciser un peu
les idées sur la nature et les traits généraux de la structure de cette
chaîne.
I
Lés sommets supérieurs à 2,000 mètres ne sont pas rares dans les
Karpates valaques. Plusieurs atteignent et dépassent 2,500 mètres.
Le Negoiu dresse sur la crête dentelée des Alpes de Eogarash sa
double pyramide, culminant à 2,540 mètres. La masse énorme de
conglomérats qui forme le Bucegiu compte, parmi les mamelons aux
flancs couverts de blocs bizarres, semés sur le haut plateau qui s étend
en fer à cheval de Strunga à Eurnica, un sommet de 2,510 mètres,
décoré du nom de Omul (l’homme). Le massif cristallin du Paringu,
dont les formes lourdes s’aperçoivent de Petroseny comme de Târgu
Jiu, s’élève jusqu’à 2,529 mètres, à Mândra (la fière). Ces altitudes
1. S u e ss. La face de la terre, tr. fr., I, pp. 633-650.
2. Inkisï Die Transsylvanischen Alpen vom Rotenturmpass bis zum Eisernen
Tor. Math und Naturwissenschaltliche Ber. aus Ungarn, IX, 1892, pp. .220-253.
excluent la présence de glaciers, mais elles suffisent pour faire
attendre une chaîne alpine.
Pourtant le touriste qui tente l’ascension de quelques-uns de ces
pics encore peu fréquentés, pourrait avoir quelques déceptions s’il y
cherchait les fortes impressions que donnent dès l’abord les Alpes
ou les Pyrénées., Qu’on monte au Paringu en partant de Novaci ou
de Bumbesci, qu’on gagne le Negoiu en prenant pour point de
départ Corbeni ou Sälatrucu, le spectacle est d’abord le même. Après
une rude montée par des pentes nues, déboisées, sauvagement af-
fouillées par l’érosion, et baignées d’une soleil brûlant qui rend plus
pénible la marche dans les sentiers caillouteux, on débouche sur des
hauteurs atteignant déjà 1,000 à 1,200 mètres. A partir de là, c est
une longue et monotone promenade à travers une épaisse forêt de
hêtres ou de sapins, par des sentiers suivant les crêtes, tantôt montant,
tantôt descendant, et sans pentes bien sensibles. Parfois une
clairière ouvre la vue sur un panorama de crêtes arrondies, aux
pentes couvertes de forêt, aux sommets gazonnés et nus. Lorsqu’on
arrive définitivement au-dessus de la limite des arbres, ce sont toujours
les mêmes formes qu’on retrouve ; rien de plus austere et de
plus triste que ces sommets nus, auxquels manque a la fois la parure
des neiges éternelles et celle des eaux bondissantes. Souvent un
guide habile peut vous conduire jusqu’au point culminant sans
presque aucune escalade. Le saisissement est d’autant plus grand,
lorsque, en descendant de quelque vingt ou trente mètres, on se
trouve soudain au bord d’un précipice, et qu’on voit s’étaler sous
ses pieds des vallées profondes ou de larges cirques entourés d’escarpements
grandioses, au fond semé de lacs étincelants et encombré
d’énormes éboulis. Si, dans la montée, on a pu apercevoir le sommet
de ce côté, on aura cru voir une véritable crête alpine ou pyrénéenne.
L’impression qu’on remportera de deux ou trois semblables ascensions,
est que les Karpates sont une chaîne, où dominent les formes
de moyenne montagne, et où les sommets les plus élevés dépassant
2,000 mètres offrent seuls les abrupts et les contrastes violents qui
caractérisent la haute montagne. Cette impression correspond si
bien à la réalité qu’elle a été notée par tous ceux qui connaissent les
Karpates; qu’elle s’impose même rien qu’à l’examen de bonnes cartes
topographiques h
1. Voir par exemple ce qu’en, dit P enk (Morphologie des Erdoberfläche), rien
que d’après la carte du Retiezat.