attache à son petit doigt, les monnaies qu’on jette dans chaque
ruisseau rencontré pendant le transport du corps, le pomu, symbole
de l’arbre qu’il trouvera sur son chemin dans l’autre vie, sont des
faits qui se rattachent à un cycle d’idées aussi bien latin que slave,
turc, ou même égyptien.
Ce qui mérite d’être noté, c’est la ressemblance frappante de certains
usages matrimoniaux avec ceux des slaves de Bosnie et les
affinités balkaniques de toutes les croyances relatives aux démons
des maladies 2 et aux vampires. L ’origine balkanique du vampirisme
ne fait plus de doute depuis le travail de Hock 3. Toutes les
précautions prises en Valachie pour que le mort ne devienne pas
vampire se retrouvent chez les Bulgares 4.
Pour tirer des conclusions fermes de tous ces faits, il serait nécessaire
de les classer, de les rattacher à plusieurs types, et de les localiser
géographiquement. Malheureusement, un pareil travail serait
rendu très difficile par la multiplicité des usages locaux, dus à la
fidélité du Roumain aux coutumes de son village, qu’il transporte
partout où il s’établit. C’est ainsi qu’au coeur des steppes de Mun-
ténie, on retrouve, dans les villages de Mocani, l’étendard de la noce
transylvaine. D’ailleurs, peut-être est-il déjà un peu tard pour que
les faits les plus intéressants n’échappent pas à une pareille enquête.
Aux environs des villes, bien des coutumes se perdent. Les orafiune,
récitées jadis de mémoire avec toutes leurs variantes, sont maintenant
imprimées à Bucarest et distribuées par les colporteurs ® ;!
De ce rapide exposé se dégage cependant quelque chose. C’est une
idée déjà plus nette du caractère ou, du moins, des tendances d’esprit
du paysan valaque. Il est impossible de ne pas être frappé du goût
de la représentation, d’un certain instinct de grandeur, qui se fait
jour dans tous les détails des cérémonies de la noce et, notamment,
dans ces interminables orafiune où le marié est toujours qualifié de
1. Mitteilungen a. Bosnien u. d. Ilercegovina, 1899.
2. Voir Lübeck. Die Krankheitsdämonen der Balkanvölker, Zeitschr. d. Ver. f.
Völkerkunde, 1898 et 1899. — Voir notamment 1899, p. 295, où l’on trouvera la
preuve que la fameuse danse des Caluvari, souvent invoquée comme héritage latin
chez les Roumains et représentant l’enlèvement des Sabines, est un exorcisme lié
aux croyances relatives aux Russalka.
3. S tefan Hock. Die Vampyrsagen und ihre Verwertung in der deutschen Litte-
ratur, Forsch, zur neueren Litteraturgeschichte, Berlin, 1900, 133 p.
4. S tra u ss. Die Bulgaren, pp. 188 et sqq.
5. Un exemplaire nous en a été (communiqué par M. Popescu de Voetesci.
« notre jeune empereur. » Cet instinct porte aussi à tout dramatiser
; le symbole abstrait n’est pas en faveur chez le Roumain ; tout
prend une forme concrète, s’orne et s’enjolive d’épisodes variés. Le
simulacre d’enlèvement devient tout un drame en plusieurs actes.
La parole y a autant de place que l’action. La prolixité des orâfiune,
les chants, dictons, formules de salutation, qui accompagnent tous
les actes, témoignent du goût pour la parole. E t, de fait, lorsqu’il
veut bien sortir de son silence habituel, rien de plus loquace, je
dirai presque de plus éloquent, qu’un paysan valaque intelligent.
Plus d’une tendance fondamentale de l’âme roumaine, voilée en
quelque sorte sous le masque de méfiance et d’impassibilité que des
siècles de misère ont mis sur la face du paysan, se révèle aux jours
de fête et de gaîté, et se laisse saisir dans les coutumes antiques si
fidèlement conservées.
Y
L’étude de la littérature populaire peut être considérée comme
capable de préciser davantage ces tendances et ces idées. C’est en
ce sens qu’elle mérite l’attention de l’ethnologue et dix géographe,
autant que du folkloriste. Malheureusement, elle a été rarement
envisagée au point de vue qui nous intéresse.
Laissant de côté les collections de formulettes médicinales, des-
cântece, oratiune \ etc., dont la valeur littéraire est nulle et l’intérêt
psychologique très faible, on peut espérer trouver, dans les contes,
étudiés d’une façon scientifique par Saineanu2, quelques indices intéressants.
On est souvent frappé du peu d’ampleur de la narration;
les versions tziganes sont, en général, plus riches en invention ; les
légendes cosmogoniques sont pauvres ; la plupart se retrouvent chez
les Bulgares, les Maghiars et les Russes, beaucoup plus développées
et plus logiques 3. On a remarqué aussi, avec raison, le caractère prosaïque
des contes roumains ; l’élément fantastique et miraculeux
1. Marianu. Vcâji, farmece, çi desfaceri, Ann. Ac. Rom. (2), XV, 1893. — P. Lu-
pascu. Medicina babeloru, Ann. Ac. Rom. (2), XII, 1892, etc. Voir la bibliographie
in Sa in e a n u . Istoria fliologiei române.
2. S a in e a n u . Basmele Române, Bue., 1895 (voir pp. 190-94, la Bibliographie des
contes-publiés). Les recueils de contes les plus importants sont encore : S c h o tt. Walachische Mârchen, Stuttgart, 1848. — A l e x a n d r i, trad. fr. par Voinesco, Paris,
1852. — Isp irescu . Legende sau Basmele aie Româniloru, Bue,, 1872-74-76 (3 parties).
3. Voir S trauss. Die Bulgaren.