Une formation plus curieuse et plus rare est celle où le tapis de
pins ou de genévriers manque. Là, c’est le sapin qui devient buis-
sonnant. Avec leurs branches étalées sur le sol, leur forme régulière
de cône aplati, ces arbres étiolés semblent avoir été taillés par le
caprice de quelque jardinier fantasque. Tantôt mêlés au genévrier
nain, ils forment un tapis d’où surgissent des arbres isolés, aux
branches mutilées, toutes tournées vers la montagne (Monts du
Lotru : Balota, v. pl. D). Tantôt ils s’avancent seuls, piquant de
taches sombres les pentes gazonnées (monts du Lotru : Mâinileasa).
Cette formation s’étend sur une zone généralement moins large que
la précédente de 100 à 150 mètres.
U n type curieux de la limite des arbres est celui où les aulnes
buissonnants, avec leurs branches couchées sur le sol, forment des
fourrés aussi impénétrables que ceux du Pinus mughus, et d’où
s’élèvent quelques sapins isolés. Nous l’avons rencontre dans les
cirques les plus sauvages (Paringu Câldarea lui ¡Ferdinand) et dans
les monts de la Cerna (Stâna mare).
La végétation herbacée est rare dans la zone de la limite de la
forêt. Les buissons couvrent souvent le sol d’un tapis continu. Le
gazon, sur les espaces libres, est formé de graminées (Poa ovina,
P. disticha, etc.), au milieu desquelles apparaissent déjà quelques
plantes alpines aux fleurs éclatantes, aux tiges courtes, aux feuilles
charnues, aux longues racines; des primevères (Primula longiûora),
des clochettes aux fleurs violettes (Scilla bifolia), des campanules,
des anémones...
Au-dessus des derniers sapins, le tapis de pins couchés et de
genévriers nains s’étale sur les pentes rocailleuses, parfois jusqu’à
2.000 mètres et plus. Dans les Alpes, le Pinus mughus préfère les
sommets calcaires; dans les Karpates, on n’observe rien de pareil.
Parfois il est mêlé au genévrier, dont la teinte gris argenté tranche
sur les touffes, d’un vert plus sombre, du pin.
I I I
La région alpine proprement dite est celle qui s étend à partir de
2.000 mètres au-dessus des derniers fourrés épais. Le rhododendron
(R h . m yrtifolium ) et quelques bruyères délicates (Bruckenthalia
spiculifolia) y sont les seuls représentants de la végétation ligneuse.
On les trouve presque jusqu’aux plus hauts sommets, cramponnés
sur les pentes d’éboulis les plus raides, accrochés aux parois rocheuses
les plus escarpées et les plus nues.
Là où le sol n ’a pas été remanié depuis plusieurs années, la végétation
herbacée s’installe. Ce sont des prairies formées de diverses
graminées alpestres (Phleum alpinum, Poa alpina, P. hybrida,
Nardus stricta), semées, à la fin du printemps, de milliers de fleurs
éclatantes. Il faut avoir parcouru les sommets des Karpates, au mois
de juin, pour savoir quel spectacle merveilleux offrent ces prairies,
que le botaniste Kotschy déclarait plus riches que les plus belles
prairies alpines 1. La neige n’a pas achevé complètement de fondre,
que déjà surgit toute une floraison, où dominent le blanc des anémones,
des renoncules alpestres, le bleu et le violet rose des crocus,
des petites primevères, des violettes alpines, des silènes et des gentianes
2. Deux ou trois semaines plus tard, succèdent des couleurs
plus intenses : renoncules dorées, ancolies, pavots, violettes aux larges
fleurs jaunes ou rouges 3.
Les pentes rocheuses et les éboulis récents ont une végétation spéciale
de saxifrages, androsace, et de petits saules nains (Salin; retusa),
auxquels se mêlent les belles fleurs pourpre du Sedum carpathicum
et les grandes inflorescences blanches du Sedum m axim um i.
Les fonds de cirque marécageux et tourbeux sont la station préférée
de divers petits saules, des airelles (Vaccinium Myrtillus,
V. salix), des azalées (Azalea Bruckenthalia) et des carex, qui
forment des prairies où le pied enfonce.
Les sommets calcaires sont, là encore, plus riches que les régions
cristallines. Sur les escarpements de Piatra Craiului et du Bucegiu,
on trouve en foule les oeillets rouges. L ’Britrichium Hocquetii couvre
des mètres carrés de ses belles fleurs bleues. Des draba, des renoncules
pendent partout des crevasses des rochers. Les fentes irrégulières
des lapiez, ou s amasse la terre noire, riche en acide humique,
abritent une végétation spéciale de saxifrages, de cerastium, de
renoncules, de gentianes, de centaurées5. D’après Grecescu, on
compte 142 espèces alpines spéciales au Bucegiu 6.
1. K o tsch y . Beiträge zur Kenntniss des Alpenlandes in Siebenbürgen, loc. cit.
2 Anemone alba, Ranunculus glacialis, alpestris, crenatus, Crocus banaticus (très caractéristique), Primula minima, Viola alpina, Silene acaulis,milio, Gentiana excisa, orbicularis, æstiva, divarica pu- G recescu , p. 717.
py3r.e nRaalncuumnc, uVluios las cbuitfalotursa,, montanus, aureus, Aquilegia transsylvanica Pavaver Grecescu, p. 717. '
4. G recescu , p. 715. — P ax. Grundzüge, p. 131.
5. Kotschy, loc. cit.
6. G recescu , pp. 722-723.