CHAPITRE VII
La vie végétale et animale dans les Karpates.
I. La zone de la forêt. Zone du hêtre. Zone du sapin. — II. La zone de la
limite de la forêt, sa hauteur, ses formes principales. — III. La zone alpine.
— IV. La faune.
Lorsqu’on quitte le dernier village qui se cache au pied de la
montagne, dans un vallon abrité, pour gravir un des sommets des
Karpates valaques, on ne tarde pas à entrer dans la forêt. Rien de
plus beau que ces hautes futaies lorsque la hache imprudente du
bûcheron ne les a pas dévastées ; les troncs des hêtres montent comme
des colonnes jusqu’à plus de 20 mètres de haut ; sous leur ombre
épaisse, les branches et les feuilles mortes amoncelées excluent
presque toute végétation. On est heureux de retrouver, de temps en
temps, le tapis vert d’une clairière, semé de fleurs éclatantes, qui
s’étale sur un col en dos d’âne, près d’une source qui jaillit entre des
rochers. Chaque clairière a son nom : Urma Boiilui (le pas de,l’âne),
Fântâna Cucoanei (la fontaine de la dame), Fântâna Magârioarei
(la fontaine de l’ânesse)... '
On monte toujours, la forêt change d’aspect; aux hêtres se mêlent
les sapins, dont les aiguilles rendent le sol éncore plus infertile;
bientôt les sapins seuls étendent leurs branches sombres, qui viennent
parfois barrer le sentier, fouettant le visage du voyageur inattentif.
Un air plus frais annonce qu’on approche des régions alpines ; la
forêt s’éclaircit, les sapins se groupent en bouquets de plus en plus
espacés et de plus en plus petits, quelque géant se dresse encore,
mutilé par la foudre. De petits sapins, écrasés sur le sol, y forment
un tapis épais mêlé de genévriers nains. Enfin, la vue s’étend partout
sans obstacle et suit, au loin, la limite sombre de la forêt, serpentant
le long des pentes, que dominent les crêtes chauves... On doit veiller
à ne pas perdre le sentier, car les pins couchés forment des fourrés
impénétrables. La marche est plus facile là où ils sont remplacés
par les genévriers nains et les rhododendrons. Ceux-ci représentent
la dernière trace de végétation ligneuse ; on en trouve accrochés dans
les anfractuosités du roc, jusqu’au bord des flaaues de neige qui
s’abritent sous les escarpements des hauts sommets. Les pentes plus
douces sont couvertes d’un gazon semé, au début de l’été, des fleurs
alpines les plus éclatantes ; mais qui, dès la fin d’août, n’est plus
qu’un tapis d’herbes sèches sur lesquelles le pied glisse.
Le voyageur qui a vu se succéder ces paysages variés a pu reconnaître
les zones de végétation naturelles qu’on retrouve partout dans
les Karpates, comme dans les Alpes : la zone subalpine ou zone de
la forêt, qui va de 600 à 1,700 mètres environ ; la zone alpine inférieure
ou zone de la lim ite de la forêt, et la zone alpine proprement
dite.
I
La zone subalpine peut se diviser en deux sous-régions : une zone
inférieure, de 600 à 1,300 mètres environ, et une zone supérieure,
de 1,300 à 1,650 mètres \
Le hêtre est l’arbre caractéristique des forêts de la zone inférieure.
Il se mêle, jusqu’à 800 mètres environ, à quelques chênes de la région
des collines (Quercus sessiliflora, Q. pedunculata, Q. robur). Des
bouleaux, des ormes, des charmes, s’y associent encore fréquemment2.
Le bouleau (mesteacan) couvre souvent à lui seul les pentes rocailleuses
des terrasses de cailloutis qui s’appuient sur les hautes K arpates,
en Olténie, de même que les grès du flysch plaqués sur la
chaîne cristalline du Cozia. C’est en Munténie qu’il monte le plus
haut, formant de véritables futaies qui prennent la place du hêtre.
P ar contre, l’Olténie garde pour elle les noyers, les châtaigniers, les
frênes ornes, qui parent la base même de la haute montagne 3.
Partout on trouve, le long des ruisseaux et des torrents, des formations
de saules, d’aulnes et de tamarins, où brillent, dans un feuillage
argenté, les fruits orangés de l’argousier 4.
1. B e a n d z a . D espre vegeta(.iunea R om âniei, Acad. Rom., 11 avr. 1880.
2. Vasilescu. D ie forstw irtsch aftlich en V erhältnisse R um än ien s, Diss. Francfurt a. M., 1894.
3. Grecesco. C onspectul florei rom ân e, pp. 733-734.
4. SalUc Reichardii, S. silesiaca, S. rubra, S. viminalis, A Inus inclina, Myricaria
germanica, Tamarix gallica, Hyppophæe rhamnoïdes (Brândza-Grecesçu).