CHAPITRE VI
Le Climat des Karpates.
I.fc- La température. —: II. Les précipitations. — III. Le vent et les types
de temps en montagne.
On peut dire sans apparence de paradoxe, que les caractères particuliers
du climat et de la végétation font pour le moins autant que
le relief, l’originalité de la haute montagne. Cela est vrai plus que
partout ailleurs dans un pays de climat extrême tel que la Valachie.
On possède malheureusement peu de données précises sur le climat
des Karpates. La station météorologique la plus élevée en Valachie
est Sinaïa, à 860 mètres, située malheureusement dans une vallée
profonde 1. Presque tout ce que l’on peut dire sur lés conditions
climatologiques de la haute montagne est tiré d’inductions fondées
sur l’étude de la marche des phénomènes, dans la région des plaines
et des collines, ou d’observations faites pendant un espace de temps
trop court.
Pour estimer la valeur de la diminution de la température avec
les altitudes croissantes, on est réduit à la comparaison de stations
échelonnées de 20 à 800 mètres, encore est-il prudent de ne pas sé
servir de toutes, car la carte topographique de la Valachie n ’étant
pas terminée, les altitudes données pour certaines stations peuvent
être sujettes à caution. En comparant les stations Bucarest-Sinaïa,
Turnu M igurele—Striharej;, Striharej-Calimanesci et Calimanesci-
Sinaïa, on trouve que la moyenne annuelle diminue de 0°,7 par
1. On a formé depuis plusieurs années le projet d’installer un observatoire à
Furnica, dans le Bucegiu. La maison est construite, mais les crédits manquent
pour y installer des observateurs.
100 mètres ; en été la diminution est beaucoup plus forte, elle atteint
1°,1 en juillet; en hiver elle devient très faible, 0°,3 en janvier. L ’inversion
de la température s’observe même entre Striharej et Cali-
manesci séparés par 120 mètres d’altitude, Calimanesci ayant une
moyenne de janvier supérieure de 1°,2 à celle de Striharej.
En supposant que la loi reste la même jusqu'à une altitude élevée,
on trouve que l’isotherme annuelle de 0° passerait sur le versant S.
des Karpates entre 1,500 et 1,600 mètres ; l’isotherme 0° du mois de
juillet s’élèverait à près de 3,300 mètres ; c’est-à-dire bien au-dessus
des sommets les plus élevés. Si hypothétique que soit ce résultat, il
est intéressant, car il montre bien pourquoi les Karpates ne peuvent
avoir de neiges éternelles, ni à plus forte raison de glaciers. On
voit aussi qu’il suffirait d’un abaissement de 6 à 7° de la moyenne
de juillet, pour que la lim ite supérieure des neiges éternelles, qui
est toujours légèrement supérieure à l’isotherme de juillet, se trouvât
abaissée à près de 2,000 mètres et que des champs de névé pussent
se former, donnant naissance à de petits glaciers. Si l’on suppose
un accroissement de la pluviosité, tel qu’il s’est certainement produit
à l’époque glaciaire, on trouvera que 4 à 5 degrés d’abaissement de
la moyenne de juillet seraient largement suffisants pour' obtenir ce
résultat.
Ces constatations nous expliquent les changements survenus dans
le climat depuis la période glaciaire, et montrent qu’on est assez
voisin de la vérité en évaluant la limite supérieure des neiges éternelles
à plus de 3,000 mètres. Quant à la limite inférieure É elle doit
se trouver légèrement au-dessous des sommets les plus élevés. En
effet, sans être aussi riches en champs de neige que des massifs voisins
comme le Rhodope 2, les Karpates offrent fréquemment à la fin de
l’été de petites flaques neigeuses conservées dans les endroits abrités
et recouvertes d’une croûte de glace avec bandes poussiéreuses 3.
1. Nous entendons par limite supérieure celle au-dessous de laquelle la neige
ne subsiste pas d’une année à l’autre sur une pente découverte ; par limite inférieure.,
la ligne qui rejoint, les flaques de neige les plus basses, conservées dans
les endroits abrités (voir Ra tzel. Hôhengrenzén und Hôhengürlel, Zeitschr. d. ü.
u: 0. Alpenvereins, XX, 1899. pp. 19-67).
2. Cuuic. Das Rilagebirge und seine ehemalige Vergletseherung, Zeitschr. .d.
Ges. {. Brdlcunde Berlin, 1898.
3. Voir E. de Martonne. Recherches sur la période glaciaire dans les Karpates
méridionales, Bull. Soc. d. Sc. de Bue., 1900. — I.ehmann (Die Südkarpaten, loc.
cit.) signale des flaques de neige trouvées jusqu’à 1,060 mètres, à la fin de juillet,
sur le versant N. Ceci est, bien entendu, tout à fait exceptionnel.