II
Généralement, lorsqu’on s’élève sur les crêtes qui dominent les
vallées, on entre dans la solitude de la forêt, et ce n’est qu’après
avoir gravi 700 à 800 mètres que les cabanes des pâtres se montrent
sur les pentes découvertes. A peu près toute la population temporaire
des Karpates est concentrée dans cette zone de transition entre la
végétation arborescente et les prairies alpines. C’est là qu’on peut
vraiment saisir ce que présente de plus particulier et de plus curieux
la vie humaine adaptée aux conditions physiques de la montagne.
Dans les habitations, dans le costume, dans la manière de vivre des
paysans, qui se groupent en villages dans les vallées, on ne trouve
aucune différence essentielle avec la région voisine des hautes collines
; ici,, au contraire, on sent dès l’abord qu’on entre dans un
monde nouveau.
Il faut atteindre, à la nuit tombante, un sommet assez élevé pour
avoir une idée de la population relativement considérable qui,
pendant les mois d’été, peuple ces hauteurs. Aussi loin que le regard
peut s’étendre, partout, on voit, au-dessus de la ligne sombre de la
forêt, s’allumer les feux, s’élever les fumées en colonnettes blanchâtres
; des vallées voisines monte un bruit confus de clochettes,
et, si l’on descend rapidement, on ne tardera pas à tomber au milieu
d’un immense troupeau de moutons, que le cioban ramène à la stîna,
escorté de deux ou trois chiens loups.
L ’approche de la stîna s’annonce par une odeur caractéristique
et une boue infecte, dans laquelle, après la pluie, on enfonce à chaque
pas jusqu’à la cheville. Bientôt des aboiements furieux se font entendre,
et quatre ou cinq molosses se précipitent sur le visiteur ; de
grands cris, quelques cailloux jetés à propos, quelques coups de pieds
et de bâtons libéralement distribués par le berger, sorti au bruit,
les renvoient hurlants et vite apaisés.
La stîna, refuge des ciobani qui font paître les moutons, magasin
et fabrique du fromage que confectionnent les baci, est loin d’avoir
l’apparence de nos fromageries du Cantal ou du Jura. Le plus souvent,
les murs sont constitués par des troncs d’arbres non équarris,
disposés les uns au-dessus des autres, en s’appuyant sur les piliers