
Les animaux dont les yeux sont placés de côté ne peuvent regarder
qu’avec un ceil. C’est ce que M. Cuvier ' a aussi remarqué, et il en a conclu
que la même observation pouvoit s’appliquer à l’homme. Dans le fait,
l ’homme , par exemple le peintre , et les animaux qui ont les yeux sur
le devant de la tête, tels que le chien, le singe, etc., prouvent évidemment
par leurs gestes et par le mouvement de leur tête, tantôt d’un
côté, tantôt d’un autre, qu’ils cherchent à regarder un objet tantôt
avec un oeil, tantôt avec un autre.
Lecat, dont l’ouvrage excellent mériteroit d’être retouché, est le seul
écrivain où nous ayons trouvé notre opinion à peu près exposée.
« S’il arrivoit, dit-il “, que l’ame laissât un de ses yeux comme vacant,
qu’elle ne se servît que d’un oeil à la fois, ou quelle ne fit attention
qu’à une des deux images, la difficulté seroit bientôt levée, et il çst
vrai que c’est ce que fait l’ame pour l’ordinaire. . . . . . Nous ne considérons
attentivement un objet que de l’oeil qui est de son côté ou qui
est plus à sa portée, et l’autre oeil est dans une sorte de repos, jusqu’à
ce que son tour vienne à laisser reposer l ’autre; j’ai- même observé
qu’il y a certains jours, où c’est presque toujours le tour d’un certain
oeil de voir seul les objets, et j’ai eu lieu de soupçonner que cela venoit
de ce que cet oeil dans ces jours avoit plus de vigueur que l ’autre ; je
suis persuadé que dans bien des gens , il y a toujours un oeil plus fort
ou plus vigilant que l’autre, et qui se charge constamment de la plus
grande partie de la tâche commune ». Lecat croit cependant que cette
espèce de vision borgne n’est pas universelle , et il cherche à prouver
que l ’on voit aussi en même temps avec deux yeux1 * 3. Mais dans toutes
les expériences qui ont été tentées pour atteindre ce b u t, il confond
continuellement la vue passive avec l’active, comme font nos adversaires
dans les objections qu’ils nous adressent.
M, le professeur Walter de Berlin ', M. Ackermann ■ *, et leurs parti1
L. c. p. 375,
* L. c. p. 203,
3 L. c. p. 2o5.
* L. c. §. 3i.
sans nous ont opposé l’expérience suivante pour démontrer que l’on
regarde fixement avec les deux yeux. « Si l’on regarde un corps lumineux
, tel qu’une chandelle, les yeux armés chacun d’un verre d’une
couleur différente, l’oeil qui voit à travers un verre rouge, aperçoit
l ’objet rouge ; et l’objet paroît bleu à l’autre oeil garni d’un verre de
cette couleur. Cependant les deux yeux ensemble ne le voient ni rouge
ni bleu , mais vert, couleur mixte des deux autres ».
Cette expérience a été imaginée, crue et copiée en théorie d’après
une supposition erronée; mais n’a jamais été confirmée par la pratique.
Nous l’avons souvent répétée, et fait répéter par d’autres. Si les
deux verres sont également épais et transparens, on voit ou rouge ou
bleu , suivant que l’on a coutume de regarder fixement avec un oeil.
Mais si un verre est plus mince ou plus transparent que l’autre, sa couleur
est la seule qui donne la teinte aux objets. Jamais nous n’avons
pu apercevoir la couleur verte. Effectivement on voit vert quand on
regarde des prairies et des arbres de cette couleur, parce que les verres
colorés ne la font pas entièrement disparoître. Dans le premier moment
on aperçoit souvent des raies de la couleur mixte; mais il faut en
attribuer la cause à l’impression qui reste encore dans l’oeil devant lequel
on tient un autre verre. C’est ainsi que nous voyons souvent des
taches de couleur différente , lorsque nous portons nos yeux d’un
objet sur un autre diversement coloré.
Par conséquent en continuant à fixer son attention sur la différence
entre la vue passive et la vue active, il sera difficile de prouver que
l ’on puisse regarder fixement un objet autrement qu’avec un oeil.
On demande actuellement avec quel oeil on a coutume de regarder
fixement ? Nous n’avons pas encore pu observer que les yeux changent
d’un jour à l’autre, ainsi que Lecat ' l’a remarqué, quoique cela puisse
avoir lieu quand les yeux sont parfaitement égaux. Suivant nos expériences,
la plupart des hommes, par exemple sept sur dix, lorsque
rien ne s’y oppose, regardent fixement avec l’oeil droit. Mais l’oeil, dont
,* L. c. p. 204.
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