
nerfs optiques s’entrecroisent par moitié, de sorte qu’après l’entrecroisement,
les deux organes visuels étant parfaitement égaux dans leurs
fonctions ne forment qu’un seul organe. Mais avec deux oreilles on
n’entend qu’un son, et comme M. Ackermann ne peut pas démontrer
l ’entrecroisement de la moitié des nerfs acoustiques, cette explication
n’est donc pas la véritable, car elle devroit être applicable à l’organe
de l’ouïe aussi bien qu’à celui de la vue.
L ’on prétend aussi, et c’est avec raison , que souvent il existe une
inégalité entre les deux yeux et les deux oreilles ; et que par conséquent
une impression doit être plus vive et plus distincte que l’autre*
Mais on ne peut soutenir que, dans ce cas, l’on ne perçoive que la plus
forte des impressions. Il est d’expérience au contraire que l’on voit
mieux avec les deuxyeux, que l’on entend mieux avec les deux oreilles;
donc on reçoit les deux impressions, et la plus foible n’est nullement
anéantie par la plus forte.
C est s’énoncer d’une manière bien arbitraire, que de dire avec
MM. Cuvier 1 etRicherand « : «Tant que les images tombent sur les places
correspondantes des deux rétines, et que les deux yeux sont à peu près
égaux, nous ne distinguons point ces images, et nous voyons les objets
simples ; mais pour peu qu’un oeil soit tordu, ou tourné différemment
de l’autre , ou lorsqu’ils sont très-inégaux, nous voyons double ».
D’abord qu’est-ce que les places correspondantes P Si les deux yeux
paroissent avoir une même direction lorsque nous regardons un objet
droit devant nous , ils en ont une directement opposée, lorsque nous
voyons de côté, car dans ce cas un oeil est tourné en dedans et l’autre
en dehors. Ensuite personne ne peut nier que très - peu d’hommes
aient les deux yeux entièrement égaux. Presque toujours l’un est plus
foible , et souvent d’une manière bien marquée ; et cependant ces individus
, soit qu’ils voient en face ou de côté, n’aperçoivent les objets
que simples. Enfin avec les deux yeux entièrement égaux, les objets
paroissent pourtant doubles, quand on louche.
■ L. c. p. 369.
* Phys. tom. I I , p. 33.
De toutes ces explications si diverses, si opposées et également insuffisantes,
il résulte qu’il s’en faut beaucoup que les savans aient jusqu’à
présent trouvé la véritable cause qui fait qu’avec deux: yeux on voit
simple, et nous pouvons prédire, sans trop de témérité, qu’on n’y
arrivera pas, tant que l ’on fera entrer le toucher et l’ame dans l’explication
de la vision. L’ame ne coopère pas plus à cette action qu’à celle
de tout autre sens; elle aperçoit seulement les impressions; et quelle
le veuille ou non , son jugement s’accorde nécessairement avec les
impressions que les sens lui ont communiquées ; ainsi pour découvrir
successivement la cause des phénomènes d’un sens, il faut fixer toute
son attention sur l’organe de ce sens, sur sa manière d’agir, et sur les
rapports de 1 objet avec lequel il est en relation. C’est dans cet esprit,
que nous allons ajouter quelques considérations à celles que nous avons
présentées.
Nous ne concevons pas comment jusqu’à ce jour on a fait si peu
d attention a ce fait général : que toutes les operations de la vie animale,
et par conséquent celles des sens, sont dans de certaines circonstances
purement passives, et actives dans d’autres. Dans l’état de
veille et dans le sommeil, il n’est pas en notre pouvoir d’apercevoir
ou de ne pas apercevoir les impressions des objets sur nos sens ; nous
sentons, nous goûtons, nous entendons, nous voyons, nous touchons,
sans que notre volonté agisse; sous ce rapport les sens sont passifs.
Mais il en est tout autrement, lorsque nous dirigeons positivement notre
attention sur les impressions des sens. En flairant, en savourant en
écoutant, en regardant, en tâtant, notre propre activité intérieure agit
sur les objets.
Les organes doubles des sens contribuent toujours à nous faire recevoir
passivement les impressions, et à exciter dans le cerveau un sentiment
plus ou moins obscur ou distinct de ces impressions. Nous entendons
avec deux oreilles, et nous voyons avec deux yeux, quand le
bruit et la lumière frappent ces parties sans notre participation expresse.
Mais aussitôt que nous réagissons activement sur les objets,