ij DI S C O U R S
la peau entière se gonfle, se tuméfie, se gerce ou se détériore entièrement dans sa texture, au
point de présenter une consistance qui la l'ait ressembler à l'enveloppe de certains quadrupèdes.
Dans ces effroyables délbrniations, les malades conservent à peine l'apparence humaine ;
ils ont la physionomie terrible des lions ou la face hideuse des satyres, selon la remarque de
l'immortel Arétée. Enfin, il est d'autres cas où la peau s'élève en tumeurs circonscrites, qui
ont l'aspect des fruits, et étonnent les regards par leurs pédicules amincis, ou par une sorte
de végétation bourgeonnée. Des caractères si divers et si l'rappans constituent sans doute
autant d'espèces de maladies cutanées qui réclament tout l'intérêt et toute l'attention des
Palhologistes.
V. Si l'on examine maintenant, sous d'autres points de vue, la série innombrable des
affections dont le système dermoide est la proie , quelle diversité dans le génie particulier de
leur marche, dans le caractère propr e de leurs phénomènes, dans le type de leurs paroxysmes,
dans la durée de leurs phases, dans le mode de leur invasion et dans celui de leur issue ! Les
unes attaquent tous les âges; les autres n'arrivent qu'à une époque déterminée de la vie. Certaines
éruptions dégradent la surface entière du corps humain; certaines n'atteignent <[ue
quelques organes. Il en est un petit nombre qu'on n'a à redouter qu'une seule Ibis, tandis que
plusieurs menacent chaque instant notre existence. On en voit qui se manifestent avec des
démangeaisons violentes et souvent intolérables ; on en voit aussi <|ui n'excitent pas le plus
léger prurit. Le phénomène de leur maturation présente les mêmes contrastes. Tantôt ces éruptions
suppurent avec vitesse, tantôt elles suppurent avec lenteur. Souvent elles n'offrent aucune
trace de celte opération vitale; enfin, on observe qu'elles marchent quelquefois avec l'appareil
d'une fièvre brûlante ; et que , dans d'autres cas, elles se déploient avec calme et sans provoquer
le moindre trouble dans l'économie vivante. Quel sujet inépuisable pour la réflexion 1
§. VI. Aussi ne crains-je pas de l'avouer, dans ce vaste hôpital oil tant d'objets appeloient
i-la-fois ma curiosité et ma vigilance, mon esprit se fût souvent égaré, sans le pouvoir tutélaire
d'une méthode rigoureusement analytique ; et celte méthode, préférable à toutes, a été celle des
Naturalistes, .l'ai commencé mon travail par la description des maladies du cuir chevelu, généralement
indiquées sous la dénomination de Teignes. On sait <[ue les Arabes ont principalement
excellé dans l'étude de ces affections funestes qui attaquent l'homme à l'eiUrée de la vie.
Mais combien de faits manquoient à leur histoire ! La Teigne laveuse n'avoit pas été signalée
avec les vrais phénomènes qui la distinguent. J e puis porter le môme jugement sur la Teigne
granulée ou rugueuse, sur la Teigne furfuracee ou porrigineuse. La Teigne muqueuse avoit
été confondue avec la croûte de lait. Enfin, toutes ces dégradations cutanées étoient soumises
à des traitemens ineptes et barbares. Non-seulement j'ai tracé un tableau fidèle de leurs dilfércntes
espèces, en n'assignant à chacune d'elles que les attributs qui les séparent; mais j'ai
éprouvé, par des expériences décisives, les divers plans curatifs qu'on leur a opposés jusqu'à
ce jour. J'ai lait des efforts pour pénétrer le mystère de leur contagion. Les résultats que j'ai
oblcims, doivent dissiper les craintes du vulgaire, et rassurer les imaginations alarmées. Je n'ai
pas borné là mes recherches; j'ai suivi ces exanthèmes jusque dans le mécanisme de leur formation
, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi : en sorte qu'après avoir enlevé , par des applications
détersives, les croûtes et les écailles qui les consfituent, je contemplois de nouveau les
progrès de leur marche, à mesure c[u'elles renaissoient. J'ai même interrogé, par les procédés
analytiques de la chimie, la nature matérielle de leurs desquammations. En un mot , j'ai tâché
de n'oublier aucun point de vue , pour arriver à la connoissance complète d'une affection si
rebelle à nos moyens thérapeutiques.
VII. J e ne pouvois sans doute m'occuper des maladies qui intéressent les tégumens de la
tête, sans porter en même temps mes regards sur la Plique,affecfion extraordinaire des cheveux
et des poils, qui est .spécialement endémique dans la Pologne, la Lithuanie et autres
P R É L I M I N A I R E . ¡¡j
pays circonvoisins. Les faits relatifs à cette affection doivent nécessaireinent trouver leur pla<-c
dans l'ouvrage que je publie; car les altérations que subissent les organes pileux sont essentiellement
liées à celles du système dermoïde, et leur histoire ne peut pas plus eu être séparée,
que la théorie de la végétation des plantes de celle du sol (:|ui les fait croître et les nourrit.
D'ailleurs, beaucoup de traits d'analogie rapprochent la Plique de la Teigne. Toutes deux,en
effet, produisent des éruptions, des ulcérations sur la peau, des engorgemens glanduleux, des
déformations unguiculaires,etc. Peut-être aussi que les dépurations qu'elles occasionnciil, ont
des points de contact que nous ne cpnnoissons pas. Au reste, de tous les phénomènes rares et
singuliers dont traite la Pathologie descriptive, aucun, j'ose le di re, n'offre plus de difficultés
à éclaircir que la Plique. Cette maladie, qui est si redoutable dans les pays où elle sévit coinmunémeiU,
et que j'ai eu occasion d'observer dans trois circonstances à Paris, m'a mis à même
de mettre à profit les recherches particulières qu'ont bien voulu m'adresser les médecins (|ui
pratiquent l'art dans ces contrées ; et je me plais à payer ici un tribut d'éloges à leur zèle ,
pour fexcellence des faits qu'ils m'ont communiqués avec tant d'empressement.
§. VI I I . Il est une série nombreuse de maladies de la peau, sur lesquelles j'ai été plus à même
de méditer, parce qu'elles sont plus fréquentes parmi les hommes, et (|u'on les rencontre sous
mille formes à l'hôpital Saint-Louis : ce sont les Dartres. Quelques espèces sans doute avoient
été soigneusement déterminées par l'observation ; mais il en est une foule dont l'étude n'étoit
pas même encore commencée, et dont la description ne se retrouve dans aucun auteur. On
n'avoil pas retracé d'ailleurs d'une manière assez exacte les symptômes et la marche des Dartres
déjà connues. On avoit, en outre, trop généralisé les principes de traitement pour toutes ces
affections, qui ont tant de types diff'érens, que tant de causes opposées développent, fjue tant
de levains fomentent, qui s'exercent sur des tégumens dont la texture est si variée. Quel vide
encore n'avois-je pas à rempl ir, touchant les éruptions herpétiques c|ue suscitent souvent des
maladies étrangères au système dermoide , telles que la goutte, le rhumatisme, etc. ! J'ai longuement
exercé mes yeux à discerner, dans toutes les circonstances, les déplorables empreintes
des scrophules, du scorbut, et les ravages innombrables de la siphylis prothéilbrme. Afin de
ramener l'ordre dans une matière si embrouillée, j'ai décomposé les Dartres j usque dans leurs
élémens les plus simples. Par une longue contention de mon esprit, et par une constance que
rien n'a pu fatiguer, j'ai tenu le compte le plus fidèle de tout ce qui est relatif aux phénomènes
de leur propagation, au caractère de leur mobilité, au danger de leur répercussion,
et à l'espèce d'iniluence utile qu'elles conservent dans l'économie animale. L'examen appi'ofbndi
de ce vaste ensemble m'a fourni, je puis l'assurer, des résultats inattendus et des points
de doctrine infiniment utiles à la science.
§. IX. La Lèpre, fEléphantiasis, le Pian et autres fléaux de ce genre , sont très-rarement
observés en Europe; aussi les érudits disputent encore sur le vrai caractère de ces affections
terribles, dont les anciens ont fait mention. Ce qui augmente sur-tout la confusion qu'ils ont
introduite dans cette matière, c'est qu'ils se plaisent à disserter sur des symptômes dont ils n'ont
pas été les témoins. Ils compulsent les ouvrages des Grecs et des Latins ; ils en interprètent le
texte diversement et à leur gré : c'est ce (|ui a donné lieu à une multitude d'erreurs. Mais,
certes, si on s'accorde à peine aujourd'hui sur les attributs invariables des plantes décrites par
les Botanistes de l'antiquité, comment s'accordera-t-on sur des maladies dont la physionomie
spéciale a pu être modifiée par mille circonstances dans la durée des siècles? Au surplus, il
suffit souvent de quelques fiits exactement exposés,pour détruire tant de discussions superflues
qu'il importe de ne lire, que lorsque la contemplation fidelle de la nature a prémuni notre
esprit contre les impressions fausses qu'il pourroit recevoir. Quoique les affections désastreuses
dont nous venons de parler, ne se manifestent presque jamais en France, j'ai eu cependant
occasion de voir plusieurs accidens qui leur appartiennent. L'hôpital Saint-Louis est, en
quelque sorte, l'égout de toutes les contrées du monde. Les étrangers qui affluent dans une