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dans mi cliùlcau tic la Nonnanclio, uu homme fori révéré, et qui jadis avoil élc religieux dans Vordre austère
de la Trappe j il passoit pour avoir le don de faire disparoître les éerouelles par la simple apposition des mains.
Dans les pays où les éerouelles abondeul, il est des fontaines consacrées par la piété populaire, et où un grand
nombre de personnes soufFrantes vont chercher un soulagement à leurs maux. Sans doute que les émotions que
l'on éprouve dans ces pèlerinages, impriment au système lymphatique une activité salutaire. J'ai pensé, du
rosLe, qu'il ii'éloit pas inutile de reproduire ici ces croyances et ces coutumes locales, qui renferment'toujours
quelque fait instructif pour l'observateur. Ne sont-ce pas ces croyances qui nous ont révélé les eiTets de la niéihodc
perturbatrice, dont on a retiré les plus manifestes avantages depuis quelques années ?
DCCXXVL Lorsque j'ai Iraité de la maladie scrophuleuse dans le premier volume de ma Nosologie mitarelie,
et que j'ai voulu la classer dans le rang qui lui convient, j'ai cru devoir la rapporter à la famille des
Adénoses, parce qu'en effet cette maladie a pour siège spécial le tissu des glandes conglobées ou absorbantes. C'est
l'intumescence de ces glandes qui les fait saillir dans des endroits où elles sont d'ordinaire peu apparentes. Les
vaisseaux lymphatiques participent nécessairement à l'altération, et quelques dissections anatomiques trèsattentivement
pratiquées dans ramphilhéàtrc de l'hôpital Saint-Louis, démontrent qu'ils sont parfois obstrués,
souvent noués et variqueux. Qiumt aux scrophules culanées qui sont l'objet principal de cette dissertalion,
il faut les regarder comme le résultat ou la suite de l'altération primitive des ganglions absorbans, et
particulieremenL de ceux qui abondent sous l'appareil tégumentaire.
DCCXXVIL Parmi les considérations intéressantes auxquelles donne lieu cette affection extraordmaire, il en
est une à laquelle on ne s'attend pas, et qui n'en est pas moins digne de toutes les méditations des médecins
physiologistes^ c'est (pie dans les grandes villes, elle est devenue si fréquente et si générale, que peu de familles
en sont préservées. Elle constitue une sorte de tempérament particulier dans la vie sociale. Lorsqu'elle est peu
prononcée dans l'économie animale et qu'elle se borne à y faire prédominer le tissu cellulaire, il en résulte une
beauté factice qui flatte agréablement les regards, et qui exerce même un certain empire sur les passions dans les
rapports naturels des sexes.
DCCXXVIII. J'ai souvent appelé l'attention de mes élèves sur cette multitude de jeunes filles qui, parvenues
ù la fleur de l'âge, viennent toutefois réclamer nos soins à l'hôpital Saint-Louis, pour quelque accident de la
maladie scrophuleuse. On est réellement surpris de tous les contrastes que l'on observe sur une peau fraîche, et
souvent colorée du plus vi f incarnat; on voit s'élever ça et là, ou sur une seule partie du corps, des pustules et
des croûtes sordides, qui se changent en ulcères hideux. Le mal semble s'être, pour ainsi dire, concentré sur im
point des tégumens, tandis que les autres présentent l'aspect de la santé la plus régulière et la plus brillante.
DCCXXIX. C'est surtout chez les femmes et chez les enfans que l'on remarque ces formes arrondies, ces
contours polis, et surtout cette l'raîclieur qui tient à la redondance des sucs muqiieux daus les alvéoles du tissu
cellulaire. Tel le étoit une jeune actrice d'un des théâtres de la capitale j aucune n'avoildes regards plus expressifs
et plus animés, uu teint plus pur et plus éclatant de blancheur j elle charmoit la ville par la beauté de sa voix et
la grâce infinie de ses altitudes, etc. Cependant elle portoit sur l'une des parties latérales de son col, un ulcère
sanieux, dont il falloit sans cesse masquer la présence par une fraise de gaze, ou pallier la fétidité par des
parfums. Dans les grandes villes, ne voit-on pas tous les jours une multitude d'enfans qui, semblables à des
plantes étiolées ou à ces fruits trop succulensque détériore la culture, recèlent une maladie fâcheuse sous les
formes les plus agréables à la vue?
DCCXXX. Qui croiroit que la dépravation physique de l'un des systèmes les plus essentiels à la nutrition,
n'est en aticune manière défavorable à l'exercice des fonctions intellectuelles cl morales! En général, les scropliulcux
ont l'àme très-active et très-passionnée; ils manifestent une aptitude singulière pour les travaux de
l'esprit. On diroit que les idées circulent avec plus de liberté au milieu des circonvolutions et des anfractuosilés
cérébrales, ordinairement plus dilatées et plus volumineuses chez ces sortes de malades, comme l'anatomie le
démontre. Une remarque que tout le monde peut faire, c'est qu'il y a eu parmi eux beaucoup d'hommes d'un
ordre supérieur, et qui ont cfRcacement contribué à la gloire des sciences et des arts. Ceci n'est point un paradoxe,
et donne matière à des réflexions importantes. On dira tout ce qii'on voudra; mais on connoît tel poète, ou tel
savant, dont les chefs-d'oeuvre ne sont parfois que le résultat d'un tempérament exalté par la fièvre, ou d'une
susceptibilité nerveuse exaspérée par l'insomnie. Il faut avoir vu comme nous les malades en masse, pour être
assuré de la justesse de ces observations.
DCCXXXI. On croira facilement que les mêmes causes qui développent avec tant d'activité l'intelligence des
scroplmleux, doivent pareillement influer sur l'énergie cl l'intensité de leurs passions. La plupart sont Lrèsporlès
aux plaisirs de l'amour. A l'hôpital Saint-Louis, j'en ai vu plusieurs singulièrement disposés à des seiitiniens
de haine et de vengeance, et qui s'abandonnoicnt quelquefois à des mouvemens de colère incoercibles.
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Dans les maisons d'éducation, les instituteurs éprouvent des difficultés sans nombre pour corriger ces pcnchaiis
précoces, résultat d'une irritabilité morbifiquc qu'on n'a point encore étudiée.
DCCXXXII. Tout coque j'ai dit jusqu'à présent n'est relatif qu'à la scrophule des villes ; mais lorsque cette
maladie est endémique, lorsqu'elle se manifeste au sein de la misère et des qualités malfaisantes de l'atmosphère,
elle ofire un aspect tout différent aux regards de l'observateur. C'est bien le même genre d'afl'ection,
mais avec des caractères tranchés qui en font une espèce particulière. Nous avons eu occasion de recevoir, à
l'hôpital Saint-Louis, quelques-uns de ces scrophuleux, qui arrivoient du département de la Lozère. Ils étoient
presque tous dans un état effrayant de décharnemcnt et de maigreur; les glandes cervicales et sous-maxillaires
étoientprodigieusement engorgées et se prononçoient en tumeurs sous les tégumens amincis; la thyroïde sembloit
monstrueuse; la couleur de leur peau étoit sale et terreuse; leur épiderme étoit dur et calleux dans plusieurs
parties de leur corps; leurs mains et leurs avant-bras étoient desséchés comme les membres d'une momie
d'Egypte; leurs ongles étoient raccornis et recourbés; la plupart étoient chauves et d'une stature raccourcie;
ils avoient le regard terne et pour ainsi dire inanimé, la voix rauque et sourde, comme si elle sorloit d'un
tombeau. Leur marche étoit vacillante; enfin, la vie sembloit n'exister que par un souille chez tous ces individus
flétris et absolmuent dégradés par les ravages de l'atrophie scrophuleuse.
D C C X X X n i . Quand on visite chez eux ces malheureux villageois, on ne s'étonne plus des ravages que
produit dans leur économie physique la maladie déplorable dont nous nous occupons. La plupart vivent constamment
dans des vallées étroites, obscures, entrecoupées, où pénètre à peine le soleil; leurs chétives cabanes
sont presque toujours adossées à des tertres ou appuyées sur la base des collines, où elles se trouvent sans cesse
en butte aux eaux qui proviennent de l'accumulation des pluies ou de la fonte des neiges. Quelques-uns couchent
dans des granges ou dans des écuries, pêle-mêle avec les animaux domestiques. Leur lit touche à des murailles
humides, et le linge qui les recouvre est d'une malpropreté aussi nuisible que les vapeurs ammoniacales
qu'ils y respirent; ajoutons qu'ils ne se soutiennent que par une nourriture malsaine, et qu'aucune éducation
morale ne vient d'ailleurs corriger chez eux les rigueurs de l'indigencc ou l'âpreté du climat. Toutes ces causes
doivent certainement dépraver à la longue le système lymphatique, et donner lieu à tous les fâcheux accidens
que nous observons.
DCCXXXIV. Le traitement de la maladie scrophuleuse est essentiellement lié à la prospérité publique ; toutes
les Académies, tous les Cabinets savans devroient proposer ce sujet à l'émulation générale. Parmi les fléaux sans
nombre dont la race humaine est accablée, aucun en effet n'oppose aux ressources de notre art une opiniâtreté
plus désespérante. Je me propose de donner sur ce poiut de doctrine quelques aperçus utiles, que rexperiencc
m'a suggérés; mais afin de procéder dans cette dissertalion avec plus d'ordre et de convenance, je commencerai
préalablement par exposer, avec l'exactitude rigoureuse des sciences naturelles, les divers symptômes de cette
mfirmité, aussi honteuse que dégoûtante, qui nous rend le rebut de nos semblables, qui fait redouter l'union
conjugale, qui se transmet à nos descendans, qui frappe l'enfant dans les bras de sa mère, et transforme les
plus belles années de la vie en une série de peines et de soufTrances.
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