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legèrcraent en pointe. Ces boutons peu enflammés, rapprochés les uns des autres, ne cotuiennent aucune matière
clans leur intérieur; ils se recouvrent, lorsqu'ils ont été déchirés par l'action des ongles, d'une légère croûte ou
squamme arrondie de la grosseur d'une tête d'épingle et d'une couleur noire ou brunâtre. Cette croûte, qui se détache
après un certain temps, est formée par le dessèchement d'une gouttelette de sang, ou de sérosité qu'on fait sortir par
le déchirement des petits boutons.
Les démangeaisons varient d'intensité selon les cifconstances où se trouvent les malades : elles sont plus vives quand
il fait chaud, lesoir, lu nui t , après le travail, etc.; il s'agit quelquefois de toucher légèrement les papules de la peau
pour qu'elles se développent avec promptitude. Le simple frottement produit par les habits peut les provoquer. Il
faut alors que le malade se hâte de gratter les tégumens, et il est rare qu'il puisse résister à un besoin aussi impérieux.
La psoridc papuleuse a souvent des intermittences de trois ou quatre heures, surtout quand le malade mange
ou qu'il est absorbé par une occupation sérieuse. Quelquefois, le prurit ne dure que cinq ou six minutes et disparoît
ensuite pour plusieurs jours. J'ai connu un homme d'environ cinquante - cinq ans et d'une constitution saine autant que
robuste, lequel se trouve sujet à un prurigo plantaire. Cette affection le saisit si vite et le maîtrise à un tel point,
que dans les rues ou même dans les sociétés, il est contraint d'ôter son bas et son soulier, pour se gratter en
liberté, jusqu'à ce que la démangeaison soit apaisée. Le malade se trouve-t-il dans une assemblée nombreuse, ou
devant des personnes qui méritent les plus grands égards, il fiiut qu'il obcisse au penchant irrésistible qui l'entraîne.
J'ai domié des soins à un autre individu qui est pareillement tourmenté d'une psoride papuleuse à la plante des
pieds; il ne parvient à l'apaiser qu'en marchant et en fatiguant considérablement. S'il s'arrête, son supplice recommence.
Lorsqu'il est dans les accès il court les champs et les grands chemins, comme un vagabond. Ses camarades
l'appeloient par dérision le Juif errant.
La psoride la plus douloureuse est celle qui attaque les parties génitales dans les deux sexes; elle est accompagnée
d'une foule de symptômes secondaires qui varient chez les diiTérents individus et qui sont en rapport avec le degré
de la sensibilité particulière qui les distingue. Une malheureuse femme éprouvoit au clitoris une démangeaison vive,
qu'elle cherchoit à apaiser en y appliquant à chaque instant des linges mouillés. L'impression d'un froid glacial
sembloit amoindrir pour quelques minutes l'horreur de ses souffrances.
Il estime autre psoride papuleuse, qui est, pour ainsi dire, inexorable, c'est celle qui attaque les vieillards; j'en ai
rencontré qui éprouvoient des tintements d'oreille, des foiblesses de vue, des crampes, des lassitudes, des tiraillements
d'estomac, des oppressions, des gonilemens de l'épigastre. Toutes les fonctions se dérangent, particulièrement
les fonctions digestives. Les malades s'épuisent et tombent dans l'amaigrissement : ils s'abandonnent au découragement
et au désespoir.
Il en est qui ont un apjjélit vorace et qui n'ont d'autre jouissance que de se gorger d'alimcns salés ou épicés. Ils
aiment aussi par goût les liqueurs fortes et alkooliques; mais leur repas est à peine terminé, que les démangeaisons
se font sentir comme auparavant. Bientôt les épaules écorchées sont inondées de sang et d'une humeur ichoreuse.
On diroit que toute la peau a été brûlée par l'eau bouillante.
Dans la psoride papuleuse, les muscles sont'quelquefois tellement irrités, qu'ils se gonflent, se durcissent, et se
dessinent d'une manière frappante sur les membres supérieurs et inférieurs. Une religieuse hospitalière, très-exercée
à la considération des maladies, appelait ce phénomène X^s, cordes du prurigo. Nous avons vu quelquefois les jambes
de ces infortunés se roidir par une sorte de contraction musculaire; en sorte qu'ils ne pou voient plus exécuter les
mouvemens de progression et mouroient inipotens.
Mais c'est spécialement vers le système lymphatique que les ravages de la psoride papuleuse se manifestent. La
plupart des malades succombent par les progrès d'une infiltration qui s'étend à tout le système de l'économie animale.
Voici un fait qui s'est passé à l'hôpital Saint-Louis. Le nommé Jean Maxac, âgé de soixante-dix ans, faisoit le
métier de cocher, et avoit été très-malheureux .pendant toute sa vie. Il fut toujours très-mal nourri et couchoit
dans des endroits humides. Il éprouva des démangeaisons qui se firent sentir particulièrement sur les épaules, sous
les aisselles, sur le devant de la poitrine, au col et à la partie interne des cuisses. Des petites papules soulevoicnt
l'épidermc et rendoient la peau très-inégale à la suite des frottemens réitérés. Les démangeaisons qui étoient
extrêmes diminuèrent tout à coup par l'effet d'un vif chagrin qui lai survint; mais aussitôt ses bras, ses cuisses,
ses jambes se tuméfièrent. Le malade étoit oppressé; il respiroit difficilement et se trouvoit pris d'une diarrhée excessive.
Il éprouvoit pendant la nuit des défaillances qui donnoient des ci-aintes excessives pour sa vie. La prompte application
de deux vésicatoires lui devint très-favorable. Trois jours après, la psoride papuleuse avoit reparu et le tissu
cellulaire étoit affaissé. Il se trouva bien pendant quelques jours. Il sortit même de l'hôpital. Mais nous avons appris
depuis cette époque, qu'il étoit mort chez lui d'un hydrothorax.
Les effets de la p.soride papuleuse sur les facultés intellectuelles sont également très-remarquables. Nous avons
conservé long-temps à l'hôpital Saint-Louis, le nommé Marade, chez lequel cette affection cutanée alternoit avec
une aliénation mentale; lorsqu'il arriva, il se montroit très-raisonnable; mais alors tout son corps étoit couvert de
papules qu'il se plaisoit à gratti'r et à excorier jour et nuit. Un matin nous trouvâmes sa peau naturelle et
absolument nettoyée. Mais il avoit un accès de délire si violent, qu'il fallut assujétir ses bras par une camisole; il
rioit aux éclats; témoignoit une joie cynique; prétendoit être un littérateur célèbre; se faisoit appeler Voltaire. Il
racoûtoit d'utie manière burlesque, les détails de son mariage avec une veuve, etc.
Quelquefois les malades se trouvent atteints d'un état de stu])idité par la rétrocession soudaine de la psoride papuleuse,
et dans les instans où l'éruption est dans toute sa vigueur, il est rare qu'ils puissent se livrer à aucune occupation
sérieuse de l'esprit. Ils ne savent que souffrir et se plaindre. On en voit qui sont tellement pressés par le besoin d'ex-
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primer ce qu'ils éprouvent, qu'ils écoutent à peine le médecin qui veut leur donner des conseils. Ils interrompent à
chacjue instant le fd de ses discours et ne cessent de le fatiguer par un récit fidèle autant que prolixe des maux qu'ils
endurent.
Quoique la psoride papuleuse pédiculaire no soit qu'une variété de l'espèce qui nous occupe, elle mériteroit un
chapitre à part. Attachons-nous h reprofluirc ici cette maladie extraordinaire, dont les anciens nous ont laissé des
peintures si hideuses. Qu'on lise on effet leurs ouvrages; on l'y trouvera fidèlement décrite avcc les singularités les
plus dignes de notre observation. Souvent même on prendrait leurs récits pour le résultat des prestiges de leur
imagination abusée, si l'on n'avoit occasion de se convaincre par soi-même de la vérité de ce qu'ils ra|)portent; jnais
les mêmes phénomènes se remarcjuent encore dans le siècle où nous sommes.
Il y a dans cette infirmité quelque chose de dégoûtant qui n'existe pas dans la psoride formicante. Les animalcules
qui se propagent en nombre incalailable, et, pour ainsi <lirc, spontanément sur les tégumens, reiidcnl; les malades
le rebut de la nature entière. Ce sont d'ailleurs les mêmes tourmens ; c'est la même violence dans le prurit. C'est, en
outre, une sombre inquiétude, qui absorbe toutes les faculics morales; l'homme qui se voit ainsi dévorer comme
une proie vivante, n'ose porter ses regards sur lui-même, sans éprouver la plus douloureuse des humiliations.
Le développement des poux sur la peau humaine ¡n-oduit tous les symptômes imaginables : les an.'^iétés, les frissons,
les lypothimies, les essoufllemens, un malaise général, enfin tous les plus fâcheux résultats de l'accablement et
de la foiblesse. La peau n'est pas seulement tourmentée ù l'extérieur; il y a irritation dans toutes les surfaces muqueuses.
On voit des malades, qui, pour la moindre cause, éprouvent des affections catarrhales, la toux opiniâtre et
le dévoiement. Ce qui frappe souvent les regards dans le développement de la psoride pédiculaire, c'est une matière
exsudée par le corps du malade, et qui se concrète sur la peau pour y former une couche sale et dégoûtante. Les bains
dissolvent cette crasse c[ui semble boucher les pores exhalans.
La psoride pédiculaire se borne parfois à certaines parties; d'autres fois elle est générale et se fait sentir dans tons
les points du corps; c'est surtout dans ces derniers cas que tous les systèmes de l'économie participent en quelque
sorte à l'infection de la peau. Toutes les excrétions sont fétides, pariiculièremcnt celle des urines. Les malades tendent
au marasme. La mort vient terminer leur afl'reux supplice.
A l'hôpital Saint-Louis, nous voyons souvent des individus qui ne sont que périodicpjcmcnt affectés par la psoride
pédiculaire. C'est surtout pendant l'été que ces insectes se multiplient d'une manière surprenante. Ils disparoisscnt aux
approches de l'hiver, pour se montrer au printemps, sans être d'ailleurs annonces par aucun symptôme particulier.
Lorsqu'un malade se gratte avec vivacité, les papules de la peau ne font qu'accroître en nombre et en grosseur.
Elles sont, pour la plupart, très-rouges et de forme oblonguc. Durant la nuit surtout, les individus, plus irrités par lu
violence du prurit, se lèvent en sursaut, sortent de leur lit et appliquent sur leurs tégumens des linges mouillés.
Cette impression d'un froid glacial suspend pour un temps leurs horribles souffrances, en changeant le mode de
sensation.
Parmi les observations que j'ai rassemblées, la suivante surtout me paroît pro|)rc à donner une idée complète de
cette désolante maladie : il s'agit de l'histoire tragique du sieur Laval, qui subsistoit à Paris par le produit d'une
petite rente. C'étoit un homme doué d'un tcmpéraînent sanguin, et n'ayant eu dans son bas âge que les maladies
propres à l'enfance, telles que la variole et la rougeole. Il est \Tai que mille chagrins l'avoient assailli durant le cours
de la révolution françoise. Il y a une douzaine d'années qu'il fut atteint du prurigo pédiculaire, sans qu'il pût assigner
une cause récente à cette cruelle affection, dont les progrès furent très-rapides. Il employa imitilcment plusieurs
remèdes, entre autres la poudre de staphysaigre, très-renommée en pareil cas. J1 avoit beau changer de linge, les
poux se midtiplioient à chaque instant; ce qui le détermina à négliger tous les soins de propreté, et plongea son esprit
dans une sorte d'apathie. De petites papules s'élevoicnt sur toute la périphérie de son corps etscmbloicnt fournir un
asile à cette vermine rongeante. C'est dans cet état qu'il entra à l'hôpital Saint-Louis, où il fut visité par tous les
assistans de ma cUoique. Il ne pouvoit résister au prurit qui le tourmentoit; il s'acharnoit contre son épiderme, qu'il
déchiroit avec ses ongles. Les poiLX se manifestoient de toutes parts et relluoient jusque dans les replis de son linge.
Les parties exposées à l'air, comme, par exemple, les mains et le visage, en étoient exemptes. Il y avoit sur le corps
de cet homme des papules celluleuses, aussi grosses qu'un grain de poivre. Elles se dévcloppoient avec autant de
rapidité que les petites. En moins d(i vingt-quatre heures, il s'y engeudroit des poux de différentes dimensions et
tellement nombreux, que suivant l'expression du malade, il y en avoit plusieurs générations. Mais, ce qu'il y a de plus
extraordinaire dans l'histoire de cet infortuné, c'est qii'aussitôt que ces animalcules eurent disparu, il lui survint
dos symptômes d'adynamie; son pouls s'affoiblit; sa langue devint noire et sèche; il avoit nne odeur qu'on ne pouvoit
mieux comparer qu'à celle des gaz qui se dégagent d'un mélange do substances animales et végétales en putréfaction.
Il mourut.
O B S E I I V A T I O N S l lEl .ATIVES A I , A l > S O R i n E PAl'ULEUSE.
Premiere obsermiion.— Louis Crozicr, boulanger, âgé de trente-neuf ans, ayant la peau blanche, les cheveux cendrés,
les muscles assez développés, était né de parens sains. Cet homme n'avoit éprouvé pendant le cours de sa vie
que de légères incommodités, qui toutes avoient été de courte durée. Habitant Paris depuis quelques mois et étant
obligé de travailler malgré les intempéries de l'atmo-sphère pour .subvenir à ses besoins, il gagnoit à peine de quoi
pourvoir à sa subsistance. Il étoit logé dans une chambre extrêmement étroite, peu aérée, et se nourrissoit de
viandes fumées ou de fromage à moitié pourri. Cet homme étoit couvert d'une éruption papuleuse qui existoit par
tout le corps. Cette éruption étoit accompagnée d'un prurit que le malade ne i)0UV0it apaiser par aucun moyen, et
qui prciioit surtout de l'intensité aux approches de la nuit. Alors le malade sortoit de son lit et se rouloit sur le
I! —