H
148 ]\t A L A D I E s D E L A P E A U.
CCCCLXIII. J ui été téinoia oculaire du fait qui va suivre. M. Piuctle, ancien élève de l'hôpitiil Saint-Louis,
excellent obsei-vateur, procéda, en uni présence, à l'autopsie cadavéiñque du nomme Avnout, mort de l'Éléphantiasis,
et dont j'ai déji\ citó l'observation. Toici les phénomènes dont nous crûmes devoir tenir compte.
L'organe pulmonaire étoit dans une espèce de fonte pm-ulente ; la rate et le foÎe n'avoient point leur coideur
urdinairc; le tissu de ces viscères étoit ilasc[ue et mollasse; la langue et tout le corps muqueux éloieiit parsemés
de tubercules durs; il y avoit de fortes udliérences entre les muscles et les tendons; les vaisseaux artériels
étoient remplis d'un sang visqueux et noirâtre.
CCCCLXIV. Cette observation se rapproche beaucoup de celle qui avoit déjà été faite par Schilling; ilavoit
remarqué que toutes les fois cpt'on amputoil la jambe ou la cuisse î\ un lépreux , on n'avoit pas besoin
de lier l'arlèrc crurale, ni de recourir aux styptiques, attendu q ue le jet du sang est très—foible. Schilling
avoit pareilleinenL obsei-vé que la couleur du sang des lépreux étoit plus obscure et comme noir;\trc. Le sang
des lépreux, recueilli dans des vases, n'uflre qu'une très-petite quantité de sérum : j'ai fait la même remarque
sur le sang des scorbitliqucs à l'hôpital Saint-Louis.
CCCCLXV» Les os d'Arnout, que nous examinâmes de concert avec M. Ruette, étoient spongieux et ramollis.
Ce genre d'altération s'observe fréquemment chez les lépreux. On n'y trouve aucun vestige de périoste. Leurs
lamelles internes se séparent üicilement les unes des auti'es ; leur cavité ne contient plus de substance médullaire ;
ils ne foiment, avec les tendons et les muscles, qu'une masse compacte et lardacée. On a vu des sujets chez
lesquels le radius, le cubitus, le tibia et le péroné, les petits osselets des pieds, etc., étoient tellemeut réunis,
adliérens et conlbndus , que le plus habile anatomiste pouvoit à peine les démêler. C'est sur-tout c\ Scliilling
que l'on doit ces remarques.
CCCCLXVI. Je dois consigner ici Fautopsie cadavérique d'un individu dont je rapporte l'iiistoire dans cette
dissertation. J'ai déjà dit qu'il étoit mort après avoir parcouru toutes les périodes de FÉléphantiasis. Nous
procédâmes à l'ouverture du cadavre, qui présenta les phénomènes suivans. L'Jiabit^ide du coi'ps étoit blafarde
, jaunâtre; le visage ollroit des rides très-prononcées, sur-tout au front et au-dessus des commissures
des lèvres; les yeux dépourvus de cils et des sourcils; les paupières altérées par une matière puriforme avcc
quelques croûtes irrégulières d'un jaune verdâtre ; tous les poils du menton et des lèvres, en partie tombés ;
enduit fuligineux des gencives et de la langue; les bras, par tic uUè rement le bras gauche, dépouillés de l'épiderme,
luissoient le tissu muqueux à découvert et semé de larges plaques gangreneuses ; les ongles étoient
desséchés et détachés; même disposition dans les extrémités inférieures, lesquelles étoient en partie infiltrées,
et en partie phlogosées, etc. L'état intérieur n'étoit pas mieux. Les glandes de la peau étoient engorgées ;
les os du crâne étoient friables ; point d'épancliement dans les ventricules du cerveau; seulement à sa partie postérieure,
nous avons remarqué un peu de sérosité accumulée enti-e l'araclmoïde et la pie-mère; le cervelet d'ailleurs
très-sain ; dans la poitrine, la plè^Te étoit adhérente avcc le poumon; le péricarde sain sans épanchement dans
sa cavité; le coeur plus volumineux d'un quart que dans l'état ordinaire; dans les veniricules , des portions
polypeuses, offrant l'aspect et la consistance de la fibrine; pour ce qui est de l'abdomen, le foie étoit dans
son état naturel sans la momdre lésion; la vésicule très-distendue par ime grande quantité de fluide jaunâtre,
contenant en outre quelques calculs biliaiies ; le mésentère étoit parsemé de tubercides comme pierreux; les
intestins, l'estomac , l'oesophage, le pharinx, le larinx étoient recouverts d'un enduit muqueux d'une couleur
bleuâtre; la rate étoit plus volumineuse et plus consistante que de coutume; le pancréas et les reins dans l'état
sain, ainsi que les capsules et los m-étères; la vessie étoit raccornie extraordinaircmcnt, au point qu'elle eût
pu contenir à peine un oeuf de poule ; les membranes de ce viscère étoient devenues prodigieusement épaisses.
CCCCLXYII. Vous comparerez cette série de dégi-adations observées à l'hôpital Saint-Louis, avec celles qui
ont été l'objet des recherches de Sddlling, de lîaymond, de Lorry, de Laborde, de Ilajon , de Vidal, de
Valentin et autres auteurs qui se sont occupés avcc zèle de cet intéressant sujet d'observation ; vous y trouverez
une analogie singulière dans les symptômes et dans les phénomènes, qui ne permet plus de confondi-e la ¡îlatu
qu'il convient d'assigner aux Lèpres dans les systèmes nosologiqucs.
M A L A D I E S DE LA PEAU. 14g
A R T I C L E YII.
l ues générales sur le traitement des Lèpres.
CCCCLXVIIL Tout est à rechercher, tout est à découvrir dans le traitement qui convient le mieux à la guérison
des Lèpres. Eu effet, comment cette affection seroit-elle combattue avec succès dans des climats où règne
un aveugle empyrisme ; où toute méthode curative est négligée ; où on se complaît, pour ainsi dire, avec son
mal; où l'on se familiarise avec ses symptômes; où l'on vit dans une ignorance complète des règles de l'art?
CCCCLXIX. Ce qui est cause sans doute qu'on a encore si peu perfectionné les procédés curatifs des
Lèpres, c'est la persuasion où l'on est que cette nialadie est incurable. J'ai déjà eu occasion d'observer que
dans presque tous les pays on séquestre les lépreux, et qu'on les abandonne à leur malheureux sort. Cette
mesure s'exécute même sur les nègres qu'on auroit intérêt de guérir et de conserver, ainsi que l'assure liajon,
ancien chirurgien-major de l'île de Cayenne. A peine voit-on se manifester chez eux quelques légers accidens,
qu'on les renferme dans des cases séparées, et c'est là qu'on se contente de les nourrir pendant le reste de
leur vie. Bajon ajoute même que lorsque les blancs sont atteints du Mal-ix>uge^ ou, ce qui est la même
chose, de la Lèpre tubei-culeuse, ils n'osent révéler leur maladie à personne, et qu'ils la cachent aussi longtemps
qu'ils le peuvent; alors même qu'elle se manifeste aux mains et au visage, ils restent indifférens, et
consultent rarement les personnes de l'art ; ils ont plutôt recours à des arcanes, ou à des topiques insignifians
qui aggravent singulièrement leur position.
CCCCLXX. D'ailleurs la desti-uction d'im tel fléau exige communément un très-long espace de temps, et
les malades manquent presque toujours de patience. L'anecdote suivante le prouve. M. Desgenettes, qui
s'est couvert de gloire à l'armée d'Orient, par ses lumières autant que par son intrépide courage, étoit un
jour consulté par un Arabe lépreux de la caravane du Mont Sinaï, qui, malgré sa dégoûtante infirmité, ne
laissoit pas de vaquer encore à des travaux pénibles. La peau de cet homme ressembloit à du cuir desséclié ; elle
étoit toute couverte de cicatrices, parce qu'on avoit déjà eu recours à l'apphcation du feu. Le célèbre médecin
que je viens de nommer, lui parla d'abord d'un traitement préparatoire qui durcroit environ trois mois :
c'étoit des bains tièdes et quelques préparations opiacées. Trois mois, répondit l'Arabe impatienté, ye
qu'à Vaide de quelque charme tu me soulagcrois promptement; je veux, avant que le soleil se lève trois fois,
être hors de VEgypte.
CCCCLXXI. On voit, d'après ce que je viens de dii-e, d'où vient que si peu d'individus guérissent de cette
horrible maladie. Jîien loin de rallentir leur zèle, les praticiens doivent donc fortifier le courage des lépreux;
ils ne doivent pas néanmoins leur dissimuler le danger qui les menace , et coml)ien il ñiut de persévérance
dans l'observation des lois diététiques et des remèdes que l'art prescrit. Cette observation est si nécessaire, qu'il
est souvent arrivé que les malades tomboient dans le désespoir, au moment où la nature étoit sur le point de
reprendre son énergie et son pouvoir.
CCCCLXXII. Un traitement aussi difficile que celui de la Lèpre, exige nécessairement quelques moyens
préparatoires ; il importe, en conséquence, de rechercher quelles sont les causes qui ont pu la faire naître. Si
cette maladie dépend de la violation du régime, il ne faut donner aux lépreux qu'une nourriture saine et de
bonne digestion. Le savant et laborieux M. lloussille-Chamseru, auteur du Rapport sur le Mal-Uouge de
Cayenne, a judicieusement insisté sur la nécessité de clwngcr les alimens du malade, et de ne lui administrer
qu'une nourriture fort douce, etc. Si la malpro]n-eté la développe, on placera le malade en bon air, etc. La
plupart des afiéctions lépreuses n'étoient produites autrefois que par l'oubli des règles de l'hygiène, parla disette
du linge , etc. On doit obvier à ces diverses causes, avant de commencer un traitement.
CCCCLXXni. Comme il est constant que la Lèpre est fi-équemment entretenue par des iniluences locales
et atmosphériques, il est par fois nécessaire de liiire passer les lépreux dans d'autres pays : c'est ainsi qu'il
seroit utile do transporter ailleurs ceux de Vitrolles. Une jeune dame est arrivée de Saint-Domingue à Paris ,
avec les premiers accidens de la Lèpre tuberculeuse. Son corjjs étoit souillé de taches et de pustules roiigeâtrcs.
11 est digne d'observation que le mal n'a plus fait de progrès, et qu'il est au contraire sensiblement diminué
depuis qu'elle habite un climat tempéré. Un des grands moyens pour la réussite d'im plan de ü-aitement, seroit
donc de faire voyager les lépreux, et de les placer sous un nouveau ciel. D'ailleurs, il est hors de doute que
le mouvement doit singulièrement seconder l'action des divers J-emèdcs , puisque rien ue peut contribuer
davantage à rétablir la ti-anspiration.