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Mais les boutons qui se manifestent dans la psoride pustuleuse n'ont pas toujours la même physionomie :
tous les observateurs ont fait mention du genre d eruption que l'on désigne communément sous le nom de gale
canine on gaîe niiUaire. Cette variété se manifeste par des vésicules qui n'acquièrent jamais qu'une très-petite
dimension; sans doute parce que la matière qu'elles contiennent reste toujours à l'état séreux. Ici les boutons^ ne
s'élargissent point comme dans la variété précédente; ils conservent toujours leur forme conique : c'est cellc qui se
déclare si souvent sur la peau du chien domestique, et que l'homme peut contracter de cet animal. J'ai traité à l'hôpital
Saint-Louis des postillons qui l'avoient gagnée par le contact de chevaux infectés qu'on avoit conliés à leurs soins.
La gale proprement dite, canine ou miliaire^ a un caractère d'opiniâtreté qu'on ne remarque point dans
celle qui vient à une complète suppuration; d'ailleurs, elle se place pareillement aux poignets, dans les interstices
des doigts, aux plis des bras et des genoux, à la partie interne des cuisses, etc. La peau est comme papuleuse;
de petits boutons luisans en proviennent : quand ils s'ouvrent d'eux-mêmes ou quand on les perce, il en sort un
fluide transparent ou limpide; le bouton s'affaisse ensuite; il s'y forme une écaille légère qui ne tarde pas à tomber.
Il est facile de voir qu'ici l'épiderme soulevé ne contenoit qu'une matière séreuse.
Les démangeaisons sont surtout très-vives lorsqu'il y a beaucoup de chaleur dans l'atmosphère; mais elles sont
moindres lorsqu'il fait froid : les boutons ont même ceci de particulier, qu'ils disparoissent soudainement
pendant le frisson de la fièvre, pour se remontrer dans le période de la chaleur. En général, tout ce qui augmente
la chaleur interne est propre à accroître le volume des boutons psoriques, sans qu'on puisse en asssigner la cause.
Cependant, lorsqu'une maladie aiguë se déclare, il est fréquent de voir que pendant toute sa durée la gale s'évanouit,
pour ainsi dire, au point que les boutons ne sont plus apercevables. Nous remarquons ce phénomène dans la fièvre
angioténique, dans la fièvre adynamique, dans les violentes attaques de rhumatismes, etc. : j'en pourrois citer une
multitude d'exemples. Ajoutons, néanmoins, que lorsque ces diverses maladies parviennent à leur entière solution,
ta gale reparoît avec son même mode d'éruption, et le genre de prurit qui la caractérise. Ce fait est certainement
curieux à remarquer : nous y reviendrons quand il sera question de l'éthiologie des psorides, qui dans tous les temps a
occupé les naturalistes et les médecins. Je ne puis néanmoins m'empêclier de citer ici l'histoire d'un malheureux
cordonnier, qui a gardé pendant sept ans la gale canine sans le savoir; il attribuoit constamment les démangeaisons
qu'il éprouvoit à des maladies antérieures qu'il avoit éprouvées, et qui étoient sans cesse remplacées par
un prurit des plus insupportables. Enfin, cet individu arriva un jour à l'hôpital St.-Louis dans un état d'épuisement
difficile à décrire. Il avoit l'air égaré, les yeux lixes, un délire fugace et une absence totale de sommeil; son
corps étoit parsemé île boutons blancs et comme perlés, qui se montroient en plus grand nombre aux doigts et aux
poignets que partout ailleurs. Le caractère de cette éruption fut soudainement reconnu, et l'administration méthodique
des bains sulfureux ramena le malade à l'état de santé le plus satisfaisant.
Il est du reste dangereux de garder long-temps la psoride pustuleuse; chez certains individus, elle finit par
désorganiser absolument la peau. Ce qu'il y a surtout à redouter, lorsque la gale a vieilli sur les tégumens,
et qu'on a négligé de la combattre, c'est l'apparition d'une ccrtiùne quantité de clous, de furoncles, ou autres
éruptions secondaires, qui sont le pur résultat de l'irritation générale ou nous place cette désolante maladie. Ses
ravages sont tels, qu'il survient par intervalles des ulcères chroniques, des abcès interminables; j'ai vu de vastes
clapiers, tout pleins d'une matière purulente, qui se formoient sous la peau et qui résistoient à tous les moyens curatifs.
J'ai vu des phlegmons négligés entraîner la mort d'un individu qui avoit long-temps langui dans les cachots, et qui
s'étoit desséché parles progrès d'une fièvre hectique. Un matelot se grattoit depuis plusieurs années, sans avoir
jamais connu la véritable source du mal qui le dévoroit. Dans ce déplorable état, les boutons ne laissoient, pour
ainsi dire, aucun intervalle entre eux; ce n'étoient que de larges croûtes sur quelques parties des tégiunens. Sa peau
étoit devenue comme une râpe. Quand de tels accidens surviennent, la gale est en quelque sorte méconnoissable. Elle
change absolument de forme et de physionomie.
n est donc des individus qui augmentent eux-mêmes les accidens funestes de la psoride pustuleuse par l'irrégularité
de leur régime, par leurs habitudes crapuleuses, par l'excessive malpropreté de leur linge et de leurs
vêtemens. De là vient que les peuples qui négligent les règles de l'hygiène sont sujets à des inflammations graves par
l'effet des gales longues et invétérées. M. le docteur Vallcrand a vu un grand nombre d'Espagnols renfermés dans
l'hospice Saint-Jacques de Dijon, en 1813, époque à laquelle une dysenterie contagieuse moissonnoit une grande partie
des sujets et se trouvoit entretenue par une négligence constante de soins de propreté. On voyoit des furonclcs
survenus dans plusieurs parties du corps, surtout au creux des aisselles; quelques-uns de ces furoncles se dévcloppoient
sur un même point et formoient comme des anthrax, suivis d'une suppuration aussi abondante que long-temps continuée.
Plusieurs fois on fut contraint d'ouvrir de vastes abcès, qui ne connoissoient d'autres causes que la gale
négligée. Ce qu'il y avoit de remarquable dans ces furoncles et dans ces abcès, c'est leur caractère opiniâtre.
Quelques malades gardoient le lit pendant plusieurs mois. M. Vallcrand cite surtout l'exemple d'une femme âgée de
quarante-deux ans, d'une constitution vigoureuse et qui avoit des boutons psoriques sur toutes les parties de son corps;
elle étoit dans un état de soufi'rance, dont on se fera facilement une idée, lorsqu'on saura qu'une quantité prodigieuse
de ces boutons suppuroient à leur sommet, et qu'il existoit en outre douze ou quinze phlegmons de différens volumes,
aux aisselles, aux aines, aux parties latérales du col. Il lui étoit presque impossible de se mouvoir. Cette personne
infortunée étoit en proie à une fièvre de résorption qui donna les plus vives inquiétudes pour ses jours. Il fallut des
précautions inlinies pour larracher au danger qui la mcnaçoit.
Heureusement que, de nos jours, les soins de l'hygiène sont trop bien administrés dans nos hôpitaux, pour
qu'on puisse y observer tous les résultats tragiques des gales négligées. Qui croiroit pourtant qu'une maladie
aussi légère en apparence, peut avoir des effets sinistres; qu'elle fait maigrir les malades; qu'elle les jette dans le
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dépérissement et la consomption; qu'elle détermine une veritable dégenerescence des tégumens, au point d'en
interrompre toutes les fonctions? Tous les organes liés au derme par des communications sympathiques éprouvent
des altérations plus ou moins graves, et un individu qui seroit abandonné à lui-même dans un désert, en proie à
cette horrible maladie, y subiroit des tourmens dont il est impossible de concevoir la violence. J'en ai rencontré un
dont la raison s'étoit totalement aliénée depuis qu'on lavoit livré à son isolement et h sa misère, dans l'une des
rues indigentes de Paris.
OBSERVATIONS RELATIVES A LA PSORIDE PUSTULEUSE.
Première observation. — Alexandrine Vollet, couturière de son état, est affectée depuis un mois d'une psoride
pustuleuse, qu'elle a contractée au bal par le seul contact des mains. Les boutons ne sont pas très-nombreuxon
en voit principalement dans les intervalles des doigts, aux poignets, au pli des articulations, etc.; les mains sont
engorgées, et la malade ne s'en sert qu'avec difficulté; il est des boutons volumineux, d'autres qui le sont moins:
tous s'élèvent en pointe et se remplissent dun pus blanc, un peu séreux; quand on les crève, ils s'affaissent et
quelquefois il se forme une nouvelle collection de matière. Le plus ordinairement les boutons se couvrent d'une
croûte légère, qui se dessèche et tombe après un temps plus ou moins long. Voilà un des cas les plus vulgaires
île la psoride pustuleuse et purulente.
Deuxième observation. — Marie Branche entra à l'hôpital Saint-Louis six semaines après avoir contracté la maladie.
Elle éprouvoit de vives démangeaisons aux doigts, aux poignets, sous les aisselles, aux jarrets; ces démangeaisons
augmentoient le soir, dans la nuit et toutes les fois que la malade avoit chaud : elles précédoient le développement:
d'une multitude de boutons, d'abord remplis d'une sérosité limpide; ces boutons grossissoient et se remplissoient
ensuite d'un véritable pus. La base de ces boutons étoit d'une couleur rouge et animée; quelques-uns étoient très-
Jarges et iinissoient par s'affaisser, mais leur base vestoit toujoui's environnée d'une aréole inflammatoire. Cette
femme, qui étoit nourrice, avoit une jictile fille dont les fesses étoient couvertes de boutons psoriques.
Troisièm.eobseri-alion.~i<\. Jannin, de Besançon, élève de l'hôpital Saint-Louis, a tracé ainsi sous mes yeux le tableau
de hi psoride pustuleuse purulente. Les boutons qui n'ont que douze heures d'existence sont petits, conoïdes,
transparcns, environnés d'une aréole inflammatoire assez prononcée; quelques-uns plus anciens sont de la grosseur
d'une lentille, et même plusieurs ont plus d'étendue; leur sommet est jaunâtre, déprimé au centre, leur base d'un
rouge plus prononcé. Les cercles inflammatoires sont confondus; les pustules contiennent une assez grande quantité
de sérosité purulente, sans odeur désagréable. Une inflammation érythémateuse occupe tout le dos des deux
mains; les doigts sont gonflés, ce qui gène leurs mouveraens. La peau est le siège d'une douleur et d'une tension
analogues à celles qu'éprouvent les malades atteints de variole lorsque survient le période de suppuration. Quelquesuns
de CCS boutons , déchirés par l'action des ongles, ont laissé des croûtes brunâtres, agglomérées entre elles ; d'autres
ont rendu la peau rugueuse, dure et d'une couk-ur violacée : dans ce cas-ci, le prurit n'étoit pas très-incommode, surtout
dans la journée. Le malade se plaignoit plutôt d'un sentiment de brûlure assez pénible.
Quatrième observation. — Un perruquier nommé Gaspard Ondin vient demander du secours à l'hôpital Saint-Louis.
Il est atteint d'une éruption de boutons sur toute l'enveloppe cutanée : ces boutons lui causent des démangeaisons qu'il
a toute la peine du monde à apaiser; ils sont particulièrement fixés dans les intervalles des doigts et aux articulations
radio-carpiennes. Ces boutons, tantôt solitaires, tantôt rassemblés en plus ou moins grand nombre, offrent différentes
formes : quelquefois ils sont larges et aplatis, d'autres fois demi-sphériques. Leur base est rouge et enflammée; leur
sommet présente une vésicule le plus souvent déprimée à son centre, et remplie d'un liquide puriforme : l'effusion de
ce liquide est bientôt suivie de croûtes rougeàtres, qui tombent par portions squammeuses furfuracées. Le malade
éprouve de fortes démangeaisons qui semblent partir du sein même de ces pustules; elles s'apaisent par le frottement
et à mesure que le malade se gratte : elles sont plus violentes la nuit que pendant le jour.
Cinquième observation. — Voici maintenant un tableau exact de la psoride pustuleuse canine. Sophie Pruneau, âgée
de vingt-deux ans, d'un tempérament sanguin, entra à l'hôpital Saint-Louis pour se faire guérir d'une gale qu'elle avoit
contractée en couchant avec une personne qui en étoit pareillement affectée. Bientôt après, éruption d'une multitude
de boutons blanchâtres dans les interstices des doigts, aux poignets, aux aisselles, entre les deux mamelles, au ventre,
à la partie interne des cuisses; le visage seul étoit excepté de l'invasion. Ces boutons ressembloient d'une manière
parfaite à des grains de millet, assez rapprochés, sans pourtant jamais se confondre, tantôt rouges, tantôt de la couleur
de la peau, pré.scntant une vésicule cristalline et transparente, d'où découloit une sérosité limpide. Alors la pointe
acuminéc du bouton s'affaissait; mais la base rcstoit dure, rouge et un peu animée. Pendant toute la durée de ces
boutons, il se manifestoit des démangeaisons insupportables, qui empêchoient tout sommeil.
Sixième observation. —Uon élève M. Jannin a tenu pareillement registre de plusieurs faits relatifs à la psoride
pustuleuse canino ou miliaire. Dans cette gale, les boutons sont peu volumineux, très-rapprochés les uns des autres,
surtout au dos des mains et à la face interne des doigts ; ils sont conoïdes et transparens, quelques-uns sans changement
do couleur à leur base, d'autres ayant une aréole inflammatoire très-peu prononcée. Leur apparence est
celle d'un grain de millet; ils contiennent un liquide visqueux et transparent; le malade les déchire avec ses
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