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5o MA L A D I E S D E L A P E A U .
communique sa mauvaise qualilc ù tous les corps qu'il touche ou qu'il approche : aussi ceux qui ont le malheur
d'en être allectés, niarchenl-ils cnviroanés d'une sorte de honte dans la société. Ou craint de séjourner sous le
toit qu'ils liabiteut ; on a horreur de leurs vèteniens; on n'ose se reposer sur les meubles qui ont été long-temps à
leur usage. Cependant, s'il est vrai que quelques espèces de Dartres puissent se transmettre par la voie de la
contagion, c'est à uu degré bien loible, et d'ailleurs la plupart de ces maladies sont dépourvues de cette propriété
i'uneste.
CLXIII. Par un singulier contraste, beaucoup de personnes regardent les Dartres comme des afTections légères
et de peu d'importance : ils vont même jusqu'à dire que, dans tous les cas, il faut redouter de les guérir, parce
que leur développement est salutaire à l'économie animale. Mais que penseroient ces personnes, si elles voyoient
ainsi que moi plusieurs des individus qui en sont atteints, tomber et languir dans le marasme; si elles voyoient
les fonctions du corps se pervertir successivement, et se préparer ainsi de loin la ruine entière <les forces
vitales? Des suites diverses de ces alFections, la plus fatale est, sans contredit, l'inliltration universelle du tissu
cellulaire. J'ai observé certains sujets, qui , dans une époque avancée de l'infection dartreiise, étoient pris d'une
toux importune ; qui expectoroient un mucus épais, dont l'odeur seule provoquoit la nausée ; qui étoient tourmentés
par un sentiment de suffocation, &c. Souvent, dans ces tristes conjonctures, les malades se félicitent de
ce que leur épiderme s'exfolie en petites lames; mais ce dépouillement continuel n'indique alors autre chose
qu'une altération profonde et radicale du système dermoïde, et la conversion totale des humeurs en virus
herpétique.
CLXIV. La Pathologie cutanée a été, jusqu'à ce jour , tellement négligée par les gens de l'art, qu'on trouvera
dans ce travail une jnultiUule de faits entièrement nouveaux pour la science. Rien n'excite davantage
l'étonaement, que les détails qui se sont présentés à jnoi dans le cours de ces contemplations intéressantes. Pour
les retracer convenablement, il faudroit avoir le pinceau d'Arétée, de cet observateur immortel, l'un des premiers
créateurs de la Médecine descriptive. Alîn de me rapprocher d'un si grand modèle, je me suis servi de
tous les moyens de rcoherche<ine les sens pouvoieut me fournir : non-seulement je me suis appliqué à discerner
les formes innombrables des différentes espi^ces de Dartres, mais j'ai étudié jusqu'aux nuances infinies que présente
leur couleur, qui est tantôt blanchàti-e, tantôt grisâtre, tantôt verdàtre, tantôt rougeûtre ou noirâtre, selon
la cause qui les produit et les entretient.
CLXV. Ma première élude au sein de l'hôpital Saint-Louis, a été de suivre les Dartres dans les diiTérens
sièges qu'elles occupent. La peau a des emplois si variés, que les maladies dont elle est atteinte changent continuellement
d'intensité, à mesure qu'elle change de structure et d'usage. C'est ainsi que la Dartre squammeuse,
par exemple, est d'un caractère plus pernicieux et plus opiniâtre, lorsqu'elle attaque l'intérieur de l'oreille où se
secrète le cérumen, les bords des lèvres fréquemment arrosés par la salive ou irrités par le contact des alimeus
les fosses nasales habituellement remplies par le mucus qui leur est propre, les paupières baignées de l'humeur
que filtre la glande lacrymale, &c.
CLXVL J'ai sur - tout rappelé uu fait que les Médecins modernes me paroissent avoir perdu de vue; c'est que
les Dartres se propagent souvent du système dermoïde jusque sur le système muqueux : alors il s'établit sur les
membranes de ce dernier système des douleurs vives, qu'on rapporte sans fondement à une irritation nerveuse
lorsqu'elles ne sont que le résultat de la présence du virus herpétique. Hippocrate, du reste, par oit avoir fait
cette observation, lorsqu'il énonce que ces affections se dirigent quelquefois sur l'organe de la vessie, ce qui
produit des maux interminables. Enlàn, j'ai pu remarquer les eflets du vice dai'treux, lorsqu'il se porte sur le
cerveau, sur le foie, ou sur d'autres viscères non moins importans de l'économie animale. Cette considération
m'a conduit à des vérités fort utiles pour la théorie générale des maladies chroniques.
CLXVn. La peau, comme les Physiologistes le démontrent, est l'émonctoire des excrémens les plus volatils
du corps vivant, et des résidus les plus simples de sa nutrition. Il falloit apprécier quel étoit l'état des fonctions
de cette enveloppe pendant l'existence des Dartres : c'est ainsi que j'ai constaté que ses propriétés exhalantes
étoient presque nulles dans certaines circonstances. Nous avons vu, à l'hôpital Saint-Louis, des malades dont la
transpiration cutanée étoit, pour ainsi dire, interrompue, et remplacée par une exhalation pulmonaire beaucoup
plus abondante que de coutume. La matière de cette exhalation sortoit quelquefois en une quantité si considérable,
qu'après être sortie en vapeur, elle se condcnsoit par la fraîcheur de l'air et des voûtes des salles, et
retomboit en rosée sur les draps ou couvertures des lits, qu'elle mouiiloit et imbiboit dans une très-graïule
étendue : nous observions en outre que cette vapeur, qui s'échappoit des organes de la respiration, étoit d'autant
plus considérable que l'atmosphère étoit plus refroidie, et que les malades étoient restés plus long-lemps la
veille plongés dans le bain.
CLXVin. Il est un point de médecine descriptive qui est d'un intérêt extrême pour les Pathologistes, et dont
j'ai cru devoir m'occuper avec l'attention la plus soutenue; c'est que chaque affection herpétique provoque
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son mode particulier de douleur ou de prurit sur le syslôme dermoïde. Tantôl, la scndal ion est presque nulle
ou n'est pas plus vivo que celle que donneroit la simple application d'une mouche à la surlaco de la peau ;
tantôt, pour me servir du langage figuré des Midccins arabes, cctte sensation est aussi incommode que les morsures
simultanées d'une grande quantité do fourmis. Quelquefois c'est une démangeaison v iolente et contiimelle,
qui fait que le malade trouve un plaisir indicible à se gratter et à se déchirer l'épiderme; quelquelois c'est un
sentiment de tension insupportable ; dans d 'autres cas enfin ce sont des élancemens, comme si lo (Icnne étoit
traversé par une multilude d'aiguilles ou de dards. J'ai vu certains dartreux qui se croyoient investis jjur des
ceintures de feu, ou en contact avec des tisons brùlans, &c. ; j'ai interrogé soigneusement les malud(\s sur tous
ces divers genres de souffrance : avec quelle éloquence ils peignent leurs intolérables tourmens ! combien de fois
ne m'ont - i l s pas fourni eux-mêmes les expressions les plus énergiques, pour retracer ce qu'ils éprou voient!
CLXIX. C'est en me livrant à une semblable étude, que j'ai pu méditer sur ces accès de prurit et de
démangeaison, vulgairement indiqués par ceux qui les éprouvent, sous le nom de crises dartreuses. Aucune plume
n'avoit encore retracé ces irritations soudaines, qui se déclarent souvent à des temps déterminés, couiine les
paroxysmes des fièvres intermittentes : alors les malades ont beau se contenir, leurs mains sont portées machinalement,
et par une force irrésistible, sur les parties de leurs corps qui sont affectées de Dartres ; une sorte de
fureur s'empare d'eux; ils parcourent successivement tout le siège du mal avec leurs ongles, et s'écorcheut avec
une sorte de délice, jusqu'à ce que le sang arrive. Ces phénomènes ne seroient-ils que des mouvemens particuliers
de la nature, qui tend à se pratiquer des couloirs cl des issues?
CLXX. Les recrudescences ou rechutes dartreuses étoient une matière à peine ébauchée. J'ai prouvé qu'elles
avoient le plus grand rapport avec les récidives, dont toutes les maladies sont en général susceptibles; qu'elles
exige oient par conséquent les mômes précautions et les mêmes moyens prophylactiques. Il suflît souvent qu'il
reste, dans l'économie animale, un atome de venin herpétique, pour que l'affection puisse ressusciter d'une
manière inattendue et avec les mêmes dangers qu'auparavant. Les Dartres naissantes ressemblent à ces étincelles
légères, qui se convertissent quelquefois en vastes incendies.
CLXXI. Dans l'étude approfondie que j'ai faite des Dartres, je me suis particulièrement occupé de remonter
à leur source primitive : je crois que c'est la seule manière d'arriver à une guérison certaine et permanente.
Parmi les faits que j'ai recueillis, il en est un qui est aussi consolant qu'il est remarquable ; c'est que le virus
herpétique n'est pas aussi transmissible par la voie de la contagion, que le vulgaire le présume. Je puis alléguer
des expériences qui ont été faites sur moi-même. Et quel est l'homme qui ne voudroit pas découvrir une vérité
dans une science, quand ce seroit au péril de sa santé? J'ai donc manié familièrement la matière des croûtes
et des pustules dartreuses ; je n'ai pas craint de l'appliquer sur quelques parties de mon corps, sans que jamais
je me sois vu atteint par l'infection. Un élève zélé pour son art, s'est soumis vainement à des essais semblables.
Peut-être faudroit-il des tentatives plus réitérées et plus prolongées : toutefois, est-il vrai de dire que le virus
dartreux ne se comuumiquc qu'avec une extrême difficulté; qu'il faut des causes intérieures ou organiques qui
nous disposent à sou atteinte, &c.
CLXXII. J'ai voulu ouvrir aux praticiens différentes sources d'indications curatives, et peut-être suis-je
parvenu à quelques règles utiles à cet égard. Par exemple, j'ai souvent été à même d'observer que, pendant
l'administration d'un remède, les affections herpétiques augmentoicnt pour quelques jours, et qu'alors la
moindre commotion dans le mouvement du sang et des humeurs suffisoit pour faire éclater, dans toute leur
énergie, des maladies qui étoient cachées et silencieuses. J'ai prouvé que, dans une telle circonstance, il ne falloit
pas sans doute se désister des moyens qu'on avoit adoptés. Lorry a vu lui-même le mal s'accroître durant les
quarante premiers jours , et diminuer ensuite successivement par l'effet des procédés qu'il eniployoit. J'ai
démontré aussi combien il importoit de combattre une affection cutanée, alors même qu'elle avoit disparu,
comme on poursuit im ennemi long-temps après qu'il a pris la fuite : j'ai prouvé enlin, que déterminer l'état des
propriétés vitales dans chaque maladie de la peau, c'est presque arriver à la guérison, &:c.
CLXXIII. Je u'indique ici, du reste, que quelques-uns des points de vue généraux qui ont attiré mon attention
dans l'étude d'une famille aussi nombreuse que celle des Dartres. Voulant traiter cette matière avec méthode, et
par conséquent de la manière la plus profitable pour mes lecteurs, j'ai cru devoir séparer celles qui sont essentielles
et idiopathiquos, d'une foule d'autres éruptions qui ne sont que l'indice ou le symptôme d'autres maladies,
telles, par exemple, que les exanthèmes scrophuleux , scorbutiques. Je les ai sur-tout soigneusement
distinguées de ccs stigmates sans nombre, phénomènes honteux de la débauche et des excès funestes du rapprochement
des sexes; je veux parler des signes extérieurs de la syphilis. Quoique ces alFections soient liées avec
les Dartres par plusieurs traits de ressemblance, par les écailles, les croûtes et les ulcérations qu'elles développent,
elles ont néanmoins des caractères propres, auxquels ne se méprend guère le Nosographe expérimenté:
j'ai cru devoir m faire autant de genres distincts : cette séparation étoit d'ailleurs d'autant plus convenable,
qu'il faut toujours approprier le remède aux causes.