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marciic et son aiTreux développement. Cette décomposition cfirayantc marche au gré des causes qui la
favorisent ; répidernie se soulève, se déchire et tonibej le corps rétieulaire s'entame; la peau euticre s'irrite ,
se tumélie; du sein d'une pustule ulcérée jaillit une matière ichoreuse d'une qualité si acre, qu'elle enflamme
et rougit les parties environnantes, et qu'elle devient ensuite une des causes les plus actives de raecroissement
du mal. Car, plus cette matière est abondante, plus la Dartre phagédénique étend ses ravages;
dans le cas contraire, quand la source de cette humeur se tarit, la Dartre n'avance point, elle reste stalionnaire.
Presque toujours, le pus se concrète en une grande croûte, pour Ibrmer une sorte de couvercle à la
partie rongée par la Dartre : si cette croûte tombe, il s'en Ibrme une seconde. Sic.
Il est un troisième degré de cette affection, dans lequel elle gagne considérablement en profondeur. Elle
traverse, en les corrodant, les parties adjacentes au système dermoïde. Les os sont atteints et cariés; et
c'est alors que la matière purulente devient plus épaisse, plus fétide et plus corrosive. Le sommeil des
malades commence à être interrompu ; une lièvre lente vient les consumer ; les fonctions internes se troublent
et se dérangent, particulièrement la digestion; il survient une diarrhée qui ne manque pas d'être funeste,
parce qu'elle affoiblit journellement les forces.
Enlin , tous les systèmes organiques participent à l'inféction locale. Le système lymphatique se prend,
et tous les viscères abdominaux commencent à s'engorger ; le teint verdâtre des malades annonce que la rate
est obstruée; le foie ne tarde pas à subir la même altération; une infiltration gagne bientôt les parties
inférieures. Alors le dévoiement devient perpétuel au lieu d'être intermittent ; c'est, à proprement parler,
im dévoiement colliqualif, auquel succède la mort.
La Dartre rongeante ou phagédénique a un caractère particulier qui paroît la distinguer des autres espèces.
Elle est le plus ordinairement solitaire sur un point de la surface de la peau, et toute la violence du mal sejnble,
pour ainsi dire, se rassembler dans un seul foyer, Combien de fois ne voit-on pas des jeunes gens, ou des jeunes
filles, ou même des individus de divers âges, atteints de la Dartre rongeante, et chez lesquels le reste du corps
est doué d'embonpoint et d'une santé parfaite ? Toutes les fonctions s'exécutent d'ailleurs avec une extrême
régularité : la maladie semble parfaitement isolée. Cependant, comme la Dartre rongeante a aussi la marche
rempante de toutes les affections herpétiques, on la voit quelquefois quitter un endroit pour se porter sur un
autre; dans certaines circonstances, elle attaque successivement plusieurs pai-ties de la face, et laisse la peau
universellement labourée; par des cicatrices.
Quelques auteurs ont confondu la Dartre rongeante avec le Cancer. Le Pathologiste exercé voit cependant
une grande dilférence entre ces deux affections. Quoique la première fasse éprouver un sentiment de cuiss(m
brûlante, elle exempte néanmoins les individus qui en sont atteints de ces douleurs vives et lancinantes qui
caractérisent spécialement le Cancer. D'ailleurs, elle n'a point la même fétidité, ni la même couleur, ni le
même aspect. Dans le Cancer, la chair fongeuse s'élève en bourgeons, en lubercules, &c. Les bords de cet
horrible ulcère sont durs, calleux, renversés; les vaisseaux qui s'y distribuent, s'y dilatent et deviennent
variqi.Dux, Dans la Dartre phagédénique, au contraire, on ne voit qu'un cercle rouge et eullammé, plus ou
moins étendu, qui environne le point pustuleux.
La Dartre rongeante est susceptible de plusieurs complications, dont il ne faut pas négliger l'étude. Lorsqu'elle
est combinée avec le Scojbut, elle a un aspect livide, et la peau est, pour ainsi dire, vergetée de taches
bleuâtres. Lorsqu'elle tient au vice syphilitique, elle présente une teinte cuivreuse, qui est propre à celte
affreuse maladie ; enfin, lorsqu'elle est fomentée par la diathèse scrophuleuse, on apperçoit des élévations
charnues, et une telle turgescence du tissu cellulaire, que la tête de certains individus en est monstrueuse.
C'est ainsi que la cause radicale qui suscite la Dartre est, en quelque sorte, empreinte sur le mal, lui donne
sa piiysionomie, et se montre d'une manière frappante aux regards de l'observateur.
J'ai déjà fait remarquer plus haut que la Dartre rongeante est presque toujours ime et solitaire sur un point
particulier de la surface du corps. Je dois ajouter qu'elle semble se jeter de préférence sur certaines parties.
C'est ainsi que le visage en est le plus fréquennnent atteint, et qu'on la voit ordinairement se manifester sur le
nez et sur la lèvre supérieure de la bouche. Comme elle conserve le caractère scrpigineux des autres Dartres,
quelquefois elle s'avance jusqu'au front, qu'elle ronge profondément. Dans d'autres circonslances, quoique
rares, je l'ai vue se déployer à la région des reins et des lombes, &c. Je me souviendrai toujours d'un malheureux
cavalier militaire qui éprouva une semblable affection à la partie externe de la cuisse gauche, et qui
en mourut. Enfin, je puis dire avoir observé un cas où la peau d'une femme indigente avoit été entièrement
lacérée par ce fléau déplorable.
Esl-il une Dartre plus redoutable que cc-lIe dont je viens de retracer le tableau? Si du moins elle se bornoit
à n'attaquer que certains âges, certaines conditions de la vie humaine ! Mais rien n'est épargné; cette dégénération
aiTreuse se rencontre chez les enfans, chez les hommes d'un âge mûr, chez les vieillards; elle peut
atteindre l'un et l'autre sexe; on la trouve chez les riches aussi bien que chez les pauvres, &c. Pourquoi fauL-il
que l'espèce la plus fatale soit aussi la j)lus répandue! C'est im spectacle digne de pitié que celui qu'offre l'inLérieur
de l'iiôpital Saint-Louis, lorsqu'on voit promener dans les cours de ce vaste bâtiment cette nuillitude
d'individus, dont le visage est alTi-cusement défiguré, et qui sont privés, par la Dai Lre rongeante.^, des traits les
plus importans dont se compose la physionomie humaine.
M A L A D I E S DE LA PEAU.
Observations relatives à la Dartre rongeante.
C L X X X V I L Première Observation. - Louise-Marguerite Beaudot, âgée d'environ quaranle-six ans,
exerçant l'état de cuisinière , étoit née à Beaune, de parens très-sains. Elle avoit joui, dans sa jeunesse, d'une
santé parfaite. Mariée à vingl-cinq ans, elle eut deux enfans qui se portent bien. Pendant qu'elle allaitoit pour
la seconde fois, il lui survint, au côté gauche de la cloison du nez, sur le cartilage, et très-près de l'ouverture
antérieure de la narine, un bouton dur, accompagné de démangeaisons assez vives. Cette malheureuse lemme
appliqua du cérat sur ce bouton, qui fît de tels progrès, qu'en quatre mois la cloison fut percée de manière qu'un
liquide porté dans une narine sortoit par l'autre. Elle consulta plusieurs médecins, essaya plusieurs remèdes
enfin vint demander du secours à l'hôpital Saint-Louis. Le mal avoit fait de nouveaux progrès à rép<)(|ue où
elle se présenta. Voici ce que nous observâmes r un espace quadrilatère, circonscrit dans lequel se trouvoit
compris le nez jusqu'à sa racine, la lèvre supérieure et les joues dans l'étendue d'un demi-pouce de chaque côté;
toutes ces parties étoient gonflées, et olFroient une surface polie, de couleur araaranthe, parsemée de plusieurs
pustules élevées et arrondies. Ces pustules, après deux ou trois semaines, blanehissoientpar leur sommet, et
s'ouvroient pour donner issue à une humeur ichoreuse, qui se condensoit, se desséchoit, et formoit des croûtes
jaunâtres plus ou moins épaisses, qui se détachoient et tomboient par fragmens. La malade éprouvoit un prurit
violent dans les parties affectées, et cherchoit à se soulager en les grattant sans cesse avec ses doigts.
Deuxième Observation. - Jean-Baptiste Bove, âgé de cinquante-trois ans, d'un tempérament robuste,
qui n'avoit jamais éprouvé aucune maladie, fut affecté, il y a deux ans, d'une Dartre rongeante qui occupoit
toute la surface du nez, la lèvre supérieure, et une partie de la joue. La Dartre commença par l'engorgemcut
de la membrane muqueuse qui tapisse les fosses nasales. Cette membrane s'ulcéra; il en découla un pus fétide :
les ailes du nez étoient très-enflammées. Le malade ayant pris un grand nombre de bains locaux avec l'eau de
guimauve, l'irritation établit son siège. De très-petits boutons se manifestèrent à la partie inférieure du nez, à
la partie moyenne de la face, et à la lèvre supérieure; ces boutons laissoient suinter une matière ichoreuse,
qui produisoit une très-grande démangeaison. Il ne se forma point de croûtes, mais la peau fut corrodée
progressivement dans tout l'espace que j'ai déjà déterminé. Six mois après, la maladie borna ses ravages ; et le
malheureux individu qui fait le sujet de cette observation, resta défiguré par de profondes cicatrices.
Troisième Observation. — Nous avons gardé long-temps à l'hôpital Saint-Louis le nommé Delcé, ouvrier
à la monnoie, âgé d'environ quarante-six ans, homme d'ailleurs vigoureux et robuste, aussi bien que trois
enfans qu'il a eus d'une femme très-saine et très-bien portante. Un jour, il fut soudainement atteint d'une
tuméfaction à la lèvre supérieure; cette tuméfaction se propagea bientôt jusqu'à l'aile gauche du nez. La partie
contigue de la joue étoit enflammée et colorée d'un rouge très-vif. Cet homme disoit n'éprouver d'autre sensation
qu'un prurit véhément, qu'il exaspéroit encore par l'habitude qu'il avoit de porter toujours ses doigts sur le
siege du mal. J'ai déjà dit qu'il étoit ouvrier à la monnoie, et par conséquent, il avoit presque toujours les
mains imprégnées de particules métalliques, ce qui ne contribuoit pas peu à l'accroissement de l'irritation ; aussi
la peau commença-t-elle à s'ulcérer; et déjà la maladie avoit fait de grands progrès, lorsqu'il vint réclamer du
secours à l'hôpital Saint-Louis. Je fis appliquer sur le mal des linges baignés dans une dissolution de muriate
suroxigéné de mercure, que l'on combinoit pai- fois avec une dissolution d'opium gommeux. Ce topique
borna les ravages de la Dartre rongeante, et le malade resta six mois parfaitement guéri. Au bout de ce
temps, il subit une rechute; mon collègue Richerand le traita par le caustique de Rousselot, qui lui réussit
parfaitement.
Quatrième Observation. —Catherine Ratinelle, âgée de soixante-deux ans, blanchisseuse de son état,
entra à l'hôpital Saint-Louis dans le courant de l'année 1806. Cette femme étoit aff^ectée d'une Dartre rongeante
depuis près de trois mois ; elle ne savoit à quelle cause attribuer sa formation. La Dartre étoit située
à la base du nez , occupoit toute la lèvre supérieure, et pénétroit jusque dans l'intérieur des fosses nasales ;
la peau environnante étoit tendue, gonflée, et couleur de lie de vin. Ce qu'il y a de très-remarquable dans
le cas que j'indique, c'est qu'on observoit à peine une légère suppuration dans les parties affectées ; c'est que
la matière ichoreuse étoit en très-petite quantité, et ne formoit aucune croûte : néanmoins le cartilage qui
constitue la cloison moyenne du nez fut détruit dans son entier. Il n'étoit pas moins étonnant de voir que
celle femme disoit ne souffrir aucune démangeaison, ni aucxme sorle de douleur. L'érosion se borna enlin
a])rès quatre mois de traitement.
Cinquième.Observation. — Éléouore Liv Ì de vingt-deux ans, ayant contracté plusieurs fois la
maladie vénérienne, étoit attaquée depuis seize mois d'une Dartre, située à la partie antérieure du front. Cette
maladie avoit commencé par un petit bouton rouge, que la malade déchira avec ses doigts. Ce déchirement
donna lieu à une ulcération qui fît peu à peu des progrès; autour de cette ulcération on vit se développer
un certain nombre de petits boutons blanchâtres , qui rendoient une sérosité assez abondante. Le chirurgien.
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