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¿8 M A L A D I £ S D E L A P E A U.
la Plique inultifoi'me. Les phénomènes gcjiéiciux et propres aux diiTércntes espèces clout il s'agit, seront exposés
avec les détails nécessaires dans la seconde partie de cette dissertation.
Observations relatives à la PUque multiforme.
LXXXII. Première Observation. — J'ai observé il y a peu de temps à Paris, Tlionias Quart (dit le Gueux),
dont l'histoire est inLéressanto à raconter. Il s'occupoit liabituellcnicnt à ramasser des chiOons dans les rues
ou demandoit l'aumône, quand cette ressource ne lui sufRsoit pas pour vivre. Il étoit âgé de quarante-cinq ans,
très-robuste, d'une constitution marquée par la prédominance bilieuse. Il avoit un air sinistre, et toujours
affame. Sa barbe longue et touffue, ses sourcils épais et arqués, lui donnoient un aspect sombre et farouche.
Presque toutes les parties de son corps étoient velties. A ce physique véritablement pittoresque, il joignoit
une malpropreté dégoûtante, dans laquelle il paroissoit se complaire, et qui le rendoit hideux à contempler
Il aimoit passionnément à boire et u s'enivrerj et lorsqu'il avoit un peu plus d'argent qu'à son ordinaire il
consuniolt en un instant ce qui auroit pu le faire subsister pendant plusieurs jours. II avoit une aversion invincible
pour le travail ; trouvoit d'ailleurs sa condition très-heureuse. Dans les premiers temps où j'ai eu l'occasion
de le voir, les longs poils de sa barbe ne s'étoient point encore pliqviés, et il se mettoit souvent aux gages des
peintres pour leur servir de modèle. Cet Jiomme étoit polonais. Il étoit né à Belséjour, village voisin de
Varsovie, d'une femme du pays et d'un Français qui étoit au service du roi Stanislas, en qualité de tapissier
Ses parens n'avoient jamais eu la Pliquej il est vrai qu'ils vivoient dans une condition aisée, où on rencontre
beaucoup plus i aremeut celle maladie. Thomas Quarl éprouva à l'âge de trois ou qualre ans, une gourme
- très-abondante, qui donna lieu à la chute de tous ses cheveux. Cependant ils repoussèrent, et lorsqu'ils eurent
atteint une longueur considérable, ils se pliquerent. La révolution de Pologne survint; cet homme se réfugia
en France à l'âge de dix-huit ans, pour y exercer l'état de son père. Vers cotte même époque, il se laissa
cheoir du haut d'un arbre, et fut grièvement blessé à la tête. On le porta à l'Hôtel-Dieu, et c'est là que ses
cheveux pliqués lui firent ressentir des douleurs très-vives. Immédiatement après sa guérison, il se fit hermite
dans la l'orèt de Senart. L'ordre du couvent dans lequel il entra, n'admettant ni les cheveux ni la barbe, on
le rasa. Il resta dans cette solitude ju.squ'à l'âge de trente ans, s'occupant aux travaux de la campagne.
Son monastère ayant été détruit dans le commencement des troubles révolutionnaires qui agitèrent la France
il tomba dans l'indigence la plus affreuse. Dès-lors, il fut contraint de se faire employer dans les travaux
publics. Le peu de soin qu'il prit de sa tète, et la honteuse crapule dans laquelle il vécut depuis ce temps,
ilrent que ses cheveux se pliquèrent avec la même intensité qu'auparavant. Les douleurs céphalalgiqucs dont
j'ai fuit mention plus haut, se réitérèrent, et le malade éprouva un tiraillement, une roideur dans tout le
cuir chevelu, qui l'empêchoienl de mouvoir le col. Il prit alors lo parti de se faire couper les cheveux et la
barbe; ce qui ne fut suivi d'aucun accident fâcheux. Depuis l'an l ygS, il a subi trois fois la même opération. Il y
a environ dix-huit mois qu'il rentra ivre dans une chétive chambre qu'il oceupoit au faubourg Saint-Marceau.
Bientôt après il voulut en sortir j mais, dans le trouble de ses fonctions intellectuelles, il passa par la fenêtre
au lieu de prendre le chemin de la porte, et tomba d'un deuxième étage dans une cour pavée. Il se lit seulement
une plaie longitudinale à la région temporale du côté droit. Il fallut derechef le transporter à l'hôpital,
d'où il étoit déjà sorti depuis six semaines, guéri d'une contusion qui lui avoit été faite sur les reins par la
roue d'une pesante voiture. Pour mieux panser sa blessure, on lui enleva presque tous ses cheveux, qui
étoient noirs et d'une extrême finesse. On lui laissa uniquement autour de la léte une couronne composée de
cinquante mèches pliquées, c'est-à-dire rapprochées les unes des autres, mêlées et agglutinées par une matière
grasse, onctueuse, très-fétide, et d'une odeur siiigeneris. Leur arrangement ne pouvoit mieux être comparé
qu'à la texture d'un feutre. Ces mèches, assez longues pour couvrir une partie de la face, étoient à-peu-près
de la grosseur du petit doigt; quelques-unes d'entr'elles étoient très-petites, et sembloient se rapprocher pour
former des mèches plus considérables. La manière dont les cheveux étoient mêlés, donnoit aux mèches une
forme coutournéc, noueuse j elles étoient plus grosses à leur base qu'à leur sommet, terminé par une pointe trèsdéliée.
A l'époque dont je parle, sa barbe n'eloit point pliquée, parce qu'il avoit l'attention de la laver tous les
jours à la première fontaine qui s'oflVoit à sa rencontre, ou dans l'eau de la Seine. Par ce moyen, disoit-il il
empèchoit les poils de s'échauffer. Il faut croire qu'il a négligé dans la suite ce soin important de propreté
puisque nous l'avons revu six mois après avec plusieurs pliques au menton, lesquelles étoient infectées d'une
multitude innombrable de poux. II exhaloit en dernier lieu une odeur si repoussante, que personne ne voiiloit
le loger. Tous les traits de sa physionomie étoient altérés par la maigreur; sa voix étoit foiblc et raiK|ue' il
mcndioit son pain par dos sons plaintifs et entrecoupés. Il expectoroit sans effort une matière piirulcntc. Une soif
inextinguible le dévoroit, et lo contraignoit sans cesse à faire des excès nouveaux dans la boisson du vin, do la
bière et des liiiuenrs spiritueuscs. Ses jambes chancelantes pouvoient à peine le supporter dans les rues. J'rafaniinai
la couleur de sa peau, qui étoit devenue terreuse et scorbutique, depuis qu'il couchoit la nuit sur les fumiers. Il fut
un temps, moins malheureux pour son existence, où cet individu si singulier s'avisa d'établir une sorte de
spéculation sur les Pliques qui se manifestoient à la partie antérieure de sa tête. Il les laissoit couper, pour do
l'argent, à deux élèves de médecine, pour lesquels il étoit devenu un objet d'étude et d'observation. Je lui
achetai moi-même trois mèches, que je conserve encore dans ma collection pathologique.
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M A L A D I E S DE LA PEAU.
Deuxième OUewation. - Il y a peu d'années que l'on vit mourir à Paris un mendiant septuagénaire
fort lié dam,t,e avec le malade précédent, et qui avoit exercé long-temps le même métier que lui. Je n'ai p j
recueillir que fort peu de détails sur sa manière d'exister. Ce vieillard avoit pareillement reçu la naissance en
Pologne. Il porto.t sur le sommet de sa tête une très-petite quantité de cheveux blancs, lesquels étoient pliqués
par mèches Ires-séparées les unes des autres. Sa barbe grisâtre .subit un mode d'altération absolument analogue
dans le dernier temps de sa vie. Il se livroit immodérément aux excès do la boisson ; il étoit d'une saleté repoussante
, et constamment dévoré par la vermine. Cet homme excitoit beaucoup la curiosité des cnfans uni se
rassemblant autour de lui, et l'accompagnant dans les rues, rioient de son délire bachique, de ses ag'itations
et de ses attitudes burlesques. Il périt victime d'une brûlure qu'il s'étoit faite à la jambe, un jour qu'il s'étoit
endormi ivre auprès d'un grand feu.
Troisième Observation. — Le fait que je vais exposer a été consigné dans une dissertation inaugurale sur
la Plique, par le docteur Jean-Mathias Kordaly. Un ouvrier de la partie de la Pologne qui est voisine de la
Silésie, âgé de quarante-deux ans, étoit atteint d'un gonfiement oedémateux des pieds, et de douleurs vagues
dans tout le corps, particulièrement dans les membres. Il éprouvoit des céphalalgies continuelles, et six mois
s'étoient à peine écoulés, que ses cheveux étoient déjà agglutinés en petites cordes tournées en spirale de
ligure et de longueur différentes. Cette maladie ctoit héréditaire en lui, puisque son père et sa mère en avoient
été affectés pendant toute leur vie. L'individu même dont il s'agit, avoit ressenti quelques accidens de la Plique
dans son enfance. Dans cette seconde invasion, comme le pouls étoit dur et fébrile le soir, et que les souffrances
étoient plus vives, on administroit quelques remèdes tempérans. Lo matin, au contraire, comme le pouls
étoit naturel, on faisoit prendre jusqu'à trente gouttes de teinture alkaline martiale, mêlée avec tlii savon
de térébenthine, et cette dose étoit réitérée quatre fois. On y joignoit une décoction do bois de gayac, do
racines d'oseille, de réglisse, de salse-pareille et de sommités do houblon; on avoit aussi recours à la saponaire,
aux feuilles du cochléaria et du ménianthe. Tous les cinq jours, on donnoit do la manne et de la
rhubarbe. Après deux mois de traitement, le malade entra en convalescence. Ses cheveux étoient encore plus
contournés qu'auparavant. On lui prodigua les médicamens balsamiques et toniques. On eut soin de couper
avec des ciseaux les cheveux pliqués à l'endroit où l'on avoit apperçu une quantité considérable de squammosités.
Tous les symptômes diminuoient de plus en plus; mais bientôt il se manifesta une tumeur inguinale,
accompagnée d'une certaine douleur et de quelques mouvemens fébriles. On la lit mûrir par des cataplasmes
émoUiens; on l'ouvrit ensuite avec une lancette, et il en sortit une matière jaunâtre, ichoreuse, et d'une
grande fétidité. Ce qui est véritablement digne de remarque, c'est qu'à l'aide de cet ulcère, les cheveux se
purgèrent de la matière visqueuse qui les tenoit agglutinés, et qu'ils se déroulèrent. La nouvelle plaie fut
pansée d'après les procédés ordinaires, et cet homme recouvra entièrement sa santé. Les poils du pubis restèrent
seuls pliqués ; on n'osa point en opérer la section.
Quatrième Observation. —\\ faut, sans contredit, rapporter à cette espèce la Plique observée par Sauvages,
et dont il fait mention dans sa Nosologie méthodique. Celui qui en étoit affecté, étoit un capitaine qui avoit
servi vingt ans en Pologne. Il en revint avec tous les symptômes de la phthysie pulmonaire, et une Plique vehio
qui ne recouvroit pas entièrement la tète : elle étoit uniquement composée de trois mèches de cheveux d'une
ténuité extrême. Comme cette maladie n'étoit d'ailleurs accompagnée d'aucun symptôme fâcheux, il la portoit
depuis fort long-temps sans avoir jamais songé à la guérir; il la conservoit au contraire avec un soin particulier.
II tenoit beaucoup au préjugé que l'on a dans les campagnes des environs de Varsovie, de Wilna, et dans tous les
lieux où cette maladie est endémique, préjugé qui consiste à la regarder comme un accident salutaire pour l'économie
animale. Ce militaire, du reste, garda cette Plique jusqu'à l'âge de soixante-dix ans, sans autre inconvénient
qu'une tlouleur qu'il ressentoit à la racine des cheveux, pour peu qu'on les pressât : toutes les fonctions
s'exécutoient d'ailleurs avec beaucoup de régularité.
LXXXIII. L'espèce de Plique que nous venons de décrire, paroît être la plus fréquente de toutes; mais
comment établir une juste proportion dans le rapport du nombre des espèces, quand les auteurs ont si mal
retracé ce genre de maladie, quand ils ont établi des distinctions futiles et négligé des distinctions importantes!
Le secours des monographies et la méthode analytique, introduiront un jour plus d'exactitude dans ce
calcul.
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