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12a MA L A D I E S D Ji; L A P J\ A U.
CCCLXXtX. Toutefois, pamii les mabdics liumaincs , il en est peu qui, clans leurs progrès suecessiis ,
altcignenl d'une manière plus profonde les dilïércns systèmes de lecoaomie vivante. Mais d'abord on frémit
dclTroi quand on songe à la dégénération affreuse que eontracte l'enveloppe cutanée, qui devient épaisse,
écailleuse et rude comme celle des quadrupèdes ; qui prend la consistance dure et i-aboteuse de récorce des arbres.
J.e mal s'accroît; le tissu muquenx , les membranes , les glandes, les muscles, les cartilages, les os, etc.,
rien ii'cst épargné par ce virus exU-aordinaire. Tout le corps se convertit en ulcères rongeans, ou se couvre
(le tumeurs carcinomatcuses ; les membres se détaclient et tombent en laml)caux hideux et dégoûtans. Quel
iaj)leau plus déchirant que celui d'un infortuné qui survit ainsi misérablement aux plus nobles et aux ])lus
importantes parties de son être !
CCCLXXX. La Lèpre est une des calamités les plus anciennes qui ayent afiligé le gem-e Inmiain ; son
nom remonte jusqu'à llippocrate. Chez les Perses et autres peuples de l'antiquité, on expulsoit les lépreux
des villes, aussi-tôt après l'apparition du plus léger symptôme. J'ai déji dit, qu'on regavdoit cette maladie
comme im affreux résultat de la colère des Dieux. Une proscription honteuse pesoit sxu- les malheureux qui
en étoient frappés , ainsi que le rapportent les historiens; aussi chargeoit-on d'offrandes les autels de Junon
et de toutes les Divinités otlénsées, pour parvenir ¡\ appaiser leur courrou-x. Il semble même que l'espèce de
Lèpre qui étoit la plus odieuse, étoit la Lèpre squarameuse , qui est communément désignée sous le nom
de Leuce dans les fastes de l'art; car, dans plusieurs îles de la Grèce, foute couleur qui se rapprochoit
de celle de la Lèpre, étoit un sujet d'épouvante, et bannie de l'enceinte des lieux habités.
CCCLXXXI. Les Livres saints nous retracent sur-tout le tableau véritable de cette funeste maladie. Ils
peignent, avec une fidélité très-remarqiuible, les ravages que produisoit la Lèpre parmi le peuple d'Israël.
On y retrouve, paniii les signes patliognomoniques qui la distinguent, cet état de stupeur et d'insensibilité
absolue, qui gagne successivement tout l'organe denuoide ; la décoloration et la chiite des cheveux , qu'on
n'observe guères dans les autres maladies. La tète se dépouille, dit le Législateur des Hébreux, et l'homme
n'offre alors qu'un spectacle digne de commisération. Tout le monde sait avec quelles coulem-s fortes et pittoresques,
l'imagination poétique et exaltée des Orientaux a j-eproduit l'horrible infirmité de .fob, dont la peau
étoit rongée d'idcères fétides. Dieu frappa de la Lèpre le cruel Pharaon, roi d'Jigyple, pour venger le sang
des Jxiifs , dont les mains de ce tyran s'étoient si souvent souillées. Tous les siècles ont retenti du sort
malheureux deliaaman, ce chef des troupes de Lyric, merveilleusement guéri par le prophète ÎiUsée, pour
s'être baigné sept fois dans les flots sulfureux du Jourdain.
CCCLXXXII. La Lèpre naquit d'abord sous le ciel ardent de l'Égypte et de l'Ajabie. Elle inonda la
Gi-èce et l'Asie , à cause du commerce continuel de ces deux nations ; mais î\ l'époque où les Komains
soumirent tout l'Orient, ce fléau se répandit en Italie et dans toute l'Europe : la Prancc ne fut pas épargnée.
On sait que sous le l'ègne de Philippe I""., il y avoit des religieux soldats, désignés sous le nom cVHospitaliers,
auxquels étoit spécialement confié le soin des infortunés lépreux; institution bien digne d'honorer tousles siècles.
Ils passoient leur vie à protéger les foibles, et aux occupations pieuses de la charité. D'une main secoiu-able
ils assistoient les malheureux, et, de l'autre, ils faisoient la guerre aux Infidèles : tantôt paisibles, tantôt
guerriers, leur humanité égaloit leur valeur militaire. Louis Yl t l avoit spécialement mentionné les lépreux
dans son testament, et il avoit fait des donations aux hospices qui les recueilloieut.
CCCI-.XXXIIT. Il paroit, sur-tout d'après les recherches historiques de M. Yalcntin, très-habile praticien
de Marseille, que l'ancienne Provence étoit une des contrées oii la maladie dont il s'agit étoit la plus fréquente
et la plus répaiulue ; aussi a voit-on multiplié les hôpitaux et les infirmeries pour le traitement de ce genre
d'affection, à un excès que l'on ne peut décrire. Toutes les villes en possédoicnt. L'hôpital dans lequel on
reufenne aujourd'hui les insensés, étoit jadis consacré aux lépreux : on contraignoit tous les malades à s'y
renfermer.
CCCLXXXIV. On est généralement convaincu cpje cette affection est plutôt le résultat des moeurs et
des habitudes des honmies , que du climat et des inlluences atmosphériques. Elle est née au milieu de la
barbarie et du désordi-e des institutions sociales. C'est la corruption des peu])les qui a perverti toutes les
lois de l'hygiène publique. I.es htmimcs qui sont habituellement mal nourris, qui vivent dans la saleté,
dans l'indigence et les privations, sont aussi les plus sujets à la Lèpre ; mais on a vu ce fléau disparoitre h
mesure que la civilisation s'est perfectionnée. Les divers soins de propreté, le fréquent usage du huge, ont
beaucouj) contribué à l'éteindi-c , et n'en ont laissé presque aucun vestige dans nos climats.
CCCLXXXV. On observe qu'elle a été, en quelque sorte, liée aux grands événemens de ce globe ;
l'expédition des Croisades contribua singulièrement à la développer. Si l'on fouille dans les annales des
peuples, on voit que les émigi-ations, les pèlerinages, les guerres, les mélanges des nations enIr'cUes ,
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ont puissamment conti-ibue au développement des affections lépreuses. Que d'exemples on pourroit citer 1
Il paroît, du reste, que toutes les maladies considérées sous un point de vue général, s'éloignent de certains
pays , quand les circonstances cessent de favoriser leur action. Qui oseroit donc assui-er que la Lèpre ne
rcparoitra pas dans toute son intensité et avec ses symptômes les plus eifrayans !
CCCLXXXVI. Quoique les maladies lépreuses se remarquent souvent dans des contrées d'une temperature
opposée, il semble toutefois qu'elles soient pai-liculièrcmcnt reléguées au voisinage des tropiques et de l'équatcur.
C'est à ces latitudes, que la nature plus féconde et plus active, est aussi plus pi-opre développer les
grands fléaux de l'espèce humaine. Dans tous les temps, les lieux que le soleil éclaii'c davantage de ses
rayons, ont servi de théâtre h des aflcctions terribles et extraordinaires.
CCCLXXXVII. Ce phénomène fait naîti-e une ob.servation qui n'a échappé à aucun médecin philosophe ;
c'est que chaque climat paroît spécialement favoriser le développement d'une maladie particulière, et la terre
a peu d'endi-oits qui ne soient exposés à quelque calamité déplorable. Dans certains lieux, c'est le tissu cellulaire
qui est radicalement affecté ; dans d'autres lieux, c'est le système vasculaire sanguin, l'appareil respiratoire,
ou les voies digestives, etc. Les voyageurs les moins instruits ont fait cette remarque; les poêles uTéme en
font mention. Ne diroit-on pas que la nature se plait à multiplier sous mille ionnes la maladie ou la mort !
CCCLXXXYIII. La Lèpre elle-même subit une multitude de modifications par le pouvoir de cette influence
des climats; c'est là ce qui lui imprime un caractère prothéifoi-me. Aussi a-t-on mal-à-propos décrit ses
principales métamorphoses, comme des espèces dilTérentes, chez les divers peuples où elle a été appcrçue.
(Cependant, malgré cette physionomie particulière que la Lèpre emprunte, pour ainsi dire, des causes locales
qui la fout naître, il y a des traits généraiLx qui fixent irrévocablement le gem-c auquel elle appartient.
CCCLXXXIX. C'est par conséquent une manière défectueuse de procéder, que de désigner la Lèpi-e par
le nom des pays C[ui favorisent son développement : une semblable habitude a introduit beaucoup de méprises
dans les ouvi-ages de l'art. Personne n'ignore néanmoins que plusieurs espèces de Lèpres peuvent se manifester
dans les mêmes lieux ; des voyageurs éclairés ont bien su les distinguer en parcourant l'Egypte et tous les
pays où elle est encore endémique.
CCCXC. Quels inconvéuiens n'y ain-oit-il pas d'aUleurs à fixer ainsi la dénomination des différentes Lèpres,
d'après les lieux où elles se manifestent ! Cette affreuse maladie , qui a eu son berceau sur le sol brûlant
de l'Afrique, aux boi-ds du ÎJil et du Sénégal, n'a-t-elle pas fait, pour ainsi dii-e , le tour du globe? Tous
les médecins qui ont voyagé en Egypte, l'ont rencontrée à Alexandrie, à Rosette, au Caire, à Sion, etc. ;
elle s'est présentée à leurs regards, sous les ibrmes les plus dégoûtantes; les phalanges des doigts et des
pieds tomboient successivement. La Nubie, la Guinée, le Congo, la Nigi-itie, l'Abyssinie, la '.ôte d'Ajan,
la côte de Zanguebar, etc.; les îles situées soit dans l'Océan indien, soit dans l'Océan atlantique , telles que
les îles de Socotora, de Madagascar, etc. , abondent en maladies de ce genre. La Lèpre est même si
commune à l'Ile de France, que les blancs comme les noirs y sont sujets. Le nombre des affligés augmente
chaque jour, et dans une proportion tellement allai-mante, que l'administration de la colonie prit, il y a
quelques années, un arrêté, pour les transporter tous à l'ile de Coïtivy; mais on n'osa pas mettre cet arrêté
à exécution, tant les malades étoient nombreux, les médecins ayant été forcés, sous des peines très-graves,
de les déclarer tous. Les familles les plus considérables de l'île s'y trouvoient comprises. Les îles d'Afrique,
situées dans l'Océan atlantique, telles que celles de Madère, des Canaries, du Cap-Yert, de l'Ascension, etc.,
n'en sont point exemptes.
CCCXCI. Parcourez l'Amérique, et vous verrez que la Lèpre s'y multiplie d'une manière effrayante :
parmi les maladies du Groenland, elle tient un des premiers rangs. Le Canada, la Nouvelle - Ecosse , le
Mexique, les Antilles, donnent naissance à 1'Elephantiasis des jambes. BI. le docteur Yalentin rappelle l'habitude
où l'on étoit de reléguer dans l'île de la Desirade tous les blancs lépreux qui se trouvoient la Maitinique ,
à la Guadeloupe, ii Sainle-Lucie , k Saint-Yincent, à la Barbade, à Tabago, à la Trinité, etc. llicn de
plus favorable au développement de la Lèpre , que le climat mal-sain de la Guyane. La Terre-Eerme, la
Nouvelle-Grenade, le Erésil , le pays des Amazones, le Pérou , le royaume de la Plata , etc. , tous ces
climats renferment des causes qui conti-ibuent à la production de ce désastreux fléau.
CCCXCn. La Lèpre est fréquente dans presque toutes les contrées de l'Asie. M. de Ste.-Croix a eu
occasion de l'obsei-ver ii la côte de Coroinandel pendant son séjotu- à Manille. L'établissement des castes et le peu
de médecins c]ui existent dans ce pays, cmpêchcnt que cette maladie, qu'on croit être éminemment contagieuse,
ne soit convenablement étudiée; il pense même qu'un médecin qui, par l'amour de l'art, se livrerott à ce
gem-c de travail, pcrdroit la confiancc publique, tant elle est en hoircur. Aussi les Indiens séquestrent les
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