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maffe énorme de fon corps paroît le défigurer > fa
trompe & fes défenfes qui cachent une partie de
fa tête, forment une conformation étrange > mais
fous cet extérieur peu favorable, il cache un inf*
tinéfcadmirablej il a lui feul le fentiment du chien,
l'adreffe du finge 8c l'intelligence du caftor : tous
les naturaliftes s'extafîënt fur fa force prodigieufe >
on en a vu porter avec leurs dents deux canons
de fonte, 8c les foutenir l'efpace de ci-.q cents
pas : il y en a d’autres qui tirent des galères en
terre & les mettent à flot : le philofophe ne fera
point effrayé d'un tel appareil de force , quand
il faura que celui qui l'a reçu de la nature n'en
abufe jamais : il n’eft l'ennemi d’aucun animal.
Véléphant fauvage marche en troupe ; & alors
les chaffeurs n'oferoient l'attaquer, car il faudroit
une petite armée pour lutter avec avantage contre
elle. Il fouffre avec peine l'excès du froid 8c celui
de la chaleur ; il fe nourrit de racines , de fruits
& de grains , 8c il peut manger jufqu'à cent cinquante
livres d'herbes par jour : cette grande'
corifommation nuit aux campagnes, & les Indiens
ne trouvent le moyen de prévenir leur vifite
qu’en allumant devant des feu x , dont l'eclat les
épouvanté. Les élépkans ont les moeurs fociales î
quand ils fe connoiffent,_ils ne fe quittent pas,
& ils paroiffent fufceptibies de la plus vive amitié}
ce fentiment cede cependant à l'amour quand les
femelles entrent en chaleur , ils fe féparent alors
par couple & fe retirent dans les folitudes, les plus
profondes pour fe livrera l'impulfion de la nature:
l'amour les précède, la pudeur les fu it, 8c le
myftère accompagne toujours leurs plaifirs. Ils ne
produifent quun p e t it , q u i, à fa naiffance, a des
dents, 8c paroît plus gros qu’un fanglier : on ne
peut guère apprivoifer Yéléphant que dans l'âge le
plus tendre ; mais il dégénère dans l'efclavage Sc
ceffe de produire.
Quand Y éléphant eft dompté , i l devient le plus.
doux des animaux, il s'attache à fon maître, Sc on
en a vu mourir de regret pour avoir, dans un ex-
-cès de colère, tué leur conducteur.
On prétend que Yélèphant peut vivre deux
f i é clés , 8c qu’il produit jufqu’ à cènt vingt ans : j
Tefpèce en eft répandue dans tous les pays méxi- -
dionaux de l'Afrique,& de-l'Àfie : mais ils ne;
-quittent prefque jamais le fol qui les a vus naître , '
& cet attachement à la patrie achève de. faire re- '
garder Yélèphant comme un prodige delà nature.
De tems immémorial, les indiens fe font fer-
vis à3élépkans dans la guerre ; mais comme ces
animaux craignent beaucoup le fe u , ils ne pour-'
relent tenir contre notre artillerie.
On ne trouve, plus 81 êlèphans fauvages dans la
partie de l’Afrique qui*eft en-deçà'du mont Atlas >
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mais on en trouve beaucoup au Sénégal, en Guinée
au Congo & dans toutes les terres du fud de l'Afrique
, jufqu’à Celles qui font terminées par le
Cap de Bonne-Efpérance. On en trouve auflî en
Abyflinie , en Ethiopie , à Madagafcar , à Java,
& dans toures les grandes ifles de l ’Inde. 8c de
l’Afrique.
Les élépkans font actuellement plus nombreux
en Afrique qu'en Afie : ils y paroilfent plus fiers
de leurs forces , 8c traitent les nègres avec une
indifférence dédaigneufe.
Le préjugé des afîatiques eft qtie leurs élépkans
peuvent vivre jufqu'à cinq cents ans , & il faut
avouer que les hiftoriens de l'antiquité ont partagé
la même crédulité. Juba, roi de Mauritanie, a
écrit qu’ il en avoit pris dans le mont Atlas qui
s'étoient trouvés dans un combat quatre fiècl s
auparavant, 8c Philoftrate rapporte que Yélèphant
A ja x , qui avoit combattu pour Porus contre
Alexandre , vivoit encore quatre fiècles après U
viCloire de ce conquérant.
La couleur naturelle de ces animaux eft le gris
cendré ou noirâtre j il y en æauffi de blancs, de
rouges 8c de noirs , mais ils font infiniment rares :
on fait qué la poffeffion d’un éléphant blanc a coûté
des guerres de deux fiècles à quelques royaumes,
des Indes : 8c quand le roi de Siam tait l'énumération
gigantefque de fes titres , il ne manque jamais
de mettre 3poffeffeur de l'éléphant blanc : cette prérogative
lui paroît une des plus effentielles de fa
couronne.
Les fens de Yélèphant ont une perfection que
nos européens ne peuvent foupçonner : il fe dé-
leCte au fon des inftrumens , 8c paroît goûter
comme nous les plaifirs quinaiffent aè l'harmonie}
fon odorat eft exquis 5 il cueille les fleurs dont le
parfum eft le plus gracieux. Pour le fens du toucher
, *il--réfide dans fa trompe ; cette partie de fa
tête lui rend plus de fervicesque les mains n'en
rendent à l'efpèce humaine } cette trompe eft en
même-tems un membre capable de mouvement
8c un organe de fentiment: il s'enfert pourramaf-
fer à terre les plus petites pièces de monnoie, pour
cueillir les herbes 8c. les fleurs , pour ouvrir les
portes, & même pour tracer des caraCtères avec
un inftrument auffi petit qu’une plume.
L 'éléphant a le cou trop court pour pouvoir
baiffer fa tête jufqu'à terre , 8c brouter 1 herbe
avec la bouche , ou boire facilement quand il a
fo if 5 il trempe le bout de fa trompe dans l'eau ;
8c en afpirant il en remplit toute la cavité , en fuite
il la recourbe en-deffous , pour la porter dans fa
bouche, 8c l'enfonce iufques dans le gofier , au-
delà de l’épiglotte. L'eau pouffée par la fimple
afpiration aefeend dans 1 efophage. Quand YèlèÉ
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pkant veut manger, il arrache l'herbe atec fa
trompe, 8c en fait des paquets qu’il porte de même
dans fa bouche.
La bouche de Yélèphant eft la partie la plus
baffe de fa tête , 8c femfele être jointe à fa poitrine
: elle n'eft armée que de huit dents , quatre
à la mâchoire fupérieure, 8c quatre à l’inférieure;
La nature lui a encore donné deux défenfes, qui
fortent de la mâchoire fnpérieure : elles font longues
de quelques pieds 8c un peu recourbées en
haut. L'animal s'en fert pour attaquer 8c fe défendre
: elles fontereufes jufqu'à lamoitié environ
de leur longueur. Leur fubftance eft ce qu'on
nomme l’ivoire.
Les oreilles de Y éléphant font très-longues, très-
larges 8c très-épaiffes } il s'en fert comme d’un
éventail : fa queue n'a que deux ou trois pieds 5
elle elt garnie à l'extrémité d'une houppe de gros
poils élaftiques, qui eft un ornement très-recherché
des négreffes : auffi la queue d'un éléphant fe vend
deux ou trois efclaves ; 8c quand un nègre aréufli
à la couper à un animal vivant, la fortune eft
faite.
L'éléphant a des yeux très-petits j fon corps eft
couvert d’une peau toute compofée de rides.
Le climat 8c la nourriture influent beaucoup
fur la taille des êlèphans ,* les plus grands des Indes
ont quatorze pieds de hauteur , 8c les plus petits
du Sénégal n'en ont que dix : le mâle eu toujours
plus grand que la femelle.
On fe fert de Y éléphant dans l'Inde pour porter
la groffe artillerie j lé Mogol les fait fervir quelquefois
de bourreaux pour les criminels condamnés
à mort : s'il eft néceffaire d’abréger le fupplice,
ils mettent en un inftant le patient eh moi-ceaux ;
fi leur crime eft atroce, ils .leur rompent les os
les uns après les autres, 8c leur font fubir un
fupplice auffi cruel que celui de la roue.
On connoîtroitpeu l’éléphant, fi on ne rapportoit
ici quelques traits de fa générofité : ces anecdotes
font avérées, 8c méritent l'admiration même
du, philofophe.
Un éléphant venoit de fe venger de fon con-
dutteur en le tuant : fa femme, témoin de ce
fpeétacle , prend fes deux enfans 8c les jette aux
pieds de l’animal furieux, en lui difant ipuifque
tuas tué mon mari , ôte-moi auffi la vie ainfi qu'à,
mes enfans : Yélèphant auffi-tôt s’a rrête, s'adoucit,
prend avec fa trompe l ’aîné de fes enfans , le met
fur fon c o l, l’adopte pour fon conducteur, 8c dans
la fuite n'en veut point fouffrir d'autres. Cette
fcène fingulière s'eft paffée dans le Delcan.
Un foldat de Pondichéry qui avoit coutume de
C h a sse s,
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porter à un éléphant une certaine mefure d'arac >
ayant un jour un peu plus bu que de raifon 3 8c
fe voyant pourfuivi par la garde qui le vouloir
conduire en prifon, fe réfugia fous Y éléphant 8c
s'y endormit. C e fut en vain que la garde tenta
de l'arracher de cet afyle : Yélèphant le défendit
avec fa trompe j le lendemain le foldat revenu de
fon ivreffe , frémit, à fon r é v e il, de fe trouver
couché fous cet énorme quadrupède : mais IV//-
phant qui s'apperçut de fon effroi, le careffa avec
fa trompe pour le raffurer ,8c lui fit entendre qu’ il
pouvoit s’en aller.
Quand cet animal fe trouve dans fon état natu
re l, les douleurs les plus aiguës ne peuvent
l’engager à faire du mal à qui ne lui en a pas fait.
Un éléphant furietix des bleffures qu’ il avoit reçues
à la bataille d'Hambour , couroit dans les
campagnes en pouffant des cris affreux} un foldat s
qui n’avoit pu fuir, peut-être parce qu’ il étoit
lui-même bleffé, fe trouva à fa rencontre : Y été-
pkant craignit de le fouler aux pieds , le prit avec
fa trompe, le plaça doucement de côté 8c continua
fa route, te s belles actions des élépkans font
innombrables.
Ave c autant de qualités en partage, il n’eft pas
étonnant que l’ antiquité n’ait regardé Y éléphant
qu'avec une efpèce de vénération : l'ingénieux
Piine 8c le judicieux Plutarque lui ont même
attribué des moeurs raifonnées, l'efprit de divination
, 8c une religion naturelle : les indiens,
prévenus de l’idée de la métempficofe , ont expliqué
des qualités admirables de Yélèphant avec
la doctrine de Pythagore : ils font encore perfuadés
aujourd’hui qu’un corps auffi majeftueux ne peut
être animé que par l’ame d’ un grand homme.
Plufieurs princes de l’ Inde font confifter leur
grandeur à entretenir beaucoup & élépkans. Le
grand Mogol en a plufieurs milliers ; on les pare
de plaques de métal} on les couvre des plus riches
étoffes 5 on environne leur ivoire d’or 8c d’argent;
on les couronne de guirlandes , 8c cette parure
femble les charmer.
C'eft fur-tout à l'égard de Yélèphant blanc qu'on
v o it , dans toute fon énergie , l'enthoufiafme des
orientaux : plufieurs mandarins font deftinés à fon
fe rv ice , on ne le fert qu'en vaiffelle d’or : il a
un palais dont les lambris font dorés, 8c l'intérieur
orné de fculpture : on le difpenfe de tout travail
8c de toute ©béiffance : l'empereur vivant eft la
feul devant qui il fléchiffe le genou } encore ce
falut lui eft il rendu parle fouverain.
C ’ eft à Pégu qu'on voit les plus beaux êlèphans
blancs des Indes, quand le roi de cette contrée
va fe promeuer, il y en a quatre qui marchent
devant lui ornés de pierreries : lorfqu’ il donne au