
fon maître 8c prévenant pour Tes feuls amis , il ne
tait aucune attention aux gens indifférens , 8c Te
déclare contre ceux qui par état ne font faits
que pour importuner : il les connaît àux vête- \
mens j à la yoix , à leurs geftes & lés empêche ;
d approcher. Lorfqu’ on lui a confié pendant la
nuit la garde dé la maifon , il devient plus fier 8c
quelquefois féroce: il v e ille , il fait la ronde:
ilfe n t de loin les étrangers, 8c pour peu qu'ils
s’arrêtent ou tentent de franchir les barrières ,
il s’élance , s’oppofe 8c par des aboiemens réitérés
, des efforts & des cris de colère il donne
l'alarme , avertit & combat. Aufli furieuè contre
les hommes de.proie que contre les animaux car-
nafiiers 3 il fe précipite fur eux , les bleffe, les
déchire 3 leur ôte ce qu’ ils s’efforcent d’enlever :
mais content d’avoir vaincu, il fe repofe fur les
dépouilles, n’y touche pas, même pour fatisfaire
fon appétit, & donne en même tems des exemples
de courage, de tempérance & de fidélité.
- On fentira de quelle importance cette efpèce
eft dans l’ordre de la nature , en fuppofant un
inftant qu’elle n’eût jamais exifté. Gomment
1 homme auroit-il pu , fans le fecours du chien.,
conquérir , dompter , réduire en efclavage les
autres animaux ? Comment pourroit-il encore aujourd’hui
découvrir, chalfer , détruire les bêtes
fauvages & nuifibles ? Pour fe mettre en sûreté
& pour fe rendre maître dé l’Univers vivant', il
a fallu commencer par fe faire un parti parmi
les animaux, fe concilier , par douceur & par
careffes , ceux qui fe font trouvés capables de
s attacher 8c d’ob é ir , afin de les oppofer aux
autres. Le premier art de l’homme a donc été
l’éducation du chien, & le fruit de cet art la conquête
& la poffeffion paifible de la terre.
La plupart des animaux ont plus d’agilité, plus de
force & plus de courage que l’homme: la nature les
a mieux munis, mieux armés; ils ont aufli les fens
& fur-tout l'odorat plus parfaits. Avoir gagné une
efpèce eourageufe & docile comme Je chien ,
-c’eft avoir acquis de nouveaux fens &-les facultés
•qui nous manquent.' Les machines , les inftrumens
que nous avons imaginés pour perfectionner nos
autres fens, pour en augmenter l’étendue , n’approchent
pas de ces machines toutes faites que
la nature nous préfente , 8c qui en fuppléant à
l’imperfèCtion de notre odorat, nous ont fourni
de grands 8c d’éternels moyens de vaincre & de 1
régner : & le chien , fidèle à 1 homme, conferyera
toujours une'portion de l’empire, un degr,é
de fupériorité fur les autres animaux $ il leur
commande , il règne lui-même à la tête d’un
troupeau , il s’y fait mieux entendre que là voix
du berger. La sûreté, l’ordre & la difcipline '
font les fruits de fa vigilance & de fon activité,
c’eft un peuple qui lui eft fournis^ qu’i l conduit,
qu’il protège, & contra lequel il n’emploie jamais
. la force que pour y maintenir la paix. Mais c’eft
fur-tout à la guerre , c ’eli contre les animaux ,,
ennemis ou indépendans, qu’éclate fon courage ,
& que fon intelligence fe déploie toute entière ;
les taîens naturels fe réunifient ici aux qualités
acquifes. Dès que le bruit des armes fe fait entendre,
dès que le fon du -cor ou ia voix du chaf-
feur a donné le lignai d’une guerre prochaine ,
brûlant d’une ardeur nouvelle , le chien marque
fa joie par les plus vifs transports; il annonce
par fes mouvemens 8c par fes cris l ’impatience
de combattre & le delir de vaincre : marchant
enfuite en filehce , il recherche à reconnoïtre le
pays, à découvrir, à furprendre l ’ennemi dans
ion fort ; il recherche fes traces , il les fuit pas
à pas, 8c pardesaccens différens, indique le tems ,
la diftance , l’efpèce 8c même l'âge de celui qu’il
pouriuit.
Intimidé S preffé , défefpérant de trouver fon
falut dans la fuite , l’animal fe fert .aufli de toutes
fes facultés : il oppofe la rufe à la fagacicé, jamais
les refîburces de l’inftinCb ne furent plus admirables.
Pour faire perdre fa trace , il v a , v ien t,
& revient fur fes pas , il fait des bonds, il vou-
droit fe détacher de la terre &- fupprimer les
efpaces. Il franchit d’un faut les routes , les haies,
pafife à la nage les.ruifleaux, les rivières; mais
toujours pourfuivi 8c ne pouvant anéantir fon
corps, il cherche à en mettrë un autre à fa place ;
il va lui-même troubler le repos d’ un voifin plus
jeune 8c moins expérimenté > le faire lever, march
e r , fuir avec lu i, & lorfqu’ ils ont confondu
leurs traces , lorfqu’ il croit l’avoir fubftitué à fa
mauvaife fortune , il le quitte plus brufquement
encore qu’ii ne l’a joint ] afin 'de le rendre feul
l’objet & la viétime de l’ennemi trompé. Mais le
chien, par cette fupériorité que donnent l’exercice
8c l’éducation , par cette fineffe de fentiment
. qui n’ appartient qu’ à lui , ne perd pas l’objet de
fa pourfuite, il démêle les points communs,
délie lès noeuds du fil tortueux qui feul peut y
conduire, il voit , de l’odorat, tous les détours
du labyrinthe, toutes les faüffes routes où l’on
a voulu l'égarer, & loin d’abandonner l’ennemi
pour un indifférent, après avoir triomphé de la
rufe , il s'indigne, if" redouble d’ardeur , arrive
enfin , l ’attaque, 8c le mettant à mort, étanche
dans le fang la foif 8c là haine.
L ’on peut dire que le chien eft le feu 1animal
dont la fidélité foit à l’épreuve ; le feul qui con-
noiffe toujours fon maître & les amis de la maifon ;
le feul lorfqu’il arrive un inconnu, qui s’en apper-
çoive ; le feul qui entende fon nom 8c qui recon-
noiftela voix domeftique ; le feul qui ne fe confie
point à lui-même; le feul , lorfqu’il a perdu fon
maître 8c qu’ il ne peutle trouver, l’appelle par fes
gémiffemens ; le feul qui dans un voyage long qu’ii
n’aura fait qu’une fo is , fe fouvient du chemin
C H I
& retrouve la route ; le feu! enfin'dont les talens
naturels foient évidens, 8c l’éducation toujours
beureufe. , f |
( Hift. nat. de Bujfon. )
Le chien eft encore plus né ce flaire pour la chaffe
.que le cheval. C ’eft par fon fecours qu’on peut
trouver la retraite & les traces des animaux que
le chafleur pour/üit ; 8c comme il y a differentes
efpèces de chaffes , il y a aufli différentes
-efpèces de chiens que l’on dreffe , 8c dont on fe
rfert pour y ré.uflir, il eft donc à propos d’examiner
en particulier, d’après les. meilleurs traités de
chaffe & de venerie , ces efpèces principales de
chiens, & l’emploi qu’il convient d’en faire.
Des chiens couchons,
Les chiens couchons, ou chiens d'arrêt , ou
chiens fermes, font employés pour la chaffe du
tirer.
Ceux que l’oneftime davantage , font 1 e braque,
y épagneul 8c le griffon. Quoique ces efpèces aient
un inftinét naturel pour la chaffe, il eft encore
néceffaire de les dreffer ; or voici l’ inftruétion
très- bien développée que donne fauteur du Traité
de la chaffe au fufil, pour dreffer un chien couchant.
«c Avant d’entrër en matière , dit cet auteur,
il ne fera pas hors de propos déplacer ici quelques
obfervations préliminaires fur la chaffe du
ichien couchant, .
Tant qu’on ne s’eft fervi à la chaffe que de
L'arbalète , avec laquelle on ne pouvoit tire r , au
.moins le menu gibier, qu’arrêté ; & même dans
les premiers tems où l’on a employé l’arquebufe ,
dont l’ùfage ne s'eft perfectionné au point de
ne pouvoir tirer au v o l , que bien des années après
fon invention ; les chiens couchans ont été bien
plus utiles qu’ils ne le font aujourd’hui ; ou , pour
mieux dire, ils étoient d’une néceflité indifpen-
fable, principalement pour la perdrix & la caille,
<j.ui ne pouvoient fe tirer autrement qu’à terre ,
& rarement fans le fecours d’un chien couchant.
Un bon chien couchant étoitdonc alors un vrai
tréfor pour fon maître ; & d’après l’intérêt qu’ un
chafleur avoir à perfectionner l’éducation de fon
chien , il eft aife de fe perfuader que lès chiens
couchans de ce tems-là étoient bien fupérieurs
a.ceux dont nous nous feryons aujourd’h u i,& les
chaffeurs , conféquemmentbien plus habiles &
plus induftrieux qu’ ils ne le font dè nos jours ,-où
lich a ffe , devenue plus facile par l’ulage de tirer
au- vol & en courant , n’exige! pas , à beaucoup
près*,. les mêmes: fineffes> qu’autrefois< Efpinar:,
voifin du tems dont je parlé,. & qui'avoit pu.v
dans fa jeuneffe , voir e n c o r e p r a t iq u e r queb
^ es chaffçjjrs à l ’arbalëte:? . vante fingulièreinenc
leur fcience & leur adreffe, & fur-tout la perfection
de leurs chiens auxquels il ne mauquoit,
comme on d i t , que la parole; obéiffant au moindre
petit fix em en t, au plus léger figne de la main ,
& comprenant tout ce qu’ on exigeoit d’eu x , fans
! qu’ il fût befoin de leur parler,
Lorfcju’un chien tomboit en arrêt fur des perdrix
, il falloit alors bien d’autres précautions
pour le fervir , qu'il n’en faut aujourd’h u i , 8c la
manoeuvre du chafleur étoit bien différente. D’abord
, pour tirer fon g ib ie r , il falloir qu’il jugeât
avec jufteffe , par l’attitude de fon chien ,
de l’endroit où il é to i t , & en uite qu’il cherchât
à fe placer de manière à pouvoir le décou-
couvrir , ce qui étoit quelquefois très-difficile ,
fur-tout daus un terrein couvert de b o is , de
brouffailles ou grandes herbes , & i l ne I’apper-
c e v o it, le plus fouvent, qu'après avoir tourné
le chien plufieurs fois , ce qui devoit fe faire fans
bruit, pas à pas , & avec le plus grand fecret ,
pour ne pas le faire partir. Il avoit d’ailleurs l’attention,
avant de tournet fon chien , d’examiner
quelle devoit être la remife des perdrix, & de
prendre fon tour de loin pour arriver fur elles
de ce c ô té , par la rai fon que les perdrix tiennent
beaucoup plus volontiers, lorfqu’elles voient le
chafleur pofté fur leur paflage. S’il arrivoit que
cette^ première tentative ne lui réufsît pas , il
s’éioignoit alors pour donner le tems aux perdrix
de^ (e raffurer, & revenoit enfuite fur elles , du
même côté , mais cherchant, cette fois , à les
approcher de plus près, jufqu’à cequ’enfin il pût
les appercevoir & faire fon coup.
JTelle étoit autrefois la chaffe du menu gibier,
où lesekiens couchans, comme on v o ie , étoient
des agens abfolument néceffaires Mais aujourd’hui
que les ailes font devenues inutiles aux
oifeaux pour éviter le plomb mortel, & que
les quadrupèdes ne peuvent plus s'en garantir
par la rapidité de leur courfe, le talent d’arrêter,
dans un chien, n’eft plus, pour le chafleur, qu’un
mérite fecondaire,- qu’un fupplémént d’agrément
& de commodité , q u i, toutes chofes égales ,
d'ailleurs, peut bien rendre la chaffe plus abondante
& plus fruétueufe, mais dont il eft aifé de
fè paffer,. 8c dont fe paffent en effet les trois
quarts des chaffeurs , qui fe contentent d’un
chouvpille , c’eft-â-dire , d’ un chien bien à commandement,
& chaffant fous le bout du fufil,
Atr furplus , il ^1 bon de favoir que la chafle
au chien couchant, tant à l ’arquebufe qu’avec la
tirafle , a été défendue , de tout tems , par les
ordonnances, comme chaffe cuifinière , c’eft-a-
dire , deftructive- du gibier, & que y même encore
aujourd’h u i, elle eft: tolérée plutôt que
permife.
Venons maintenant à la manière’ dont on doit
s’y prendre pour dreffer un- chien couchant.
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