
vivent de racines, d’herbes, de jeunes pouffes de
fapin , & d.e quelques herbes vertes qu’ils découvrent
fous lfr neige, lfc fe- couchent à l ’abri
de quelque „quartier de roche , 8c quelquefois
fur k neige même.
Il fe’trouve beaucoup de chamois dans les montagnes
du Dauphiné, principalement dans celles
du Valgaudemar , de Malines , du Champfaur &
de l’ Oifans. Il y en a auffi, mais en plus petit
nombre , dans le Trièves , Diois^à la Greife ,
au Vilîar de Lans, a Allevard , à Pré'raol, &
en g é n é r a l f u r toutes les hautes montagnes
de cette province, ô n en voit pareillement dans
quelques-unes des provinces de France que bornent
les Pyrénées.:, favoir ,Je R.oufliiion , le pays
de F o ix , le Comminges , & le Couferans.
La chaffe du chamois eft très- pénible, 8c. en
même temps - très - dangereuse : elle ne peut
guères etre pratiquée que par les montagnards
nés fur- les lieu x , 8c accouhimés, dès.l’en-
fànce, à gravir les rochers , & à marcher d'un
pas ferme fur le bord des précipices : encore
font-ils fouvent dans le cas defrecourir à dès ex-
pédiens , pour fe garantir des chûtes. & glilTades
perilleufes auxquelles ils font expofés. Parexemple,
dans les montagnes où il fe rencontre des amas
de glace & de neige endurcis , qu'ils font obligés
de franchir 5 ils adaptent fous la femelle de
leurs fouliers, avec une courroie 3 un inftiumen t
de fer qui eft une efpèce de patin, cômpoië de
quatre grapins.
Dans certaines roches calcaires:, où ils ne-peu-
vent marcher avec des femelles de cu ir , ils fe
fervent de femelles de gros drap. Enfin., tel dé
ces chaffeurs * ayant a. palier fur le penchant-
d'un rocher prefque à, p ie , s’eft vu obligé de fe
dechauffer, & de fcarifier avec, fou couteau la
plante de. fes pieds , .afin que- le lang venant à
couler, fermât une efpèce de g lu , qui l'empê-
chat de g liflèr& de fe: précipiter.
La nature du terrein. qu’habitent les chamois
ne permet guères de les chaffer de la même manière
que les autres bêtes fauves, fi. ce n'eft
dans certains bois oui fe trouvent fur des pentes
f?eu efcarpées , ou: il. s’en rencontre quelquefois
, & où les. chiens peuvent les fui.vre pendant
quelque tems. M a is , lorfque le chamois, a
été mis debout, il ne faut pas s’attendre à le
voir revenir au lancé, après une randonnée
comme font k plupart des autres bëies; ; il
perce toujours , s en va a deux ou trois lieues
fins fe détourner , & finit par gagner les rochers,
où les chiens font forcés: de l'abandonner. *
Voici comme ou s’y prend ordinairement pour
tuer les chamois : plufteurs chaffe urs vont en-- \
femble à la montagne , de très-grand matin ; ils
cônnoiffent les endroits oif hantent ces animaux-.
L e plus foùvent, ils n?ont pas de chiens, qui
en général, font-peu utiles , 8c fouvent nuifîblès
pour cette chalfe , parce qu’ils lès* difperfénr &
les éloignent trop promptement. Lorfqiuls. font
arrivés ftir les lieux où doit fe faire la chaffe, ils
fè partagent. Les plus difpos efcalàdent les ro^
ches efcarpées qui fervent de retraite aux charmais
pendant le jo u r , tandis que les autres vont
les attendre- à certains paffages connus, où les
précipices & les cordons de rochers, doivent les
ramener. Dès que les batteurs qui font un grand
bruit de cris 8c de huées , ont fait lever une
bande de chamois, ils donnent le- lignai à leurs
compagnons , en leur criant de fe tenir fur leurs
gardes.
Il arrive quelquefois’ dans ces battues, qu’un
ch a fleur fe trouve ferré contre un pan de rocher
fort efcarpé , n’ayant fous fes pieds qu’une
corniche de quelques pouces , 8c que ranimai
pourfuivi n a d’autre voie pour échapper que ce
petit fentier. Alors s’il nele tue pas venantàlui,
le fèul parti qu’il ait à prendre eft de fe coller
exaélement contre le rocher : c a r , fi le chamois
qui craint, en paffant devant le chaffeur, de fé
précipiter , apperço-it le moindre jour par derrière,
il s’élancera pour y paffer, 8c le chaffeur
fera lui-même précipité‘. s’il n’en voit point, il
retournera fur fes pas*, ou quelquefois fe réfout-
dra à paffer par devant, auquel cas il fe précipitera
de lui-même, ou pouffé par le chaffénr d’un
coup- de eroffé.de fufil.
On. peut auffi tuer lefc chamois à l’a f f û t e n
les guettant le fôir & le matin dans les. endroits
où ils viennent paître : mais la chaffe la plus ufitée
dans les montagnes du Dauphiné,.cpnufte, .lôrf-
qii’ôn en découvre quelque bande de loin,, pendant
le jour , à tâcher d’en approcher à bon vent,
& de les furprendre , en fe gliffant adroitement
de rocher en rocher, & profitant de tous les
.avantages du lieu pour fe couvrir le mieux qu’ il
eft poffible , jufqu’V ce. qu’arrivé à portée de
tirer , en ôtantfon chapeau, & quelquefois couché
derrière quelque groffe pierre , on puiffe
faire fon coup :.ce qui n’ â lieu ordinairement qu’à,
une grande portée : c’eft pourquoi la plupart des
chaffeu-rs de chamois, fe fervent de. carabines rayées ,
qui ontplus de jufteffe que les fufilsde chafîê ordinaires
&.ticen.t. à balle fèulé.
Pour donner une idée plus jufte des fatigues
&. des dangers qui accompagnent la chafle du
chamois, on ne peut mieux faire que. de copier
ic i la peinture intéreflante qu’en a fait M. de.-
Sanfîiire en. décrivant les moeurs d"es- habitans de
l.a vallee de. Çhamouny en Savoye.. « Le chaf-
» leur de : cliarflois part ordinairement dans là
» nuit, pour fe trouver à la jointe du jour dans
n les pâturages les plus élevés, où le chamois
» vient paître, avant que les troupeaux y arrivent.
»» Dès qu’ il peut découvrir les lieux ou il efpère
» les trouver , il en fait la revue avec fa lunette
»» d’approche. S'il n’en voit pas, il s’avance &
» s’ élève toujours davantage, mais, s’ il en v o it,
« il tâche de s’élever au-deffus d’e u x , 8c de les
m approcher, ën longeant quelque ravine , ou en
»j fe coulant derrière quelque rocher. Arrivé à -
99 portée de pouvoir les tirer, il appuyé fon fufil
99 fur un rocher , ajuste fon coup avec bien du
»9 fang-froid , & rarement le manque. Ce fufil eft
9» une carabiné rayée.... S’il a tue le chamois , il
99 court à fa proie , s’en alfure en lui coupant les
9» jarrets j puis il confidère le chemin qui lui
99 refte à faire pour regagner fon village,v Si la •:
99 route eft très-difficile, il écorche le chamois, :
99 & n’en prend que la peau: mais, pour peu que ;
99 le chemin foit praticable, il charge fa proie fur :
99 fes épaules, 8c la p.orte chez lui fouvent à tra-
99 vers des précipices & à de grandes diftances ;
99 il fe nourrit avec fa famille de la chair, qui
99 eft très-bonne quand l’animal eft jeune , 8c ■.
99 fait fécher la peau pour la vendre.
99 Mais f i , comme .c’eft le cas le plus fréquent,
*9 le vigilant animal apperçoit venir le chafieur,
*9 il s’énfuit avec la plus grande vîteffe dans les
99 glacières , fur les neiges , 8c fur les roches
99 les plus efcarpées.... C ’eft là que commencent
99 les fatigues du chaffeur ; c a r , âlors, emporté
»c par fa paffion, il ne connoît plus de danger j
9® ilpaffe fur les neiges, fans fe foncier des abîmes
« qu’elles peuvent cacher. Il s’engage dans les
»s routes les plus périlleufes, monte , s’élance-de
»> roche en roche, fans favoir comment il en
»» pourra revenir. Souvent, la nuit l’arrête au
99 milieu de fa pourfuite j mais il n’y renonce
99 pas pour cela ; il fe flatte que la même caufe
» arrêtera les chamois , 8c qu’il pourra les joindre
9» le lendemain : il paffe donc la nuit ,n on pas au
99 pied d'un arbre, comme le chaffeur de la plai-
99 ne , ni dans un antre tapiffé de verdure , mais
95 au pied d’ un roc , fouvent même fur des débris
»9 entaffés> où ii n’y a pas la moindre efpèce d’a-
99 bri. Là , feul, fans feu , fans lumière ,.il tire de
« fon fac un peu de fromage 8c un morceau de
>9 pain d’avoine, qui fait fa nourriture ordinaire,
99 pain fi fec 1 qu’ il eft obligé de le caffer entre
y deux pierres, ou avec la hache qu’ il porté avec
39 lui pour tailler.des efcaliers dans la glace. H fait
99 triftement fon frugal repas , met une pierre
99 fous fa tête, & s’endort en cherchant la routé
» qu’auront prife lés chamois. Mais , b ientôt,
» ë-vèil’ é par la fraîcheur du matin, il fe lève
*9 trahfî de froid, mëfüre des yeux les précipices
*9 qu’i l faudra franchir pour atteindre les cha-
î» mois , boit un peu d’eau-de-vie, dont il porte
•» toujours une petite provifion avec lu i, s’ea
99 va courir de nouveaux hazards. Ces chafleurs
99 reftent fouvent ainfi plufieurs jours dans ces fo-
»9 litudes, 8cc. »>
Quelque pénible, quelque dangereufe que foit
la chaffe du chamois , où il n’ eft que trop fréquent
de voir des hommes perdre la vie en roulant au
fond des précipices , il eft incroyable à quel
point la paffion pour cette chaflfe domine ceux
qui s’y font une fois adonnés. On en jugera par
le trait fuivant : « Fai connu ( ajoute M. de Sauf-
*9 fore ) un jeune homme de la paroiffe de S ix t ,
99 bien fa i t , d’une jolie figure, qui venoit d’é-
99 poufer une femme charmante. Il me difoit à
99 moi-même : Mon grand-pere eft mort h la chajfe ,
»9 mon pere y eft mort ,* & je fuis f i perfuadé qut j ‘y
99 mourrai , que ce fac que vous me voyeç , monfteur ,
99 & que je porte a la chajfe , je l'appelle mon drap
99 mortuaire , parce que je fuis fur que je n'en aurai
99 jamais d’autre. Et pourtant, fi vous m'offrie? de
>9 me faire ma fortune,, a condition de renoncer a la
« chajfe du chamois , je n y renoncerois pas »9. Le
preffentiment de ce jeune homme fe vérifia ;
car , deux ans après , M. de Sauffure apprit que
le pied lui ayant manqué au bord d’un précipice ,
il avoit fuhi la deftinée à laquelle il s’étoit fi bien
attendu.
C e favant naturalifte obfe-rve encore que et la
9» plupart de ceux qui vieilliflfent dans ce métier
99 portent fur leur phyfionomie l’empreinte de la
93 vie qu’ils ont menée : un air fauvage , quelque
99 chofe de hagard 8c de farouche les fait recon-
99 noître dans une foule , lors même qu’ils ne font
99 point dans leur coftume »i.
Cette paffion violente , cette efpèce de fureur
pour la chaffe du chamois eft d ’autant plus furpre-
nante que la cupidité y a peu de part , puifque le
plus beau chamois .ne vaut jamais plus de douze
livres à celui qui le tue , même en y comprenant
la valeur de fa chair. D’un autre cô té , ces animaux
font devenus fi peu communs, par la guerre continuelle
qu’on leur fa it, que les chaffes font très-
fouvent infruôtueufes.
La faifon la plus favorable pour la chaffe de ces
animaux eft depuis la Notre-Dame d’août jufques
vers la Totfffaints. Leur peau & leur chair font
meilleures alors qmen tout autre tems de l ’année.
Au furplus, la chair du chamois n’eft ni fort
bonne, ni faine , s’ il en faut croire Gafton-Phé-
bus , comte de Foix ( Dëfduitç de la chajfe ).
“ Leur chair ( dit-il ) n’eft pas trop faine : car
S9 elle engendre fièvres pour la grande chaleur
>9 qu’ ils ont : toutes fois quand ils font en faifon,
?9 leur venaifon eft bonne Faléefà gens qui n’ont
99 pas chair fraîche, ni d’autre meilleure, quand
« ils veulent. 99
Scheuchzer ( Itin. Alp. ) rapporte qu’ il y i 3