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qui en effet s’ eft beaucoup multipliée aux ent
ro n s de Verfaiiles ; elle s’ eft même étendue,
car ôn en a vu jufque dans la forêt de Fontainebleau.
Cette efpèce de cerf eft moins vigou-
reufe que les autres 5 ils ont les pieds plus gros Sc
font auffi un peu'plus gros de corfage. Le nombre
en a beaucoup diminué depuis quelques années ;
il n’y a même plus guère que des Biches &
quelques cerfs qui ont -dégénéré 5' ils ont le
pelage un peu plus clair & la foie des pieds
blanche.
Dès que le rut eft commencé , les cerfs n’ont
plus de repos , ils ne mangent plus ; ils font
dans une a&ivité continuelle jufqu’ à ce qu’ils
ayent trouvé des Biches ; ils deviennent furieux
du moment qu’ ils apperçoivent un autre c e r f , ou
même quand ils en ont feulement connoiffancè. Au
lieu de fuir , comme ils ont coutume * ce qui
pourroit leur donner de l’ombrage, ils vont
vers l’ o b je t ; il eft vrai que fouvent leur ivreffe
les empêche de le diftinguer 3 & qu’ils fuient
dès qu’ils ont reconnu un homme ; mais leur
curiofité & leur inquiétude les portent toujours
à voir & à s’éclaircir ; allant même très-fou -
vent le nez haut 3 ils éventent de fort loin
les objets & fe portent deffus. S’ils ont quelque
inquiétude , c’eft alors qu’ils témoignent
leur impatience & leur fureur par des cris redoublés
: il feroit difficile de donner une idée
des cris ; il n’eft pas poffible de ne pas éprouver
de l’effroi 3 lorfque, la nuit , au milieu des
bois 3 on entend ces cris pour la première
fois.
Lorfqu’un cerf a trouvé quelques Biches 3 il
les raffemble danS un endroit un peu découvert
3 afin que quelqu’autre cerf ne vienne pas
le s enlever. S’il furvient un c e r fï peu-près de
la même taille 3 le combat s’engage; le cliquetis
des deux tètes l’une contre l’autre eft encore
une choie effrayante j cherchant toujours à fe
prendre en flanc , ils ont une agilité incroyable
pour éviter le coup 3 &: la tête fe trouve toujours
en parade. Lorfque les deux têtes fe trouvent
appuyées l’une contre l’ autre * ils relient quel*-
quefois longtems dans cette pofture, en faifant
tous les deux les plus grands efforts pour le
culbuter : malheur à celui des deux qui feroit
jette par terre il feroit auffi-tôt percé de coups
d’ahdouillers ; & s’il ne pouvoit pas parvenir,
à fe relever & à fuir , non-feulement le cerf qui
l ’auroit renverfé, mais aulfi tous ceux qui fur-
viendroient, le cribleroient de coups , même
après fa mort. On a vu des cerfs dont les deux
têtes étoient tellement entrelacées, que même
après leur mort 3 on ne' pouvoit pas parvenir à
les défiinir. On en trouva un jour deux ainfi
entrelacés ; l’un des deux étoit mort, on fauva.
le Vivant en lui fciant la tête ; mais il eft arrivé
plufieiirs fois qu’ils étoiept morts tous les deux.
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Lorlque le cerf alîaillanr a eu l’avantage fur
fon adverfaire, il s’empare de fes Biches ,jufqu’ à
ce qu’un plus fort vienne aulfi l’attaquer : ainfi
ce font toujours les plus gros cerfs qui font les
maîtres du rut. Ils établiffent leur férail dans un
endroit fpacieux ; ils furveillent toutes les fui-
tanes ; fi quelqu’une étoit tentée de fe lailfer
féduire par quelques-uns des cerfs qui font toujours
aux environs 3 prêts à profiter des diffractions
du vénérable , elle eft bientôt ramenée 3
fouvent même avec correêtion. S’il furvient quelque
cerf qui puilfe donner de l’ombrage 3 le maître
l’ écarte en allant à lui quelques pas d’ un trot précipité
; il a alors un cri fréquent & coupé , que
l’on nomme roter j mais il poulfe fes cris ordinaires
en revenant à fes. biches. Pour les verdets
( c’eft ainfi que l’on nomme les jeunes cerfs) 3
il y en a toujours quelques-uns. qui caracolent
autour des biches-:" le gros çërf les méprife ; lï
cependant ils prenoient trop de licence 3 un regard
ou quelques pas les font fuir avec le plus
grand effroi.
Les cerfs commencent à crier aux approches
du coucher du foleil ; le tapage qui dure toute
la. nuit fe calme fur les fix ou fept heures du
matin ; il fe prolonge dans les pays clairs 3 parce
que les cerfs fe voient davantage : fur les neuf
ou dix heures, ils font tellement excédés 3 qu’ ils
font fouvent fur leurs quatre pieds un tems con-
fidérable fans faire aucun mouvement ; on les
croiroit endormis. Dans le fort du rut 3 ils fe remettent
quelquefois à crier dans le milieu du
jour. L’acharnement des cerfs l ’un contre l’autre
eft tel dans ce tems , que d'Iaiiville dit en avoir
vu deux en tenant les abois , crier & chercher
g fe battre ; & celui qui prit le parti de fuir de -
vant l’ autre , étoit diligenté à grands coups
d’andouillers dans le derrière. Dans ce tems ,/ les
cerfs ont une odeur très-forte ; on les fent même
long-tems après qu’ils font paffés ; ils ont le cou
fort gros & lé ventre noir. Le rut dur®, à-peu-
près un mois ; il commence vers le 15 de fep-
tembre. La manoeuvre du valet de limier pendant
ce tems n’ eft pas très-difficile ; lorfqu’ il entend
crier un cerf 3 il va à lui en fe coulant de
cépée en cépée 3 afin de ne pas l’effrayer par
une apparition trop fubite ; il voit quels font
les plus gros , & le met enfuite à un carrefour
pour l’obferver. Il eft rare que dans ce tems on
puifle travailler avec un limier 3 à caufe de la
quantité de voies dont les routes font criblées ;
d’ailleurs 3 il y a bien des limiers qui ne veulent
pas fe rabattre lorfque les cerfs font en rut ; cette
odeur leur déplaît ; les chiens courans auffi ne
chaffent pas fagement, ils prennent le change
facilement. Les cerfs ainfi excédés des fatigues
du rut, font bientôt forcés ; cependant, dans le
commencement, vers le 10 ou 12 feptembre,
lorfqu’ils ont commencé à piffer leur fiiif, ils
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durent très-long-tems; on appelle même ce moment
1 epecit avril, parce au ils fontauffi vigoureux qu ail
printe.ïis ; ils n’ont perdu de leur graille que ce
qu’il faut pour leur rendre toute leur vigueur.
Quelquefois , fur-tout lorfqu’il y à beaucoup de
gland, les cerfs fe réchauffent à la fin d’ octobre ,
& recommencent à crier ; mais ce fécond rut
ne dure que quelques jours. Lorfque le rut eft
fin i, les cerfs retournent fouvent aux buiffons ,
parce qu’ ils trouvent aux environs de quoi fe
refaire 5 ils y relient jufqu’à ce que l’hjyer les
ramène aux forêts.
De la biche.
La biche eft plus, petite que fon mâle ; elle n’ a
point de bois , elle porte aux environs de huit
mois ; pour l’ordinaire, elle ne fait qu’ un faon ,
& rarement deux ; fi quelquefois on la voit fume,
de deux, il n’en faut pas conclure que l’ un &
l’autre ~lui appartiennent, d’autant plus que l’on
a remarqué que lorfqu’un faon perd fa mere , il
cherche & trouve une autre biche qui l’adopte-
& le nourrit. La biche ordinairément met oas
dans le mois de mai ; lorfqu’elle fent que fon
tems approche , elle fe fépare des autres & fe retire
dans l’endroit le moins fréquenté de la forêt ;
& lorfqu’elle a fait fon faon, elle fe cache dans
un fourré , afin de le fouftraire à la vue des al-
îans & des venans ; fi elle entend chaffer dans
les environs, elle va au-devant des chiens & le s
enlève d’un côté oppôfé : la fuite eft l’unique arme
qu’elle puiffe oppoler à la furie de fes perfécu-
teurs. Au refte la biche qui paroît fi timide à
l’approche du danger qui la menace, reprend du
courage , quand les chaffeurs pourfuivent fon
faon , elle fe préfente alors hardiment aux chiens
& s’ en fait enaffer pour fauver fon petit. C ’eft
parmi les bêtes l’héroïfme de la tendreflè maternelle.
Cette rufe de la part des biches , jointe à
l’odeur forte qu’elles ont en ce tems, fait que
les chiens les cnaffentavec d’autant plus d’ ardeur,
qu’en cette circonftance elles fe font toujours
chaffer de près.
On va voir de quelle façon les biches marchent
^ font leur nuit & comment on peut les
juger d’avec les cerfs 3 tant par le pied que par
les allures & les fumées. D’ Ianville dans fon traité
de vénérie rapporte l’ aventure d’une biche qui a
été élevée dans le chenil avec les chiens. Cette
bête n’avoit pas huit jours lorfqu’elle fut prife
dans la forêt de Rambouillet , par des chiens
qui chuToient le chevreuil ; on fut à fonfecours ,
& comme on vit qu’elle n’avoit pas de mal, on
la fit porter au chenil ; on la mit dans un endroit
fépare , & on lui préfenta du lait qu’elle prit &
qu elle voulut bien continuer de prendre 5 au
moyen dequoi elle s’élevafort aifément. Onmet-
toit des chiens boiteux dans un chenil Yoifin de
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la biche ; elle fe promenoit avec eux fous la
garde d’ un valet de chiens : voyant cette familiarité
réciproque, on la mena un jour dans le
grand chenil avec toute la meute ; les chiens , à
cette première vifite, la fentirent de tous les
côtés , mais ne lui firent aucun mal ; il eft vrai
qu’on écartoitceux qui paroiffoient avoir quelque
mauvaife volonté 3 • & d’ailleurs après une courte
entrevue, elle retourna chez elle. Le lendemain
elle revint trouver la 'grande compagnie , qui la
reçut de bonne grâce & avec beaucoup moins de
façons ; enfin , de vifite en vifite, elle s’accoutuma
fi bien avec les chiens, & les chiens avec
elle , que dans la fuite ils demeurèrent & firent
ordinaire enfemble : elle couchoit dans le même
chenil ; elle mangeoit dans la même auge du
pain & même de la mouée, de laquelle il eft
vrai , elle laiffoit la viande ; elle fe trouvoit aufli
aux curées; cette biche , en un m o t, étoit toujours
avec les chiens, jouoit avec eux & les
fuivoit, non-feulement à l’ é b a t , mais auffi dans
les voyages. Etant un jour à Saint-Germain, elle
trouva la porte du chenil ouverte , & alla^ dans
la forêt où chaffoit l’équipage ; elle entendit les
chiens , fut à eux & les joignit au moment que
le cerf leur faifoit tête : elle prit place au milieu
d’eux & s’y tint avec affurance; mais quand le
cerf fut porté par terre > &, qu’elle fe vit entourée
des hommes & des chevaux qui arrivoient de
toute part, elle eut peur & s’enfuit. Les chiens
la méconnurent à cet inftant, & lui euffent fait
un mauvais p arti, fi en fe fauvant , elle n’eût
apperçu d’ autres chiens tenus à la harde , au milieu
defquels elle fut fe réfugier ; pour lors ou
lui donna du fecours , & d’ailleurs auffi-tôt qu elle
fe fut arrêtée , les chiens qui 1a fuivoieut s’ arrêtèrent
auffi, Sc retournèrent au cerf qu'ils ve-
; noient de prendre. Lorfqu’elle fut remife de toute
fa frayeur , on la ramena au ch en il, & depuis
cette aventure, elle n’ a pas été tentée -d’aller
trouver les chiens à la cfraffe ; d’ autant plus que
peu s’en fallut que pour fon coup d’effai , elle
ne fût la vi&ime de fa confiance & de fa curiofité.
Cette* biche ne devint pas en chaleur l’ année
u’elle fut prife ; l’année d’enfuite & dans le tems
u ru t , un valet de chiens qu’elle affe&ionnoit la
mena dans les fentiers d’Avon , à Fontainebleau,
la laiffa près d’ un gros cerf, & fe cacha derrière
un arbre. Le cerf ayant apperçu la biche , courut
à elle en criant de toutes fes forces; elle en eut
peur & revint au valet de chiens , lequel en ce
moment fe trouva d’autant plus embarraffé, que
la biche tournoit comme lui autour de fon arbre ,
& le cerf après eux ; mais enfin celui-ci donna
quelques coups d’andouillers dans le cul de la
b ich e , la pouffa devant lui & s’enfonça dans
la forêt avec elle. Le valet de chiens ayant perdu
l’ un & l’autre de vue , profita de leur abfence ,
pour revenis promptement à la maifon , fort