
Le leurre eft l ’appât qui doit faire revenir l ’oi-
feau lorfqu'il fe fera élevé dans les airs j mais il ne
feroit pas fuffifant fans la voix du fauconnier , qui
l'avertit dè fe tourner de ce côté là. Il faut donc
que le mouvement du leurre foit toujours accompagné
du fon de la voix & même des cris du
fauconnier , afin que l'un & l’autre annoncent
enfemble à l ’oifeau que fes befoins vont être
foulagés. Toutes ces leçons doivent être fou-
vent répétées , & par le progrès de chacune le
fauconnier jugera de celles qui auront befoin de
l ’être davantage. Il faut chercher à bien connoître
lecaraétere de l’oifeau, parler fouventà
celui qui paroît moins attentif à la voix 3 laiffer
jeûner celui qui revient moins avidement au leurre
* veiller plus long-tems celui qui n'eft pas
affez familier3 couvrir fouvent duchaperon celui
qui craint ce genre d'affujetiffement.
Lorfque la docilité & la familiarité ft’un oi-
feau font fuffifamment confirmées dans le jardin 3
on le porte en pleine campagne, mais toujours
attaché à la filiere, qui eft une ficelle , longue
d’une dizaine de toiles : on le découvre , & en
l’appellant à quelques pas de diftance, on lui montre
le leurre. Lorfqu’ il fond delfus 3 on fe fert
de la viande , & on Lui en lailfe prendre bonne
gorge, pour continuer de l ’affurer. Le lendemain
on le lui montre d'un peu plus loin , & il
parvient enfin à fondre delfus du bout de la filière
5 c’eft alors qu’ il faut faire connoître &
manier plufieuts fois à l’oifeau le gibier auquel
on le deftine ; on en conferve de privés pour cet
ufage } cela s’appelle donner Vcfcap. C ’eft la dernière
leçon , mais elle doit fe répéter jufqu'à
ce qu’on foit parfaitement alfuré de l’oifeau j alors
on le met hors de la filière, & on le vole pour bon.
Detems en tems le fauconnier montre à fon oifeau
des Chevaux & des Chiens , afin que dans la
fuite , quand il commencera fon v o l , cette vue
rie l’éffarouche pas.
Veut-on éprouver fi le faucon eft alfuré? il
faut peu-à-peu s'approcher de lui , Si continuer
ainfi jufqu’ à ce qu'il foit en état d’être mis
hors de filière. Cependant avant de l ’abandonner
à lui même ,. on lui donnera à tuer une poule , ,
dont le pennage approche pour la couleur de
celle de la volerie à laquelle on le deftine.
Dans cette première éducation , fi on vo it un
oifeau pantoifer & donner du bec , il faut dé-
tr-uire ces mauvaifes habitudes en l ’acharnant fpr
le tiroir. S’il fouffre impatiemment qu’on lui mette -
fon chaperon , on lui décile les yeux pendant la ;
nuit , afin qu’il voie la lumière , enfuite on cou- !
yré fa tête du chaperon comme auparavant. Sj ;
nuit ne fnffit pas pour le rendre dqcije , on
peut çn employer jufqu’ à quatre , en l’affriçn- ,
dant fans c e lfe , foit avec le p â t , foit avec le
tiroir ,• à^ la fin , ces oifeaux, fatigués de tant
d’infomnies , fe foumettent, comme on vient de
l’obferver à la fervitude du chaperon.
C ’eft encore par des privations cu’on apprend
à un faucon à connoître la voix ou la réclame de
celui qui le gouverne :on Je. fait jeûner vigouréu-
fement pendant trois ou quatre jours j on place
enfuite un poulet vivant dans quelqu’endroit
obfcur , cependant il faut que le jeune oifeau
puiffe le v o ir : on le retient fur le poing foit
en fifflant , foit en parlant, on l’enchaperonne ,8c
on lui donne enfin les parties du poulet les moins
charnues , afin de le faire tirer , & par ce moyen
le mettre en appétit.
Il ne fuffit pas que le faucon connoiffe la voix
de fon maître , il faut encore qu’il fâche quel eft
lé pât dont on a coutume de le nourrir, afin que
fitôt qu’il s’en appercevra , il fonde deflus promptement.
Pour cet effet, le fauconnier prend de
fa main droite la viande qu’il lui deftine, & l’élevant
en Pair il la montre à fon oifeau, foit
en parlant, foit en fiflantj s’il remarque qu’il
foit bien fait à la chair , il la tien t, & ne lui en
lailfe prendre que quelques gorgées j il recommence
ce petit manège, jufqu’ à ce que fon éleve
reconnoilfe le pât qu’ on lui deftine , & enfin il le
purge avec une cure de coton ou de plumes de la
groffeur d’une fève.
Pour animer davantage un faucon après le gibier
, on lui préfente jufqu’ à deux ou trois fois
un poulet j on le déchapéronne , & on lui jette
ce pât à terre, afin qu’il fonde delfus ; mais on
le retire à l’inftant qu’ il commence à s’y acharner
: tous ces exercices lui paroilfent d’abord
pénibles j mais avec le tems , il s’accoutume
à la docilité , comme à la perte de fon indépendance.
En fuppofimt le faucon inftruit à fondre fur fa
proie , & à s’en paître : il faut maintenant l’ accoutumer
à connoître le leurre.
Pour y réuflir , on y attachera de la chair,
& le fauconnier entrant dans l’endroit obfcur
ou eft l ’oifeau, lui lâchera un peu le chaperon :
il s’en éloignera enfuite de trois ou quatre pas,
& prendra le leurre à la moitié de la longe ,
qui Le tiendra attaché après ces préliminaires,
il jettera en l’air deux ou trois fois le leurre,
en appellent fortement l’ ôifeau , & lui ôtant
quelquefois fon chaperon : enfin, il fera partir
le leurre d’un peu loin , & le faucon animé par
fa voix , commencera à lui obéir.
Si le faucon faute fur le gibier , il faut le lui
laijïer déchirer à ion gré , & même lui applaud
k j foît en parlant, foit en fifflant : on le j
prend enfuite avec la chair qui tient au leurre ,
on le remet fur le poing , & on l’enchape- J
ronne.
Dès que le faucon connoît le leurre dans un
lieu obfcur , & qu’ il fond indifféremment fur le
gibier mort ou vivant , on le porte dans une
plaine deftituée d’arbres pour répéter fes exercices.
Là 3 on attache le poulet au leurre & le faucon
à la longe : on defferre un peu le chaperon
de l’oifeau, & on le laiffe s’y jetter quelques
momens : on s’éloigne de quelques pas j on fait
en forte que l’oifeau fe déchaperonne, après quoi
on prend le leurre & on le jette en l’air en
criant fortement : fi l’ oifeau fond encore fur le
poulet, on fouffre qu’il s’acharne fur la cervelle,
& on l ’anime par des cris concertés.
Après avoir leurré l’oifeau pendant deux ou
trois jours au grand air , quand on voit qu’ il
revient de fon gré fur le poing , au lieu de quatre
pas, on s’éloigne de dix ou douze en lui montrant
un petit oifeau attaché au leurre : chaque
Jour on s’écarte de plus en plus, & chaque jour
auffi on s’apperçoit du fuccès de l’éducation.
Pour achever de rendre le faucon un oifeau
de créance 5 on commence par lui faire obferver
la diète , afin de le rendre plus avide au leurre>
enfuite le fauconnier à cheval, tient fon oifeau
attaché à la filière, de façena que rien ne contraigne
fon vol : il s’éloigne à vue de faucon &
donne Le fignal pour que fon oifeau fe déchaperonne
un peu j quelques momens après il jette
en l’ air le leurre , & quand l’oifeau , tout-à-fait
déchaperonné, vole & fe trouve à environ huit >
pas de diftance de lu i , il le rejette une fécondé
fois : fi l’oifeau s’y attache, il defcend de cheval
& le laiffe paître à fa volonté. >
Quelques jours après on fait .le même exercice
, mais en ôtant la filière au faucon j cet
oifeau exécute alors en liberté ce qu’il exécutoit
auparavant comme un inftrument fervile des v o lontés
de fon maître.
Quand le faucon eft affaité ,v on lui met des
fonnettes plus ou moins grofl'es, félon qu’il eft
plus ou moins courageux. Après l ’avoir ainfi
armé , on lui fait répéter tous fes premiers exercices
: animé par la voix du fauconnier, on le
voit alors battre des ailes & commencer à fe
luouvoir fur le poing : on le déchaperonne à
1 mftant & on lui laiffe prendre un libre effor-', •
on jettë le leurre à contre-vent & on rappelle
fon oifeau à haute voix : s’il v o le , hardiment
contre le v en t, il faut defcendre de çheyal &
le laiffer s’acharner fur le tiroir.
Mais fi le faucon trop quinteux ne veut pas
s’élever du poing , & qu’ au contraire il vole à.
terre , on le corrige de ce défaut en allant au-
devant de lu i , & en l’épouvantant avec une
baguette.
Quelquefois on force l’oifeau à prendre fon
effor avec‘ étendue , en le conduifant dans un
■ endroit fréquenté par des corneilles & des étourneaux
, & en le forçant de leur donner la chaffe :
on prend auffi un canard j on le préfente au faucon
, en l’appellant à haute voix : on le jette du
côté que vole l’oifeau de p ro ie , & s’ il arrive
que le faucon lui donne des avillons, on lui
permet de s’en paître à loifir , & même on
l’encourage.
Quand le faucon paroît bien dreffé , on le cure
pour l’attacher au leurre , & le faire revenir au
poing , même fans y être convié. Si la graiffe
rend cet oifeau pareffeux à voler , on l’effime
par des cures qui lui reviennent.
Quand le faucon fait fondre fur le gibier &
l’avillonner , on prend du coeur de veau, ou du
foie de poulet, on le met dans un oifeau qu’on
fend tout vivant en quatre , afin de l’imbiber du
fang de cet animal mourant, & on donne ce
nouveau pât au faucon , tandis qu’ il eft acharné
à la cervelle & aux entrailles de fon gibier.
Quelquefois le faucon veut dérober fes fonnettes
; quand on s’en apperçoit, il faut le veiller
dans fon effor & le rappeller au leurre : s’il
retourne de bon gré fur le poing de fon maître ,
on l’affriande & on l’acharne au tiroir : cette
méthode , en le mettant de bonne humeur, lui
fait oublier qu’ il fut libre un jo u r , & qu’ il ne
tient à chaque inftant qu’ à lui de le devenir
encore.
On remarque que les faucons & les gerfauts
font plus fujets à faire des fuites que les fecres
& les laniers : voici comment on les rappelle}
on refte fur,le lieu ou l’oifeau veut s’écarter,
& on obferve s’il rentre , ce qu’ il fera , fans
doute , fi c’ eft un habile fauconnier qui conduit
la manoeuvre [: on pique enfuite après l’oifeau
en le leurrant toujours j, & le rappellant avec
du v i f , pour le lui donner au moment qu’il
rentrera. On réuffit mieux par ce moyen qu’en
lui faifant prendre un nouveau vol.
Les faucons tombent encore dans un défaut
effentiel, c’eft de charrier leur gibier : ce défaut
leur vient de l’excès de leur faim ou de leur
haine pour les chiens qui les ont offenfes : il faut
dans le dernier cas contenir avec force les chiens
dans leur devoir 5 & dans le premier, jetter au
faucon un poulet ou une perdrix morte attachée
à une filière.