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content d’être délivré d’un galant fi peu courtois, i
L ’entrevue du c e r f 8c de la biche ne fut pas ^
longue, celle-ci étant revenue d’elle-même au
chenil deux heures après le valet de chiens, il
n’y eut aucune fuite de cet enlevement. A la
fin de décembre de l’année fuivante , cette
même biche , qui pour lors avait p’us de deux
ans & demi 3 fortit du chqpil de Saint-Germain ,
& fi.it fe promener dans f„Ia forêt * *; elle paffa
la nuit : un valet de chiens »allant la chercher
le lendemain, la trouva fous une. futaie, près
d’ un cerf à. fa quatrième tête. Quand elle apper-
çut le valet de chiens, elle vint à lui & le fui vit 5
mais à moitié chemin de la maifon 3 il plut à
la demoifelîe de quitter fon guide & de retourner
à fon cerf 3 avec lequel elle fe trouva fi bien*
qu’elle ne revint au chenil que le fur-lendemain
matin. On ne fit aucune attention à la caufe de
cette abfençe, ce ne fut que long-rems après
qu’ on s’apperçut que le ventre de la biche étoit
plus gros que de coutume, & qu’il groffiffoit même
de jour en jour : elle étoit pleine enfin , & elle le
prouva , en faifantune autre biche dans le chenil
a la fin d 'A oû t, huit mois après fa vifite au ce f
de Saint-Germain. La mere y éleva fon faon juf-
q.uà l’ àg© de fix mois , l’unè & l’autre mangeant
avec les chiens* fans en recevoir , aucun mal 3
mais iun accident arrivé à la meute , vint tout-
à-coup troubler la tranquillité &' le- bien-être
de cesmalheureufes bêtes 5 un chien de l’équipage
devenu enragé , mordit r.on-feuîement plufieurs
de fescamarades, mais mordit auffi la grande biche,
au moyen de q u o i, pour prévenir tout danger ,
les chiens furent condamnés à la chaîne , & les
biches à être tuées. Telle, a été la fin de ces
deux b ê te s , lefquelles, comme on vient de le
v o ir , s’étoient très-bien accoutumées à vivre
avec les mortels ennemis de leur efpece.j au
re fie , elles n’ont pas été regrettées dans l’ équipage
, par la raifon qu’elles n’y caufoient que
de l’embarras : quand la grande pouvoit fo r tir ,
elle couroit par-tout & dévaftoit les jardins des
environs ; il fallôit outre cela , un homme pour
la conduire dans les voyages, & fouvent elle lui
échappoit lorfqu’ elle Voyoit une pièce de grains
à fa portée. 11 lui arrivoit fouvent aufii de battre
à coups de pieds les chiens qui lui déplaifoient
ou qui l’ incommodoient, & elle en a même eftro-
pié plufieurs : elle faifoit du mal enfin & n’étoit
bonne à rien : aufii n’ a-t-on pas été tenté d’en
élever d’autres dans les meutes.
Une trop grande quantité de biches eft très-per-
nicieufe : premièrement elles défolent le cultivateur,
elles nuifent beaucoup à la chaffe j & il eft
certain & prouve qu’elles banniffent les gros cerfs :
il eft donc effentiel de ne les pas laiffer trop multiplier.
On d it , 8c avec raifon , que ce font les
biches qui font les cerfs : mais fi on en laiflTe trop
accroître le nombre, on travaille pour fes vob
fins * parce que * dans un pays trop peuplé * lés
ce f s défertent dès qu’ ils font dix-cors jeunement.
Il faut donc calculer à peu-près la quantité de
biches néceflaires pour remplacer le nombre de
cerfs que l'on prend chaque année dans un pays ,
quand il eft déjà fuffifamment garni 5 8c faire tuer
tous les ans ce qui s’y reproduit de furplus : mais
lorfque Ton veut tuer des biches, la manière dont
on s’ y prend , n’eft pas du tout indifférente.
Si on fait des battues , ou feulement une alfem-
blée de gardes avec des chiens, on tue peu d’animaux,
on les effraie 8c on le« bannit tous : les
biches reviennent quelque tems après ; mais les
cerfs , gros 8c petits , font perdus pour le pays.
Une meute de chiens courans qui chaffent hab -
tuellement dans une fo r ê t , n’effraie pas les animaux
comme deux jours de chaffe des gardes avec
leürs hourets. Les gardes peuvent tuer les biches
à la furprife ; il n’y en a pas un q u i, .dans le courant
de l’année * ne ptiiffe en tuer deux , trois ou
quatre fur fon canton , fans fe donner beaucoup
de peine, lin e faut pas fouffrir une feule biche
dans les buiffons qui font aux environs d’ un grand
pays. Les gros cerfs s’y retirent au printems ; s’ ils
y font tourmentés par la harpaille , ils s’éloignent
de proche en proche , au point qu'ils abandonnent
le pays : au lieu que , s’ ils y font feuls Sc
tranquilles, ils y relient, 8c avec plus d’avantage
pour la chaffe que s’ils étoient en pleine forêt.
Chajfe du cerf.
La chaffe du cerf eft fans contredit la plus belle
des chaffes aux chiens courans , comme elle eft
aufii la plus favante 8c la plus difficile. Elle demande
, des connoi fiances très - étendues &
très - variées , 8c elle exige de plus un appa reil
d'hommes, de chevaux 8c de chiens dreffés
à combiner leurs mouvemens 8c à réunir les effets
de leur intelligence. Ces connoiffances ne peuvent
s’acquérir que par l'expérience * 8c il faut etre
fort riche pour entretenir un équipage.
Manière de juger le cerf.
On jlfge le cerf par le pied & les allures , par les
foulées, & les portées , par les manoeuvres noEiurn.es ,
quand il va aux gagnages ou quand il fe rembûche
, 8c fur-tout par les fumées.
Ces connoiffances font fufceptiblés d’obferva-
tions que l’expérience feule peut enfeigner ; elles
varient félon les faifons , félon la nature de l’animal
qui a une conftitution plus oif'moins fo r te ,
plus ou moins grande , félon les cantons dans
lefquels, il eft né , félon ceux dans lefquels il
habite.
Du pied & des allures.
La çonhoiffance du pied 8c des allures varie
félon
c E R
félon la conformation de l’animal : un cerf , grand
de corfage , aura les allures plus grandes^Sc ordinairement
plus de pied qu un autre cerf du même
âge qui fera d’une efpèce plus pente. : ces variétés
font occafionnées par la qualité des. nourcitures
& du fol. Les cerfs qui habitent les pays de
plaines bien cultivées, ou plutôt les grands bluffons
entourés de bons gagnages, ont ordinairement
plus de pied, 8c font plus grands de corfage
que ceux qui habitent les grandes forets ; ces
derniers font toujours les plus petits de corfage ,
ont le moins de pied , & pouffent de moins belles
têtes. Les cerfs qui habitent un pays dont le fol
eft dur, comme les pays de pierres 8c de rochers ,
ont les. côtés , les pinces , le talon, plus ufes
que ceux qui marchent ordinairement fur un ter
rain doux ; les pays marécageux confervent le
pied, font même renfler la corne , les cotes ne
s’ufent pas, ils relient tranchans : on appelle ces
pieds, pieds de gondole , parce que les cotes rentrent
vers la foie qui eft tres-creufe > de forte que
dans un terrain dur, ne revoyant que desegrati-
gnures , on eft fouvent tenté , au premier coup-
d 'oe il, de laiffer aller ces ce f s pour des biches.
Un veneur fe tromperoit fouvent, fi pour juger
un cerf 3 il ne s’attachoit qu'à la groffeur du pied
,8c à la grandeur des allures : il eft donc effentiel
qu’il commence à fe mettre au fait , non-feulement
de la nature du pays dans lequel il va au
b o is , mais même des pays circonvoifiris , fur-
tout s’ il travaille dans unê grande fo rê t, dans laquelle
il peut y avoir deux ou trois différentes ef-
pèces de cerfs.
Il eft très-difficile de faire connoître les progreffions
de connoiffances d’ un jeune cerf à un gros :
on va., autant qu’ il fera poffible, donner un détail
des deux extrêmes : l’ufage en fera diftinguer
les nuances. Comme le daguet n'a pas encore de
façon de fe juger affez déterminée , je ne parlerai
que de la fécondé tête : fon pied fe aiftingue fort
bien de celui d’une biche par la forme 8c par la
groffeur j mais il a les côtés tranchans, les pinces
pointues , de forte que fur un terrain ferme , on
ne revoit que d*un ovale tracé ; le bout des pinces
n’eft qu’un peu plus marqué ; les pinces du pied
de devant font prefque toujours ouvertes > le talon
eft gros 8c arrondi j le pied de derrière aufii
gros que le pied de devant j les os menus 8c tranchans
, & à une telle diftance du talon * que Tonf
place très-aifément deux doigts entre la j^mbe 8c
le talon , ce que l’on nomme haut - j o in t é Ses
allures font un peu croifées, mais irrégulières
pour la longueur $ la longueur de fes allures eft
moins de deux femellés. Pour mefutet les allures
d’ un c e f , mettez votre talon à la pointé des
pinces d’ un de fes pieds de devant ; ajoutez l’autre
pied au bout de celui-là j le cerf à fa fécondé tête ,
n’ a pas tout-à-fait la longueur de vos deux pieds
réunis, ou de deux femelles de diftance de l*un
Chasses.
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da fes pieds de devant au talon de l’autre pied de
devant. Sa façon de marcher eft irrégulière,
fon pied de derrière fe met indifféremment derrière
, à côté ou dedans celui de devant. Le cerf
dix-cors a les côtés , les pinces , le talon ufés ,
les pinces bien fermées j fa marche étant ? plus grave, il pefe fur lés pinces , de forte quelles
font beaucoup plus marquées que le refte du pied ;
le talon s’ ufant devient prefque de niveau avec la
foie , qui n’ eft plus débordée , ou prefque plus ,
par les côtés. Ses os ufés 8c groflis, s’éloignent
l’un de l’autre 8c fe rapprochent du talon i on ne
peut plus y placer que le travers du pouce. Ses
allures font bien croifées , toujours égales quand
il va d’affurance ; elles ont plus de deux femelles
ou deux femelles'8c demie , félon la grandeur de
l’efpèce ; le pied de derrière qui eft plus petit
que le pied de devant, eft toujours ou prefque
toujours placé les pinces fur le talon du pied de
devant ; quelquefois même il le touche à peine ,
fur-tout quand les cerfs font très-gras.
Ces connoiffances générales des deux extrêmes
.fo modifient par des nuances progreflives : on font
combien il feroit difficile de les défigner pofiti-
vemenr pour chaque âge ! il n’ y en a que trois
intermédiaires , la troifième tête , la quatrième
tê te , 8c le dix- cors, jeunement : je ne puis que
renvoyer à l’ufage 8c à l'expérience, pour acquérir
des connoiflances pofitives fur ces différens
degrés.
Cependant , il y plufieurs obfervations qu’ il
eft néceffaire d'indiquer. La première 8c la plus
effentielle eft celle du pied de derrière -, le pied
de devant augmente en groffeur & en étendue ,
jufqu’à ce que le cerf foit dix-cors ; mais le pied
de derrière a acquis à peu-près tout fon volume,
lorfque le cerf a fa troifième tête ; ou pour mieux
dire , fi le. pied de derrière , à un tems quelconque
, éprouve encore quelque progreffion , elle
eft infiniment moindre que celle du pied de devant
i de forte que la taille d'un cerf doit être
jugée en raifon de la différence de groffeur du pied
de devant à celui de derrière : un cerf à fa troifième
tête a autant dé pied de derrière que de
devant ; 8c lé cerf dix-cars a très fenfiblement le
pied de derrière plus petit que celui de devant.
Cette connoiffance eft la plus certaine , en ce
qu’elle eft propre à toutes les efpèces de cerfs ;
elle ne dépend ni du fol , ni de la qualité du terrain
, ni de l’efpècé particulière de chaque individu.
Ainfi on trouvera un cerf qui aura beaucoup
de pied, les allures grandes , 8c même- les côtés
ufés ; fi le pied de derrière eft auffi gros ou à peu-
près auffi gros que celui de devant, ce. fera un
cerf de grande efpèce, mais qui n'aura que fa
quatrième tê te , ou au plus fera dix-cors jeune-
1 ment , 8c pat la même raifon un mauvais pied