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U peau à moitié détachée flotté d’abord par lambeaux;
les endroits de la tête qui font découverts,
font alors blancs ; le cerf achève bientôt de la nettoyer
j 8c elle prend une couleur rouffe quiferem-
brunit peu - à -peu. Lorfque la tête elt parfaitement
dépouillée 8c qu’elle a pris une première
teinte on dit que le cerf a frayé bruni.
Les cerfs ont indifféremment la tête blanche-ou
grifàtre , rouffe, brune & noire; il eft affez difficile
de rendre raifon de la caufe de ces différentes
nuances. Quelques veneurs ont cru 8c
croient que cela dépend de la nature des arbres
contre lefquels ils fe frottent; ; que les hêtres 8c
les bohleaux font les têtes rouffes : les chênes , les
brunes : les charmes & les trembles, les noires.
Que cette opinionfoit fondée ou non, il n’en eft
pas moins vrai que la partie aqueufe de l’ arbre enduit
la tête du cerf d’une efpc-ce de vernis qui la
colore. C e qui vient à l’appui de cette opinion,
c ’eft que la tête du cerf n’eft jamais plus fortement
nuancée que dans le commencemeut de feptembre.
Les approches du rut agitent alors l’ animal ; il fe
jette fur les cépées avec fureur , il les brife avec
fa tête , & la fève d’août dont le bois eft encore
rempli , ajoute une nouvelle nuance à celle qu’elle
avoit déjà. D’ailleurs, les vieux cerfs ont ordinairement
la tête plus fortement nuancée, par une
raifon qui confirme encore celle-ci ; ils ont les perlures
plus groffes & plus multipliées : ils doivent
donc prendre 8c retenir une plus forte dofe de ce
vernis colorant.
Les perlures font des inégalités perlées qui font
le long du marrain & des andouillers ; les pierrures
font les mêmes inégalités fur les meules ; elles font
les unes & les autres formées par des vaiffeaux fan-
guins qui ont nourri la tête. La peau qui enveloppe
le re fa it, couvre & contient tous ces vaiffeaux
fur la fuperficie du marrain : comme il n’ eft
d’ abord formé. que d’une fubftance molle , ces
vaiffeaux y reftent empreints , & le fîllonnent félon
le cours qu’ ils ont eu ; ils fe divifent à l ’infini,
& fe croifent dans tous les fens. Quelques - uns
piüs gros partent de la meule & fe prolongent le
.‘"long du marrain & des andouillers, jüfqu’ à l’em-
paumure où ils fe ramifient : ces derniers laiffent
des cavités longitudinales que l’on nomme gouttières.
Tous ces vaiffeaux s’atténuent 8c deviennent
à rien en approchant-de l ’extrémité des andouillers
: ils n’y laiffent aucune tra ce , 8c c’eft
par cette raifon que la pointe en eft liffe , fans.per-
lures 8c toute blanche. Lorfque la production eft
complète', ces vaiffeaux ne recevant plus de fubftance
fe flétriffent 8c la peau fe defsèche : le cerf
éprouve probablement alors des démangeaifons
qui l'engagent à la dépouiller , & il y a apparence
qu’il trouve pendant quelque tems un certain
plaifir à fe frotter contre les arbres.
Lorfque les cerfs ont touché au bois & frayé'
bruni, la végétation qui a produit le re fa it, ne
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( ceffe pas tout - à - fait ; il refte dans l’ intérieur
; du marrain 8c des andouillers, une efpèce de
j moelle ou fuc nourricier, qui fe confolide & fe
j defsèche peu - à - peu , 'jufqu’ au moment où une
j sève nouvelle prépare une nouvelle production,
j II eft à préfumer que cette moelle procure la fen-
j fibilitéque je fuppofe devoir exciter lés cerfs à le
j frotter contre les arbres. On remarque toujours
| dans l’ intérieur du marrain 8c dans les andouillers
! des gros cerfs fur - to u t , les canaux conducteurs
j 8c confervateurs de cette moelle : on ne les obferye
que jufqu’après des meules qui font pleines ; ils
| font moins fenfîbles 8c moins abôndans dans la
j tête des jeunes cerfs.
La tête d’un gros cerf ayant befoin d’ une nour*
ritureplus abondante, les vaiffeaux qui la four-
niffent, font plus volumineux ; les niions qu’ils
! tracent extérieurement, plus grands 8c plus pro-
; fondément gravés : c’eft pour cela que les gouttières
font plus creules , les perlures plus groffes
8c plus faillantes. Les jeunes cerfs , au contraire,
ont la têteprefque liffe , fans perlures , 8c par con-
féquent blanchâtre, parce que les vaiffeaux étant
plus déliés , ne laiffent que très-peu de traces.
Lorfqii’une tête a pouffé beaucoup en hauteur ,
elle eft ordinairement moins perlée parce que
l’extenfion des vaiffeaux a diminué leur volume.
C e tte tête aufli , eft pour l’ordinaire plus grêle :
c ’eft-à-dire, les meules font moins groffes .& le
marrain moins nourri ; 8c par une fuite de confe-
quences , une tête baffe a les meules plus groffes ,
le marrain plus perlé, quoique ce cerf te it a-peu
près du même âge qüe le premier. La vigueur de
cette production dépend de l’état phyfique de
l’animal. Les cerfs enfermés dans des parcs, où.
ils ont peu ou point de gagnages , pouffent des
têtes moins vigoureufes 8c d’une teinte moins
foncée ; il en eft de même des cerfs qui habitent
lé centre des grandes forêts , 8c qui fréquentent
peu les plaines. En général, un cerf qui p a t it , ou
mêmequi n’a pas une nourriture abondante, pouffe
une tête maigre 8c grêle. Il
Il y a des cerfs qui pouffent des têtes imparfaites,
que l’on nomme bigarres ; c’eft quelquefois la
vieilleffe qui eft la caufe de cette difformité I parce
que ranimai manque de force pour perfectionner
cette Opération. La tête n’ eft alors qu’un affemblage
informe de bougons & ^andouillers tronques;il
arrive même que cette bizarre production ne vient
pas à maturité , mais cela eft très- rare ; il faudroit
que le eerf fût dans la plus extrême décrépitude.
Des cerfs dans la force de l’âge pouffent quelquefois
des têtes bizarres , parce que le refait a ete
bleffé & brifépar queJqu’accident : rien n’ empêèhe
que ce cerf ne pouffe une tête bien faite 1 année
d’après : mais fi le pivot eft endommage , le cerf
pouffera toujours une tête bizarre , parce qu il fe
fera un épanchement-des fues nourriciers , qui dérangera
leur cours naturel. Quelquefois les tetes,.
fans être difformes , ont des bizarreries, coftime un
«u plufieurs andouillers de I’empaumure -tombant
en arrière : l’empaumure plate comme la palette
d’un daim, 8c renverfee ; ils ont quelquefois meme
aufli le marrain tout plat. On a vu des têtes de cerf
dont les deuxmarrains étoient plats depuis la meule
jufqu’à l’empaumure , & l’empaumure formoit un
godet qui auroit tenu la valeur d’ un verre d’eau :
les empaumures plates 8c fur-tout les marrains
plats, font prefque toujours desfignesde vieilleffe.
Lorfque le cerf a touché au bois , il faut nécef-
fairement qu’ il éprouve une révolution : la fubftance
qui a fervi à la production de fa tê te , n’eft
pas épuifée ; elle eft au contraire alimentée par
une nourriture plus fubftantielle que jamais , puif-
que c’ eft alors que les grains font dans leur maturité.
Ne pouvant donc pas être anéantie, la nature
ne fait que changer d’intention, & cette furabon-
dance devient prolifique : c'eft par cette raifon ,
que le cerf qui a achevé de pouffer fa première
tê te , à l ’âge de quinze oufeize mois, eft en état
d’engendrer à dix-huit mois, ou du moins, les apparences
le font croire.
En fupprimant les parties de la génération, cette
aClion elt annullée dans fes deux effets, cependant
pas aufli pofi rive m ent, ou pour mieux dire , pas
aufli fubitement dans l’un.que dans l’ autre ; car fi
l ’on fait l ’opérationà un cerf qui a mis bas , tous les
apprêtsétant faits pour la production, le cerf pouffera
une tête ; elle croîtra même prefque jufqu’à
fa hauteur : mais la nature manquant d’énergie
pour la porter à toute fa perfection , la peau qui
l’enveloppe , fe defsèche 8c refte adhérente fur
la production imparfaite qui fe fane & fe flétrit. Tel eft un arbre que l ’on abat lorfque la sève eft
montée ; quoiqu’il ne tienne plus à la terre , il
pouffe des feuilles. Cependant fi l’on faifoit cette
operation depuis que le cerf a touché au bois ,
jufqu’au mois de janvier , il ne mettroit pas bas.
Le rut eft une effervefcence quel’ animal éprouve
naturellement, 8c fans être excité par les approches
des biches. Les ce f s enfermés dans, des parcs
& privés de biches , entrent en rut au tems marqué
, 8c fe manifeftent comme les cerfs libres,,
par des cris & des impatiences furieufes; une
biche cependant qui fe trouveroit être en r u t ,
lonç-tems après que celui des cerfs eft .fini, réveil-
leroit cette effervefcence.
On en a un exemple : une biche qui avoit ete
élevée dans le chenil au milieu des chiens , n’avoit
pas été en rut au mois de feptembre ; à la fin de
décembre fuivant , on en apperçut quelques indices
: elle s’échappa dans la forêt 8c on la v it pendant
deux ou trois jours avec un eerf à fa quatrième
tête* on, ù y fit aucune attention, parce
qu’elle étoit affez accoutumée à faire de ces
courfes; mais elle revenoit au chenil, quelquefois
après cinq ou fix jours d’abfence. C e ne fut
que vers le mois d’août que l’on s’apperçut qu’elle
étoit pleine, & à la fin au mois , elle mit bas un
faon femelle qui fut aufli élevé dans le chenil.
Malgré cet exemple qui eft inconteftable, il eft
certain qu’un cerf qui feroit dans le travail de fa
çête, n épouveroit en pareille circonftance que des
defirs infructueux.
Les cerfs commencent à reflentir les approches
du rut dès la fin d’août. Ils font plus de chemin
dans leur nuit ; ils vont d’ un buiffon à un
autre ; ils deviennent inquiets ; on s’apperçoit
à leurs fumées de ce commencement d’effer-
vefcence , elles font toutes détachées 8c deviennent
plus sèches dans les premiers jours de feptembre
; on eh entend quelqiies-uns jetter un
ou deux cris dans le courant de la nuit ; ils
grattent la terre avec le pied ; ils frottent leur
tête contre les cépées ; ils mettent le nez à terre
le long des routes & des chemins ; ils fixent
tous les objets qui les frappent ; ils traverfent
des plaines, des rivières même affez confidérables,
8c fouvent en plein jour ; ils rentrent dans les
grandes fo rê ts , ils y abondent de tous côtés :
cette multitude de cerfs dont les grandes forêts
font remplies dans le moment du ru t , eft une
chofe extraordinaire ; on ne peut imaginer d’où
ils viennent,-'Il s’établit un rut dans tous les
endroits où il y a des Biches.
Il eft bond’obferver que dans les pays.clairs,
où „les animaux font ordinairement plus nombreux
8c plus à portée de fe v o ir , les cerfs fe
fatiguent 8c s’exténuent beaucoup plus que ceux
qui font leur rut dans les-pays foui rés 8c de
groffes demeures ; ces derniers n’etant pas continuellement
inquiétés 8c excités comme le font
les autres , fe repofent pendant le jo u r , 8c
quittent même fouvent les Biches , pour ne les
rechercher qu’au coucher du foleil ; de forte
qu’ il s’en trouve qui font aufli vigoureux & qui
fe font chafier aufli long-tems que dans d’autres
faifons. Cela prouve que c’eft moins l ’aCtion du
rut qui les fatigue , que le tourment continuel
dans leauel ils font dans les pays clairs pour
écarter les autres cefs 8c raflembîer les Biches.
Les mêmes cerfs reviennent ordinairement tqus
les ans faire leur rut dans les mêmes pays. On
a vu pendant neuf ou dix ans de fu ite , à
Foffe-repofè près Verfailles , un c e f qui avoit
la face & les quatre pieds blancs ; il venoit de
la haute forêt ou des bois de Boiffy. On l’ a
vu plufieurs fois pafler & repaffer la rivière
près la machine de Myrîy ; on ignore Quelle a
été fa fin , on fait feulement qu’il étoit boitei x
la dernière fois qu’ on l’a vu.^ Il a été défendu
| qu’on le chaffât, afin de eoniervei cette race,