
indignation. Le siège d’Oneyzah, les dernières nouvelles que
l’on en reçoit, les conjectures, les espérances et les craintes relatives
à son issue reviennent sans cesse dans la conversation.
A Djowf, nous avions déjà entendu parler du grand événement
qui menaçait d’augmenter d’une façon inquiétante l’empire
wahabite. Ici tout s’effaçait devant cette unique préoccupation;
chacun commentait les fréquentes visites faites à Télal par les
chefs d’Oneyzah et les nombreuses audiences qui leur étaient
données dans les appartements d’Abdel-Mahsin. Afin de rendre
l’enchaînement des faits plus intelligible pour le lecteur, je crois
utile d’exposer brièvement la situation du Kasim et de relater
les circonstances qui amenèrent les événements profondément
regrettables de 1862 et de 1863.
Quand Feysul, le monarque actuel du Nedjed, revint pour la
troisième fois dans sa patrie, en 1843 ou 1844, — je né*suis pas
sû r de la date précise, — la riche et populeuse province du Kasim
fut pour lui un puissant auxiliaire ; elle lui fournit une aide
efficace pour ré ta b lir son autorité et balayer les derniers restes
de l’occupation égyptienne. Les habitants de ce district, poussés
p lu tô t p a r leu r haine contre les pachas d’Égypte que p a r leur
sympathie pour lesNedjéens, avec lesquels ils avaient souvent
été en guerre, saisirent l’occasion de s’annexer au g rand empire
wahabite. Ils consentirent à payer un trib u t annuel, et à fournir
u n contingent de troupes quand les circonstances l’exigeraient,
mais à la condition qu’ils garderaient leurs chefs indigènes,
le u r administration municipale, e t léurs coutumes particulières.
Ce nouvel état de choses dura sept ou huit années. Pendant ce
temps, Feysul avait étendu sa domination su r les provinces centrales
de S edeyr, Woshem, Ared, Yemamah, Harik, Afladj, et
Dowasir, conquis l’Hasa et le Katif, et porté ses armes victorieuses
ju sq u ’aux île sB ah ra in . Il sentit alors la couronne assez
affermie su r sa tête pour étouffer les libertés du Kasim, en r é duire
la population au degré de servitude qui est le partage lé gitime
de tous les infidèles, c’est-à-dire de l’humanité en tiè re ,
sauf les Wahabites eux-mêmes.
Le premier moyen employé pour atteindre ce but fut la destruction
des grandes familles qui, de temps immémorial, avaient
gouverné le Kasim. Les deux villes les plus considérables de
cette province étaient Bereydah et Oneyzah, dont les chefs exerçaient
une influence incontestée sur les cinquante ou soixante
cités ou villages dispersés dans le pays. Les nobles de Bereydah,
parmi lesquels se trouvait notre ami Abdel-Mahsin, appartenaient
à la famille des Aleyan, les chefs d’Oneyzah à celle des
Ateyah. Bereydah avait moins d’importance qu’Oneyzah qui,
jadis son égale, l’emportait maintenant sur elle, par le nombre
et la richesse. On comptait dans la première vingt ou vingt-cinq
mille âmes seulement et trente mille au moins dans la seconde.
Ce fut donc contre Bereydah que Feysul tourna ses premiers
efforts, la regardant comme une proie facile.
Il chercha querelle aux chefs Aleyan et les fatigua par d’incessantes
incursions, que commandait son fils aîné, l’habile, mais
féroce Abdallah. Des attaques irrégulières, entremêlées de trêves
illusoires, ruinèrent le commerce de la ville, et les nobles, sentant
leur infériorité dans la lutte, en vinrent à désirer ardemment
la paix. En réponse à de nombreuses ambassades, Feysul leur
envoya dire, non par Abdallah, dont la position d’héritier présomptif
communique un caractère officiel à tout ce qui se passe
en son nom, mais par un autre de ses fils, Mohammed, qu’il
leur pardonnait et les priait de venir à Riad conclure un traité
avantageux pour les deux partis. Les Aleyan, qui flairaient le
piège, demeurèrent quelque temps irrésolus. Cependant l’offre
d’un sauf-conduit, l’assurance d’un traitement honorable, et une
invitation d’Abdallah lui-même, dans laquelle il prenait solennellement
Dieu à témoin que sa parole ne cachait aucune perfidie,
finirent par vaincre leur hésitation. Dans un jo u r de malheur,
Oley, chef de Bereydah, qu’accompagnaient deux de ses
fils efiplusieurs proches parents, partit pour Riad, sous la conduite
de Mohammed.
Dix jours de marche séparent Bereydah de la capitale du Nedjed.
Dans toutes les villes où ils s’arrêtèrent, les nobles Aleyan
furent reçus avec"de'grands honneurs; enfin ils atteignirent
Riad, où, à leur grande surprise, ils ne trouvèrent personne à
l’entrée de la ville pour leur souhaiter la bienvenue. Mohammed
s’excusa, disant que son frère Abdallah était sans doute occupé
à leur préparer un appartement convenable et qu’ils le trouveraient
à la porte du château. Quels que fussent les soupçons des
victimes, il était trop tard pour tenter de fuir, ou imposer des
conditions. Entourés par une foule de farouches Wahabites, les