
vance de notre côté, nous ne manquons pas alors de l’arrête r
un moment pour causer, voire même pour fumer une pipe, si
ses principes ne sont pas trop rigides.
Midi cependant approche, et la chaleur croissante nous avertit
de songer au retour. Nous reprenons le chemin de la ville, en
longeant à l’aventure les fossés, jusqu’à ce qu’une porte se présente
à nos regards.
Mohammed et Ibrahim, les prétendus Mecquains logeaient
dans une maison voisine de la nôtre. Us venaient souvent nous
voir, nous fatiguant de leurs basses adulations, afin de soutirer
quelques aumônes ; puis, dès que nous avions le dos tourné, ils
nous tra ita ie n t d’infidèles, de gens suspects et dangereux. Mais
ils perdaient leurs peines, ca r en répandant le bru it que nous
étions hostiles à l’ordre de choses actuel, ils p révenaient lesKa-
simites en notre faveur.
Les pèlerins persans, instruits de l’arrangement que nous
avions conclu avec Abou-Eysa, nous faisaient aussi de fréquentes
visites. C’était pour nous chose fort amusante que d’entendre ces
étrangers déblatérer contre l’Arabie et vanter avec enthousiasme
le u r te rre natale, dont ils traçaient un tableau féerique. Quelques
uns, ayant séjourné longtemps à Bagdad, p arla ient couramm
ent la langue arabe, et nous nous plaisions à discuter avec
eux des questions de litté ra tu re et d’histoire.
En ma qualité d’ancien officier des Indes, je suivais avec un
vif intérêt les opérations militaires dirigées contre Oneyzah; je
me rendis même plusieurs fois au camp des Wahabites, afin
d’étudier de plus près la tactique arabe. Les tentes de l’armée
assiégeante avaient une apparence des plus misérables; elles
étaient formées presque toutes de lambeaux d’étoffe noire, soutenus
p a r deux ou trois pieux, à la façon des Bohémiens. Mais
des faisceaux de lances et de fusils étincelaient au soleil, et l’on
voyait partout des soldats nedjéens, à la mine sombre e tfiè re .
Chaque tribu, chaque province campaient séparément, nous apprîmes
bientôt à les distinguer les unes des autres ; les mousquets
dominaient parmi les guerriers du Woshem, les dagues et les
sabres parmi ceux de l’Afladj, les lances parmi les hommes du
Sedeyr. Les forces du Nedjed central étaientdéjà rassemblées en
partie sous les murs d’Oneyzah ; mais les provinces de l’est et
du sud, n ’avaient pas encore envoyé leur contingent; Feysul
avait résolu d’épuiser p a r une guerre de partisans les ressources
des Kasimites, se réservant, lorsqu’il ju g e ra it le moment favorable
pour frapper un coup décisif, de lancer contre la ville assiégée
ses troupes d’élite e t son artillerie. Aucun h ab itan t de
Bereydah ne s’aventurait au milieu des tentes nedjéennes après
le coucher du soleil, et souvent même pendant le jo u r, la prudence
faisait une loi d’éviter les farouches représentants d’une
haine à la fois religieuse et nationale, les implacables sectaires
qui poursuivaient dans Zamii l’ennemi du Coran, le protecteur
du tabac et de la soie, non moins que le chef d’Oneyzah.
Quand nous passions auprès des lignes wahabites, les soldais
nous saluaient d’un air désobligeant et maussade, sans jamais entamer
la plus courte conversation ; nous n ’étions pas des Nedjéens,
donc nous étions des infidèles. La mauvaise humeur de ces
pauvres diables était du reste assez excusable : ils souffraient de
la faim. Ils avaient apporté avec eux de m inces provisions, leur
bourse était mal garnie, et les habitants de Bereydah ne se
montraient pas disposés le moins du monde à use r de générosité
envers ceux qu’ils regardaient comme des ennemis.
L’armée avait cru s’enrichir p a r le pillage, mais elle avait
compté sans son hôte ; les troupes de Zamil remportaient l’avantage
dans toutes les escarmouches, chaquejour augmentait leur
audace, e t les assiégeants, campés au milieu d’un pays hostile,
en butte aux attaques incessantes des défenseurs d ’Oneyzah,
étaient, pour ainsi dire, les véritables assiégés.
Un jour, dans l’après-midi, Bereydah fut m ise en émoi p a r un
cri d’alarme qui, p a rti de la haute tour de garde, trouva de
nombreux échos dans les avant-postes de la plaine. Des cavaliers
d’Oneyzah s ’étaient avancés ju sq u ’à la ville, e t se ravitaillaient
aux dépens des faubourgs. Mohanna, forcé de quitter ses trésors,
sortit du palais pour enjoindre aux habitants de prendre les
armes et d’aller où la gloire les appelait. En u n clin d’oeil, les
rues e t les places furent désertes; chacun p a rta it au plus vite,
mais hélas! ce n ’était pas pour marcher au champ d’honneur,
c’était pour se cacher dans sa m a iso n , dont il referm ait la
porte au verrou, aimant mieux feindre l’absence que de s’exposer
à la désagréable alternative de désobéir ouvertement au gouverneur,
ou de combattre ceux-là même dont il souhaitait a rdemment
le succès. Les satellites de Mohanna re c ru tè ren t pour